Chronique

Les Québécois s’appauvrissent ? Faux.

Le refrain est connu : les Québécois se sont appauvris depuis les belles années 70. Or, en ce lendemain de Saint-Jean-Baptiste, une étude fouillée vient complètement changer le portrait de l’appauvrissement au Québec.

L’étude a été réalisée par deux des chercheurs les plus versés en matière de fiscalité et de finances publiques au Québec, soit Luc Godbout et Suzie St-Cerny, de l’Université de Sherbrooke. Luc Godbout est l’économiste qui a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité, entre autres.

Depuis quelques années, pas un mois ne passe sans qu’on entende dire que les Québécois s’appauvrissent, en particulier les plus pauvres. Pour tirer une telle conclusion, les analyses s’en remettent souvent au revenu moyen par famille.

La question chicote les deux chercheurs depuis un certain temps : le revenu de la famille type a essentiellement stagné, certes, mais la famille type n’est plus ce qu’elle était. Aujourd’hui, la famille moyenne est composée d’un nombre passablement moins grand de personnes, si bien que les comparaisons avec la famille type des années 70 sont bancales.

Par exemple, les personnes seules représentent 37 % des ménages aujourd’hui, contre 22 % en 1976. Ainsi, les personnes seules, qui ont un revenu moindre, ont un poids plus important dans le revenu moyen de l’ensemble des ménages aujourd’hui qu’à l’époque, d’où la non-pertinence de cet indicateur pour mesurer l’appauvrissement relatif réel.

Luc Godbout et Suzie St-Cerny ont donc comparé les revenus des ménages de même taille, et ô surprise, tous les types de ménages ont connu une croissance appréciable de leurs revenus, riches comme pauvres, jeunes comme vieux. Leurs comparaisons sont basées sur le revenu médian des divers ménages (le point milieu de chaque groupe comparé), un indicateur plus fiable que le revenu moyen, qui est influencé par les extrêmes. Tout est exprimé en dollars constants de 2011 (les plus récentes données comparables), c’est-à-dire corrigés des effets de l’inflation.

Voyons voir. En 2011, le revenu médian de l’ensemble des ménages s’élevait à 40 300 $, soit 17 % de moins qu’en 1976 (48 700 $). Après impôts et transferts gouvernementaux, le recul est de 3,4 %, à 44 900 $ en 2011. Ce chiffre illustre, en quelque sorte, la stagnation relative des revenus souvent évoquée.

Maintenant, quand les chercheurs comparent plutôt les revenus des mêmes types de ménages, le résultat s’inverse complètement. Ainsi, les couples sans enfants ont vu leurs revenus après impôts et transferts augmenter de 4 %, les personnes seules, de 25 % et les familles biparentales, de 33 %. Même les personnes âgées et les familles monoparentales ont vu leurs revenus croître significativement, respectivement de 26 % et de 61 %.

« En bout de piste, la société québécoise a accompli des progrès, constatent les chercheurs, car les unités familiales comparables ont un revenu médian après impôts plus élevé. »

Cette conclusion est tout aussi nette quand on compare les quintiles de revenus, c’est-à-dire les cinq tranches de revenus qui composent la population, du plus pauvre au plus riche quintile.

En 2011, la famille biparentale du quintile le plus pauvre gagnait 41 750 $ de revenus médians après impôts et transferts gouvernementaux. Ces revenus sont de 10 365 $ plus élevés qu’en 1976, soit une hausse relative de 33 %. La croissance des revenus médians depuis 1976 est de 40 % pour le deuxième quintile, de 38 % pour le troisième quintile, de 35 % pour le quatrième quintile et de 24 % pour le quintile le plus riche (revenus médians de 126 855 $ après impôts en 2011).

Même constat pour la famille monoparentale : le revenu médian après impôts et transferts a bondi de 28 % pour le premier quintile, à 20 450 $, une croissance semblable à celle du quintile de revenus les plus élevés (30 %, à 70 225 $). Entre ces deux niveaux de revenus, les trois autres quintiles ont progressé respectivement de 85 %, 86 % et 32 %. Encore une fois, il s’agit de revenus comparables, c’est-à-dire une fois l’effet de l’inflation retranché.

Qui aurait pu croire que le revenu des plus pauvres avait crû de 28 % à 33 % depuis 35 ans ?

Cela dit, il est possible que les exigences de consommation soient plus grandes aujourd’hui qu’à l’époque, bien qu’il ne soit pas toujours clair qu’il s’agisse de besoins essentiels. Par exemple, certaines familles ne peuvent se priver de leurs deux voitures ou de leurs téléphones intelligents, ce que les familles n’avaient pas à l’époque. Est-ce vraiment toujours nécessaire ?

Le portrait pourrait-il avoir changé depuis 2011 ? « Rien ne permet de penser que les mesures de retour à l’équilibre budgétaire pourraient avoir modifié radicalement cette tendance de long terme », répond à ce sujet Luc Godbout.

Par ailleurs, l’étude ne fait pas les mêmes comparaisons pour les autres provinces canadiennes. Il est possible que certains types de ménages aient vu leurs revenus augmenter plus fortement ailleurs qu’ici, notamment les riches couples sans enfants. Par contre, on pourrait s’attendre à ce que d’autres ménages soient plus avantagés au Québec en raison des mesures de redistribution, notamment les couples avec enfants de la classe moyenne et les familles monoparentales.

Quoi qu’il en soit, ce portrait nous permet d’avoir un regard moins sombre sur le développement du Québec. Allez, bonne fête !

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