Anglo-Québécois en exil

Un retour payant pour l’économie

Sujet délicat sur le plan politique, le retour des anglophones au Québec, s’il devait se concrétiser, serait bien accueilli par le milieu des affaires, qui verrait d’un bon œil l’arrivée de nouveaux entrepreneurs, de main-d’œuvre qualifiée et d’investisseurs immobiliers, dont l’apport à l’activité économique serait bien tangible.

UN DOSSIER D’ANDRÉ DUBUC

Retour des anglophones

Du bon sens économique

Sur le plan économique, le retour des anglophones au Québec, ne serait-ce que de quelques centaines de plus par année que la moyenne historique, aurait des retombées positives, soutient le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).

Michel Leblanc a accepté de commenter le récent appel au retour lancé par le premier ministre Couillard aux Anglo-Québécois exilés.

« Ça a du sens, économiquement, de dire au reste du Canada, toutes langues confondues, de leur lancer le message : “Revenez voir au Québec. Revenez voir à Montréal, c’est une économie qui va bien.” Montréal est dans une situation qui promet », souligne-t-il.

Il est vrai que le taux de chômage n’a jamais été aussi faible au Québec depuis l’année 1976, justement.

Le taux de chômage à Montréal, à 6,4 % en août 2017, est au niveau de celui de Toronto (moyennes mobiles de trois mois).

Le départ massif d’anglophones après 1976 a causé un tort immense à l’économie montréalaise. Qu’espère-t-il de leur éventuel retour au Québec ?

« Il y a un signal à lancer que les flux migratoires interprovinciaux, où jadis des gens du Québec partaient vers l’ouest pour se trouver un emploi, doivent être renversés, dit-il. Que le Québec est un lieu où on peut trouver de bons emplois, que le Québec est un lieu qui est en croissance. »

De 1971 à 2015, les personnes ayant quitté le Québec pour aller ailleurs au Canada ont été plus nombreuses que les Canadiens des autres provinces ayant choisi le Québec, ce qui a entraîné une perte de 582 470 habitants, selon les calculs de l’Institut Fraser.

De la main-d’œuvre de qualité

L’économiste de formation souligne les occasions que ne manquera pas de faire naître le traité de libre-échange Canada-Union européenne. De plus, le Québec offre de belles occasions à saisir en intelligence artificielle et dans l’industrie des jeux vidéo, entre autres. Deux secteurs où les entreprises s’arrachent les talents et la main-d’œuvre qualifiée.

« Je pense qu’en ce moment, il n’y a pas un studio de jeux vidéo et, possiblement, pas beaucoup d’entreprises dans le secteur des TI [technologies de l’information] en général qui fonctionnent avec le plein nombre d’emplois dont ils ont besoin. Tout le monde est à court », assure Catherine Émond, directrice générale de l’Alliance numérique, un regroupement d’entreprises de l’économie numérique qui compte 140 studios parmi ses membres.

« Pour moi, c’est un enjeu de main-d’œuvre. »

— Michel Leblanc, président de la CCMM

Le Québec fait face au défi du vieillissement accéléré de sa population active. En réponse, la province a des objectifs ambitieux en matière d’immigration. Elle veut accueillir 51 000 personnes par an en 2017 et en 2018, dont un bon nombre de travailleurs qualifiés.

« On doit augmenter notre population et cette population, ce sont des travailleurs, ce sont des gens qui contribuent à améliorer l’environnement et leur milieu de vie, dit André Poulin, directeur général de Destination centre-ville, une société de développement commercial regroupant des entreprises du quartier des affaires de Montréal. Il ne faut pas que la population décline, il faut qu’elle augmente. Des anglophones, oui, mais bien sûr, on est ouverts à toutes les communautés. »

Les anglophones représentent en effet une cohorte exceptionnelle sur le plan de l’employabilité. « Ce sont des gens entreprenants, avec une bonne formation. C’est un atout pour notre économie, soutient Mario Polèse, professeur émérite à l’INRS Urbanisation Culture Société. L’universitaire a beaucoup écrit sur le déclin de l’économie montréalaise au XXe siècle.

— Avec la collaboration d’Hugo de Grandpré, La Presse

Sans commune mesure avec 1976

L’espoir du retour des anglophones réside surtout dans les jeunes travailleurs et les étudiants en provenance du reste du Canada qui resteraient au Québec après avoir obtenu leur diplôme.

