L’illusion du risque zéro
Qu’on légalise ou non la marijuana, le risque pour les jeunes fumeurs demeurera. Il faut trouver un modèle pour le gérer.
« Les Hells Angels manifestent contre la légalisation du cannabis », titrait la semaine dernière un site satirique. Lise Thériault devrait y réfléchir.
À titre de ministre de la Sécurité publique, elle s’est dite vivement inquiète de la promesse de Justin Trudeau, qui veut légaliser la marijuana. Mieux vaudrait ne pas trop entendre parler la ministre dans ce dossier. Car il s’agit d’abord d’un problème de santé publique.
L’approche sécuritaire est un échec lamentable. Ceux qui la défendent s’accrochent à un mythe, celui qu’on peut éradiquer la drogue. La prohibition roule ainsi sa roche en haut de la colline depuis quelques décennies, la regarde dégringoler puis recommence le travail absurde. C’est devenu un incinérateur de fonds publics.
Pourtant, l’offre n’a pas été éliminée. Ni la demande. Il y a par contre eu des dommages collatéraux, comme le gaspillage de ressources policières et juridiques, l’économie au noir ainsi que les vies fauchées par un séjour à l’école du crime ou une surdose.
Au lieu de continuer à foncer dans le mur, peut-être faudrait-il essayer autre chose. Le réalisme.
La drogue – y compris la marijuana – pose de réels risques pour la santé. Mais c’est justement parce que ces risques existent qu’on doit avoir le courage de les gérer.
Deux grands modèles s’offrent : décriminaliser ou légaliser la marijuana.
Le premier a l’avantage d’avoir été testé par d’autres pays. Mais il impose encore une contravention aux petits consommateurs récréatifs, et ne règle pas le problème de l’offre.
La décriminalisation serait le strict minimum. Même les chefs canadiens de police la demandent. Mais doit-on aller plus loin ? La réponse dépend des jeunes. Les 24 ans et moins sont les plus grands fumeurs de marijuana, et ce sont aussi les plus vulnérables. Le cerveau se développe de l’enfance jusqu’à la jeune vingtaine, et durant cette période fragile, la consommation fréquente est associée à des troubles moteurs et cognitifs*.
Ce danger ne suffit toutefois pas à trancher sur la légalisation. Pour cela, il faudrait vérifier si elle augmentera ou non la consommation des jeunes, et si elle régularisera la qualité de la drogue. Or, le lien n’est pas clair, car il existe peu de laboratoires pour tester les hypothèses. C’est seulement l’année dernière que des États américains (Colorado et Washington) ont commencé la légalisation.
Même si la marijuana devenait légale, sa vente resterait interdite aux mineurs. Tandis qu’à l’heure actuelle, la prohibition n’empêche pas les petits vendeurs d’alimenter les écoles secondaires... .
Par contre, si la marijuana devient légale, elle pourrait paraître moins nocive pour la santé. Or, la perception de ce risque est liée à la consommation, rapporte le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies.
Là réside le principal écueil. Il ne suffit peut-être pas à rejeter la légalisation, mais il incite au moins à la prudence, surtout que rien ne presse. Il faut trouver un modèle de production et distribution qui étouffe le marché noir et restreint l’accès aux jeunes. Et il faut l’accompagner d’une vaste campagne de sensibilisation axée sur les risques pour la santé. En évitant les pubs antidrogue des années 90, si alarmistes qu’elles ont eu l’effet contraire.
Cette approche ressemble à celle choisie pour les jeux de hasard. L’État a décidé de gérer lui-même le risque au lieu de le confier au crime organisé. Cela trouble les puritains qui voudraient garder les mains propres. Mais qui voudrait aujourd’hui revenir en arrière ?
*Tiré du rapport « Les effets de la consommation de cannabis pendant l’adolescence », publié cette année par le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies.