Chroniqueur

L’audace de David Poile

On l’a vu lorsque P.K. Subban est passé aux Predators de Nashville en juin dernier : quand le Canadien conclut une transaction majeure, les réactions sont vives et tranchées. Alors, imaginez combien le coup de tonnerre du 10 septembre 1982 a résonné fort.

Ce jour-là, dans une méga-transaction qui secoue le tout-Montréal, le DG Irving Grundman expédie Rod Langway, Brian Engblom, Doug Jarvis et Craig Laughlin aux Capitals de Washington en retour de Rick Green et de Ryan Walter.

Pour des raisons fiscales, Langway souhaite alors quitter le Canadien. Mais cela ne suffit pas à expliquer ce coup d’éclat. La vérité, c’est que le CH a reçu une claque au visage au printemps précédent. Contre toute attente, les Nordiques, qui terminent à peine leur troisième saison dans la LNH, ont éliminé les Glorieux. Dans le match ultime de cette première « Bataille du Québec », un but de Dale Hunter en prolongation a donné la victoire aux Bleus. Cet échec secoue profondément le Canadien et Grundman doit apporter des changements.

Chez les Capitals, Langway devient une superstar. À ses deux premières saisons à Washington, il remporte le trophée Norris. Dans cette ville où la politique domine tout le reste, on le surnomme vite le « ministre de la Défense ».

Près de 35 ans plus tard, les dirigeants et les joueurs impliqués dans cet échange ne font plus l’actualité. Sauf un : David Poile, le DG des Predators.

En septembre 1982, Poile venait d’être nommé directeur général des Capitals après dix saisons comme adjoint chez les Flames d’Atlanta et de Calgary. Sa décision de céder Walter au Canadien inquiéta son patron Abe Pollin : le jeune attaquant était son joueur préféré, comme le rappelait le Washington Post plus tôt cette semaine.

Poile, lui, était fier de son coup. Au journaliste Bernard Brisset de La Presse, il déclara : « Je compare facilement Rod Langway à un Larry Robinson à son meilleur. Avec lui, rien n’est impossible. »

Poile et Langway ne menèrent pas les Capitals à la Coupe Stanley. Mais ils apportèrent de la crédibilité à cette organisation. Et pour la première fois depuis leur naissance en 1974, les Caps participèrent aux séries éliminatoires.

Même si Langway était l’as de cette transaction, l’histoire ne se termina pas mal pour le CH. Walter et Green jouèrent un rôle important en 1985-1986, lorsque l’équipe remporta la Coupe Stanley. Mais cette victoire surprise survint après un autre échange significatif, celui-là réalisé par Serge Savard : en octobre 1983, le jeune DG obtint le joueur de centre tant recherché, Bobby Smith.

Ce saut dans l’histoire nous rappelle ceci : dans le hockey, les années passent, mais la dynamique reste la même ! Le « gros joueur de centre » demeure une clé du succès. Qui sait : si Marc Bergevin réussit à mettre la main sur l’un d’eux, le Canadien réussira peut-être un nouvel exploit au cours des prochaines saisons.

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Les succès des Predators ce printemps s’expliquent en partie par des transactions réussies.

Poile a arraché Filip Forsberg aux Capitals de Washington dans un marché à sens unique. Il a montré du culot en échangeant Seth Jones, défenseur promis à une carrière exceptionnelle, aux Blue Jackets de Columbus. En retour, les Predators ont obtenu Ryan Johansen, joueur de centre qui ne faisait pas l’unanimité dans son ancienne équipe. Et Poile n’a pas craint les critiques en se départant de Shea Weber, le visage de la concession, pour acquérir Subban.

Aujourd’hui âgé de 67 ans, Poile découvrira pour la première fois une finale de la Coupe Stanley à titre de directeur général. Malgré le passage du temps et l’absence de succès mémorables, il s’est maintenu en selle. Remarquez qu’il a exercé des postes de commande dans deux villes, Washington et Nashville, où la pression sur l’équipe de hockey est moins forte que sur celle de la NFL. Cela permet de travailler dans une certaine sérénité. Montréal et Toronto, par exemple, sont des marchés beaucoup plus exigeants, où les choix du DG sont scrutés à la loupe.

Poile a grandi dans une famille de hockey. Son père, Norman « Bud » Poile, a été le premier directeur général des Flyers de Philadelphie en 1967. Au milieu des années 70, il est devenu vice-président de l’Association mondiale de hockey (AMH). Les dirigeants des Nordiques ont réclamé son départ après le grave assaut de Rick Jodzio, des Cowboys de Calgary, subi par Marc Tardif lors des séries éliminatoires de 1976. Ils ont soutenu qu’il avait mal géré la situation. Bud Poile quitta le circuit.

Pour les Bleus, alors une puissance de l’AMH, cette saison si prometteuse se transforma en désastre. Un an plus tard, ils rebondirent en remportant la Coupe Avco. Le 40e anniversaire de cette victoire a d’ailleurs été célébré hier. Ce fut un moment fort dans l’histoire sportive de la capitale.

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Si David Poile n’est plus un jeunot, on peut dire la même chose de Jim Rutherford, le patron hockey des Penguins de Pittsburgh, d’un an son aîné. La théorie voulant que l’avenir appartienne aux jeunes DG férus de statistiques avancées en prend pour son rhume, ce printemps. Poile et Rutherford incarnent plutôt le triomphe de l’expérience.

Leurs équipes devraient nous offrir des matchs spectaculaires. Les Predators et les Penguins croient à la rapidité et à la finesse. Et puisque le style de jeu des finalistes influence les autres organisations, cela est une excellente nouvelle. Il aurait été inquiétant que le côté matamore des Ducks d’Anaheim devienne contagieux.

Si les Predators l’emportent, bien des propriétaires d’équipe seront sûrement encore plus intrigués par la manière dont David Poile a bâti son équipe : un solide repêchage, certes, mais aussi un goût prononcé pour le risque. Cela définit sa carrière depuis ce fameux échange de 1982 avec le Canadien. Malgré l’absence de Johansen, son audace lui vaudra peut-être enfin la Coupe Stanley.

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