L’INFERNALE « DEUXIÈME CHANCE AU CRÉDIT »

Ils s'annoncent comme des sauveurs avec leurs slogans « Deuxième chance au crédit » et « Aucun dossier refusé ». Mais les clients qui font affaire avec les prêteurs autos de derniers recours peuvent tomber dans un engrenage infernal.

UN DOSSIER DE NOTRE CHRONIQUEUSE STÉPHANIE GRAMMOND

Le crédit de la dernière chance

Du financement auto qui lève le cœur

Petite, j’avais mal au cœur en voiture. Et quand je vois les pratiques des prêteurs automobiles de dernier recours, la nausée me reprend.

Ça vous dirait de payer 33 000 $ pour rouler dans une vieille Hyundai qui en vaut trois fois moins ? Pas moi ! C’est pourtant monnaie courante dans l’univers des « deuxième, troisième ou même quatrième chances au crédit », là où « aucun dossier n’est refusé ».

Ce marché est en expansion depuis la crise du crédit. Tenez-vous bien : environ le quart des prêts automobiles sont désormais considérés comme de moindres qualités, selon la Banque du Canada qui se préoccupe du phénomène.

Les clients vulnérables sont plus nombreux qu’on le pense : des jeunes sans expérience de crédit, des immigrants récents, des personnes ayant un dossier criminel, des travailleurs autonomes, des gens qui travaillent au noir (mais qui roulent en voiture de luxe) et, bien sûr, des consommateurs qui ont un mauvais dossier de crédit (pointage inférieur à 680 points).

Pour obtenir un prêt-auto, ces clients doivent payer un taux d’intérêt plus élevé ou carrément aller voir un prêteur alternatif, après avoir essuyé le refus des banques.

Ces prêteurs à haut risque acceptent à peu près tout ce qui passe, y compris des clients qui viennent de déclarer faillite ! Mais ils les attendent dans le détour avec des prix gonflés, des taux d’intérêt exorbitants, des frais cachés et des garanties ou des assurances vendues de force.

En mars dernier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a d’ailleurs imposé des sanctions à la société montréalaise Autonum Presto Locations, qui fait aussi l’objet de nombreuses plaintes à l’Office de la protection du consommateur (OPC), comme vous pourrez le lire dans le texte suivant.

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Les automobilistes qui éprouvent des difficultés financières se font souvent rouler parce qu’ils n’ont pas de pouvoir de négociation.

Les commerçants savent qu’ils ont absolument besoin d’un véhicule pour aller travailler, surtout s’ils vivent dans une région éloignée. Alors ils gonflent les prix qui peuvent grimper de 4000 $ à 7000 $, illustre George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes (APA).

À ces prix gonflés, ils ajoutent des taux d’intérêt qui vont jusqu’à 30 %. En additionnant les frais d’ouverture de dossier ( 600 $, par exemple), on s’approche dangereusement d’un taux de crédit de 35 % qui a déjà été considéré comme abusif par les tribunaux, rappelle l’OPC.

Évidemment, un taux d’intérêt aussi élevé est ruineux pour le client. Prenons une fourgonnette de 21 000 $ financée sur sept ans. Avec un taux de 25 %, il en coûtera 23 000 $ d’intérêts, carrément 10 fois plus qu’avec un taux normal de 3 %, prévient l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC).

En bout de piste, le client paiera sa fourgonnette deux fois plus cher. Rien pour l’aider à retrouver sa santé financière.

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Comme si ce n’était pas assez, les prêteurs à risque forcent parfois leurs clients à prendre toutes sortes d’assurances et de garanties très coûteuses, ce qui est carrément illégal.

Avant d’accorder le financement, ils imposent par exemple l’achat d’une garantie mécanique dont le coût représente jusqu’à 20 % du prix du véhicule. Ainsi, un client a dû payer 1995 $ pour une garantie sur une Mazda5 âgée de quatre ans qui valait 9995 $. Un tel prix n’est pas normal pour une voiture simple comme une Mazda, confirme George Iny.

Même scénario pour l’assurance de remplacement, un proche cousin de l’avenant valeur à neuf qui permet de couvrir la forte dépréciation du véhicule pendant ses premières années.

J’ai vu un contrat conclu en 2012 où le client avait payé plus de 1000 $ pour cette assurance sur une Mazda3 âgée de six ans. C’est plus cher que le même type d’assurance vendue au même moment par Mazda sur un modèle neuf valant au moins le double du prix.

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Avec de tels frais, trop de clients sont incapables de respecter leurs paiements. Par exemple, une dame s’est vite retrouvée avec des arrérages de 1750 $, après avoir raté une demi-douzaine de paiements, comme le démontrent des documents que m’a fournis l’ancien employé du service de recouvrement d’un prêteur, dégoûté par les agissements de son employeur.

« Les montants en retard peuvent devenir importants. Ça montre à quel point les gens peuvent s’embourber », m’a-t-il confié. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg, car on sait que les consommateurs étouffés paient généralement leur voiture avant leurs autres dettes (carte de crédit, hypothèque, etc.).

Mais les prêteurs à risque, eux, ne sont pas trop inquiets. Comme ils installent dans le véhicule un dispositif de localisation et un antidémarreur, ils peuvent aisément le bloquer ou le saisir si le client ne paie pas ses comptes. Et ils ne s’en privent pas, comme le prouve un document interne énumérant les interventions d’un prêteur à risque.

Or, le fait d’empêcher à distance un véhicule de redémarrer pourrait être associé à une reprise de possession illégale, selon l’OPC, dans la mesure où le commerçant n’a pas respecté les règles (un   préavis de 30 jours, par exemple).

Chose certaine, des pratiques de ce genre devraient être mieux balisées, car elles peuvent placer les automobilistes dans une situation dangereuse, notamment si leur véhicule est immobilisé à distance lorsqu’ils sont dans une zone éloignée ou qu’ils doivent aller chercher leurs enfants ou se rendre à l’hôpital.

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