« La raison pour laquelle l’exode a fait très mal à l’économie montréalaise, c’est d’abord son caractère massif, soutient le professeur Mario Polèse. Ensuite, c’était une fuite de l’élite économique avec ses entreprises, ses capitaux, son savoir. En presque deux ans, entre janvier 1977 et novembre 1978, le Conseil du patronat du Québec dénombre le départ de 263 sièges sociaux, presque tous vers Toronto. »

Quand on parle d’un possible retour des anglophones au Québec, ce ne sont pas nécessairement les riches Anglo-Saxons avec leurs entreprises qui reviendraient, fait valoir M. Polèse. « J’imagine que M. Couillard s’adresse aux jeunes anglophones qui sont partis étudier ou travailler à Toronto et à Vancouver quand il dit qu’ils sont les bienvenus. »

Un obstacle

Il y a néanmoins un obstacle de taille. « C’est absolument essentiel de parler français, de mon point de vue, soutient Jack Jedwab, président de l’Association d’études canadiennes (AEC). Quand je regarde les chiffres du recensement, le niveau de connaissance du français auprès des anglophones de l’extérieur du Québec n’est pas énorme », a-t-il constaté.

Un espoir : les étudiants

« Le meilleur espoir, ce sont les jeunes qui décident d’étudier ici à McGill, à Concordia ou à l’Université de Montréal, pense M. Jedwab. C’est un sujet que les institutions anglophones regardent d’assez près. » À ce propos, un sondage réalisé pour le compte de l’AEC auprès de 109 étudiants en provenance du reste du Canada inscrits à l’une des trois universités anglophones (Concordia, McGill, Bishop’s) indique que 35 % d’entre eux prévoient rester au Québec au terme de leurs études.

Tout est une question d’emploi

« Le facteur décisif choisi unanimement par les étudiants a été l’emploi. Les diplômés sont prêts à rester au Québec s’il y a des emplois concurrentiels de qualité qui offrent des mesures incitatives pour apprendre la langue. »

— Extrait de l’étude de l’Association d’études canadiennes visant « à identifier les facteurs poussant les jeunes anglophones à rester au Québec ou à le quitter après leur diplôme universitaire ».

Les investisseurs répondent présents

« Tout le monde constate le boom immobilier et commercial à Montréal, souligne André Poulin, directeur général de Destination centre-ville. Ces investissements-là sont de plus en plus le fait de fonds de retraite, québécois, mais aussi canadiens. Bien sûr, étant donné qu’il y a moins d’activité dans l’Ouest canadien depuis quelques années, ces fonds souhaitent investir ici. »

Retour des anglophones

Quels impacts en immobilier ?

« C’est un miracle de revenir à Montréal »

Natif de Toronto, David Blatherwick, 56 ans, est arrivé à Montréal une première fois en 1984 comme designer industriel. Quand il a dû quitter la ville en 2004, il était devenu un artiste en arts visuels. « Montréal et le Québec, c’est mon chez-moi artistique », dit-il au téléphone.

On peut d’ailleurs admirer son installation En pensant à toi au Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec.

« J’ai dû partir pour des raisons financières et j’ai accepté une charge de professeur d’abord en Alberta, puis en Ontario. Pendant ces 13 années [hors du Québec], j’ai pleuré tous les jours, confie-t-il. Il y a deux ans, j’ai commencé à chercher des postes à Montréal. » Par réflexe, il a regardé du côté des universités anglophones, sans succès. C’est l’UQAM, où il a fait sa maîtrise [il était le seul anglophone de sa cohorte à l’époque], qui l’a invité à soumettre sa candidature au printemps. « Pour moi, c’est un miracle de revenir à Montréal. J’espère rester ici pour de bon. »

Le peintre est arrivé en ville avec sa femme et ses deux enfants plus jeunes en juin. La vente de sa maison de campagne à Elora, près de Guelph, a rapporté assez d’argent pour qu'il puisse acquérir une maison en rangée dans le quartier Saint-Henri, qui compte trois chambres, trois étages et un atelier au sous-sol, pour un demi-million.

« Mon fils de 31 ans habite déjà dans le quartier. J’aime le canal de Lachine, le métro. J’avais aussi des amis dans le coin. »

« Montréal a tellement changé en 10 ans, constate-t-il. Le réseau cyclable s’est étendu. Malheureusement, le prix des maisons a explosé depuis mon départ en 2004, même s’il reste moins cher qu’ailleurs. »

Combien viendront ?

