Peu de pouvoir, beaucoup de travail

Un candidat indépendant pourrait-il décider du sort d’un vote crucial aux Communes, comme le suggère le film Guibord s’en va-t-en guerre, de Philippe Falardeau ?

Steve Guibord, ancien joueur de hockey qui a le cœur à la bonne place, est député indépendant dans la circonscription fédérale de Prescott–Makedewà–Rapide-aux-Outardes, en Abitibi. Sa carrière politique, jusque-là sans histoire, prend un tournant inattendu lorsqu’il se retrouve, malgré lui, à détenir au Parlement le vote décisif qui déterminera si le Canada doit entrer en guerre.

Le nouveau film de Philippe Falardeau (Guibord s’en va-t-en guerre) qui sort en salle au beau milieu de la campagne électorale, est basé sur un scénario totalement fictif.

Mais dans l’éventualité, parfois évoquée, où notre prochain gouvernement serait minoritaire, cette fiction pourrait-elle devenir réalité ?

En théorie, pourquoi pas ?

« Si le gouvernement est vraiment à la frange et que chaque vote compte, le jeu des alliances avec des députés indépendants pourrait techniquement faire la différence. »

— André Lamoureux, professeur de sciences politiques à l’UQAM

« Ça s’est déjà vu, ajoute John Richardson, qui tient un blogue consacré aux candidats indépendants. Il y a des moments, au cours des 10 dernières années, où des votes ont été décisifs alors que le gouvernement était minoritaire. »

Le cas de Hugh Cadman en est un bon exemple, rappelle Richardson. En 2005, cet ancien membre du Reform Party devenu député indépendant avait sauvé la peau du gouvernement libéral en votant pour le budget.

De tels cas de figure sont toutefois « exceptionnels », tient à préciser André Lamoureux. Car il faudrait vraiment que plusieurs éléments convergent. Un avis que partage Jean-François Godbout, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal, pour qui ce scénario « pas impossible, mais improbable » relève quand même « un peu de la science-fiction ».

La vérité, c’est qu’en général, un député indépendant a « zéro influence » en Chambre, ajoute Jean-François Godbout.

D’abord, encore faut-il qu’il soit élu, chose quasiment impensable, à moins que ledit candidat ne soit une vedette locale, comme ce fut le cas pour l’animateur de radio André Arthur dans Portneuf (2006 et 2008) ou qu’il n’ait déjà été élu dans le passé sous la bannière d’un gros parti, comme Brent Rathgeber, ancien conservateur qui se présente cette année comme indépendant dans la circonscription d’Edmonton– St. Albert (Alberta).

Une fois en Chambre, du reste, celui-ci aura un droit de parole limité, et il risque fort de se transformer en plante verte, à moins d’attirer l’attention par des coups d’éclat ou une certaine notoriété médiatique.

Pourquoi alors se donner tout ce mal ? Ça dépend.

Certains ont un sujet particulier à cœur. Ce sont les candidats d’une seule cause. D’autres sont des anciens de gros partis qui ont claqué la porte pour des motifs idéologiques ou qui se sont fait montrer la sortie pour des raisons diverses, comme l’ancien libéral Scott Andrews, impliqué l’an dernier dans une histoire de harcèlement sexuel. Il y a enfin les artistes, les rebelles et les théoriciens de la politique, qui sont surtout attirés par le concept de processus électoral.

Quelle que soit leur motivation, John Richardson estime que ces candidats indépendants sont « très souvent, et de loin, supérieurs aux candidats des gros partis », dont la présence ne sert généralement qu’à faire élire un leader. Électrons libres, non liés à une ligne de parti, ils jouissent d’une liberté de pensée que les autres n’ont pas. Ils peuvent, à cet égard, être vus comme « la conscience de la nation », chose qu’on ne pourrait pas dire d’un de l’un des trois gros partis, selon Richardson.

