Chronique 

Ceux qui font la révolution… pas à moitié

Debout dans la dernière salle de l’expo Révolution au MBAM, je savais bien que le parcours tirait à sa fin, mais j’étais incapable de quitter les lieux. Incapable de m’arracher à ce dessin d’un dôme géodésique de Buckminster Fuller. Médusée, les bras parcourus de frissons, moi qui ai la mauvaise habitude de passer en coup de vent dans les expos, je ne voulais pas partir, je ne voulais pas que ça s’arrête.

Mais ce n’est pas ce bon vieux Buckminster ni ses préoccupations écologiques avant-gardistes qui me retenaient tétanisée sur place. Ce n’est même pas la révolution sociale, politique ou culturelle qui a eu lieu dans ces années-là et qui est le sujet même de l’expo. Non. Ce qui me retenait, m’ancrait, m’enfonçait dans l’époque, c’est la musique. Celle qui a bercé mon adolescence à travers une multitude de chansons emblématiques comme Woodstock où Joni Mitchell de sa voix pure et angélique chante « We are stardust, we are golden and we’ve got to get ourselves back to the garden ».

C’est cette chanson envoûtante, à la fois douce et grave, avec ses promesses de poussières d’étoile et de jardin d’Eden qui, hier matin, m’a scotchée dans la dernière salle de l’expo Révolution. Une expo qui nous vient de Londres avec des centaines d’artéfacts volés aux années 60, depuis ce touchant boîtier rond des premières pilules anticonceptionnelles roses jusqu’aux restes de guitare fracassée de Jimi Hendrix en passant par le petit livre rouge de Mao, l’uniforme trop noir des Black Panthers et les cendriers trop beaux d’Expo 67.

Expérience musicale

Mais oubliez tous ces objets qui vont probablement déclencher une avalanche de souvenirs chez les gens de ma génération, oui, oubliez tous ces objets d’un fétichisme appelant la nostalgie. La force de cette expo sur les années 60, c’est la musique. Une musique qui a traversé le temps sans perdre de son impact et qui, ici, se trouve portée, décuplée et transcendée par une technologie particulière mise au point par l’entreprise Sennheiser et qui fait que Révolution n’est pas qu’une exposition. 

Révolution, c’est une expérience musicale et immersive des plus jouissives.

Personnellement, je n’ai jamais été très portée sur les audioguides. Avoir quelqu’un qui me déverse dans les oreilles un tas fastidieux d’infos, très peu pour moi, merci. Mais la beauté avec l’expo Révolution, c’est que l’audioguide ne dit rien. Il est entièrement musical. Il accompagne tous nos pas et change au gré des tableaux. Devant les robes de Carnaby Street et les photos de Mary Quant et de Twiggy, il explose avec My Generation des Who.

Plus loin, devant les pancartes de protestations et les vidéos de manifs et d’insurrections, il nous balance du Bob Dylan ou Revolution de John Lennon, la première chanson politique des Beatles et celle aussi qui annonce la fin du groupe. D’ailleurs, si vous écoutez bien les paroles, vous entendrez que Lennon prêche un sain scepticisme face à la révolution, surtout la révolution armée. Il préparait déjà le terrain pour son fameux bed-in au Reine Elizabeth où il a enregistré avec Yoko et compagnie Give Peace a Chance, un hymne qui renaît grâce à une vidéo qui joue en boucle au milieu de l’expo.

Woodstock, le matin

Mais la pièce de résistance de l’expo, c’est cette vaste salle, meublée de bean bags dispersés par terre et déguisée en cinéma IMAX, qui nous entraîne à Woodstock ce petit matin d’un dimanche d’août 1969 où Jimi Hendrix, qui avait raté son avion de la veille, se pointe sur scène. Il fait plein jour. Les trois quarts des 450 000 festivaliers sont endormis, gelés comme des balles ou dans le coma. Et sans crier gare, Hendrix, tel un ange dans sa veste à franges blanches, entame son Star-Spangled Banner en tordant les notes et en faisant grincer les accords, accouchant devant nous d’un des moments les plus marquants de l’histoire du rock.

Une jolie place a été faite à la révolution québécoise, histoire de signaler que le Québec de ces années-là était dans le coup et faisait partie d’une dynamique mondiale. Mais passer de My Generation des Who à Un nouveau jour va se lever de Jacques Michel marque douloureusement notre retard musical. Heureusement, ce retard est corrigé dans une autre salle où l’on projette des images de l’Osstidcho sur la musique de Lindberg de Charlebois.

En revanche, voir juxtaposées la jupette en métal de Paco Rabanne pour le film Barbarella et l’affiche féministe « Québécoises deboutte » dit qu’à certains égards, le Québec était en avance sur les autres.

Sans la musique, je ne sais ce que serait cette expo : un florilège d’objets et d’affiches dont certains sont tellement passés dans la culture populaire qu’on les retrouve encore dans toutes les boutiques de souvenirs de la Terre.

Sans la musique, Révolution serait un parcours sympa fondé en partie sur la nostalgie et guidé par le souci de saisir aussi bien l’idéalisme que la violence d’une époque épique.

Selon Platon, de tout temps, la musique a précédé l’évolution des sociétés et a annoncé dans sa symphonie de bruits et de notes pures ou discordantes les changements à venir.

En misant sur la musique, le commissaire de cette expo a bien compris la leçon de Platon. Tout comme il a compris que ceux qui ont fait la révolution dans ces années-là ne l’ont pas faite à moitié.

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