Historiquement, le Québec a un solde migratoire positif avec l’étranger, mais négatif avec le reste du Canada.

Des flux migratoires plus favorables au Québec auraient rapidement une incidence autant sur le marché de la revente que sur le marché du neuf, puisque toute augmentation de la population nourrit la demande de logements, soutient Gilles Ouellet, consultant immobilier et président de Groupe Solutions marketing immobilier, que nous avons consulté sur cette question.

Qui seront-ils ?

M. Ouellet ne s’attend pas à ce que le phénomène touche en grand nombre les baby-boomers à la retraite ou les quadragénaires dont la carrière est solidement implantée dans leur ville d’adoption. Montréal pourrait, par contre, attirer les travailleurs en début de carrière, de même que les étudiants. À l’automne 2016, ils étaient près de 15 000 Canadiens hors Québec à étudier dans les universités québécoises.

« En ce moment, on a le sentiment que la perception de Montréal à l’échelle mondiale est en hausse, dit le courtier Patrice Groleau, de l’agence Engel & Völkers de Montréal, qui se spécialise dans la clientèle internationale. On a l’impression que Montréal va devenir le Boston du Canada. Il y a un attrait pour les étudiants hors Québec. Le développement de l’intelligence artificielle fait parler de la ville. Montréal est tendance auprès de la jeune génération », soutient-il.

Propriétaires ou locataires ?

Peu importe leur nombre et leur âge, les Anglo-Canadiens qui migreront vers Montréal sont susceptibles d’avoir une incidence bien plus immédiate sur le marché immobilier qu’une cohorte de taille semblable d’immigrants en provenance de l’étranger.

« Ce sont des gens qui sont habitués d’être propriétaires, fait remarquer le consultant Gilles Ouellet. Ils ont des revenus semblables ou supérieurs aux nôtres. Ils connaissent bien les rouages du marché immobilier et l’environnement économique. Il n’y a pas de période d’adaptation, contrairement aux immigrants. Leur venue stimulerait la vente d’unifamiliales, de maisons en rangée et de condos », croit-il.

D’après ce qu’il observe, le propriétaire d’une maison d’une valeur de 2 millions à Toronto peut trouver l’équivalent pour moitié moins cher dans la région montréalaise.

Quels quartiers en profiteraient ?

Il y a fort à parier que les anglophones s’installeraient dans les quartiers de l’ouest de la ville comme Notre-Dame-de-Grâce, Westmount, Griffintown, le Sud-Ouest, le Mile End, et dans les banlieues de l'Ouest-de-l'Île de même qu’à Hudson et Saint-Lazare, où il y a déjà beaucoup d’anglophones, parce que les gens ont tendance à se regrouper.

Or, ces quartiers sont déjà en forte demande actuellement, constate le courtier Patrice Groleau, entre autres en raison de l’immigration internationale, surtout chinoise. Les acheteurs recherchent les bonnes écoles anglaises.

« On le voit à Kirkland, témoigne M. Groleau. On sent vraiment un boom autour des écoles anglaises 100 % privées comme Kuper Academy. Des acheteurs étrangers ont le réflexe d’aller vers le 100 % privé pour ne pas avoir à inscrire leurs enfants à l’école française », dit-il.

Opinion d’une professionnelle

Mary Lamey, courtière chez Century 21, se souvient avoir vendu une maison à une famille « mixte » – père francophone, mère anglophone – qui revenait de Toronto après 20 ans. Le ménage voulait que le fils termine son secondaire en français. Elle a aussi été témoin tout récemment du cas d’un télétravailleur au service de CGI qui a déménagé de Toronto à Montréal. Chaque fois, les acheteurs ont profité de la différence de prix entre les deux grandes villes pour monter en gamme. Mais ce sont des événements anecdotiques, pas l’illustration d’une tendance de fond.

« Je vois plus souvent des étudiants de l’extérieur qui décident de rester à Montréal après leurs études, témoigne-t-elle. Une diplômée de McGill, originaire de Vancouver, m’a appelée avant les vacances. Elle veut s’acheter un condo. »

— Avec la collaboration d’Hugo de Grandpré, La Presse

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