Kim Waldron, qui se présente comme indépendante dans la circonscription de Papineau, est un peu du même avis. « Voter pour les gros partis, dit-elle, c’est comme voter pour de grosses sociétés. »

« Je n’ai peut-être aucune chance d’être élue, mais j’ai la chance d’amener une voix différente dans le débat, et ça, c’est déjà quelque chose. »

— Kim Waldron, candidate indépendante

Mme Waldron, qui apparaît sur ses pancartes enceinte jusqu’au menton, compte transformer son expérience en projet artistique. Elle dit avoir beaucoup appris sur le processus électoral et reconnaît qu’il faut être extrêmement convaincu pour se lancer ainsi sans argent, sans structure et sans l’appui d’une machine politique. « Je n’ai pas réfléchi à l’énergie que ça prenait. Je cours beaucoup », dit-elle.

John Richardson, qui s’est présenté trois fois comme indépendant au provincial et une fois au fédéral, le confirme. Il y songerait à deux fois avant de se lancer de nouveau en solitaire. « J’ai donné », dit-il.

Suprême ironie : il se présente cette année sous la bannière du Parti progressiste canadien, dans Toronto–Danforth. « Tu peux l’écrire, ça ne me dérange pas… »

Nicolas Duschastel de Montrouge

Calgary Heritage (Alberta)

Je ne peux pas voter parce que je vis à l’étranger ? Tant pis, je me présente comme candidat ! Ce faisant, Nicolas Duchastel de Montrouge veut démontrer les absurdités de notre loi électorale, qui interdit aux expatriés d’exercer leur droit de vote, mais pas d’être candidats. Pas innocent : il se présente dans la circonscription de Stephen Harper.

Dr Birinder Singh Ahluwalia

Willowdale (Ontario)

Pour l’environnement, pour la classe moyenne, pour le système de santé, pour les infrastructures, pour les garderies, pour les vétérans, pour les autochtones, pour la sécurité et pour une politique étrangère musclée… Le bon Dr Ahluwalia serait-il plus que la somme de tous les partis ? C’est ce que son logo semble nous dire !

Dustin Wakeford

Haldimand–Norfolk (Ontario)

Cet idéaliste veut freiner le cynisme des électeurs en ramenant du positif dans la joute politique, qu’il compare à un « sport sanglant ». Il ne manque pas d’humour non plus, comme en témoigne sa vidéo promotionnelle, un faux documentaire qui lui tient lieu de porte-à-porte.

Scott Andrews

Avalon (Terre-Neuve-et-Labrador)

Ejecté du Parti libéral il y a un an après avoir été accusé de harcèlement sexuel, cet ancien député revient à la charge comme candidat indépendant.

Brent Rathgeber

Edmonton–St. Albert (Alberta)

Il a fait la manchette en 2013 pour avoir quitté « par principe » le caucus conservateur, jugeant que le gouvernement « manquait de transparence ». Il tentera de se faire élire comme indépendant.

QUELQUES CANDIDATS À SURVEILLER

Soixante-sept candidats indépendants se présentent pendant ces élections. Pour le meilleur et pour le pire, nous en avons retenu quelques uns.

Wyatt Scott

Mission–Matsqui–Fraser Canyon (Colombie-Britannique)

Sa vidéo promotionnelle hallucinante a fait le tour du monde et avec raison : personne n’est jamais allé aussi loin dans le délire que ce candidat de l’Ouest, qui milite notamment pour les énergies renouvelables, les industries innovantes, l’économie locale et une baisse substantielle des droits de scolarité.

Alexander J. MacKenzie

Central Nova (Nouvelle-Écosse)

Il a été jeté en prison au moins six fois pour avoir volé des boîtes de scrutin en signe de protestation. Cette fois, il se lance officiellement comme candidat en se présentant comme un défenseur de la cause autochtone. « Je ne veux pas vraiment le job, mais je dois me présenter. »

Brian Gray/Brian Pederson

Okanagan–West Kootenay (Colombie-Britannique)

Le premier croit que le Canada devrait se retirer de l’OTAN pour s’aligner avec les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le second considère que tous les politiciens sont des « individus vils et menteurs » et ne cache pas son faible pour la marijuana. Le premier se prend au sérieux. L’autre pas. Les deux sont à la retraite.

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