Réseaux sociaux

Un Messenger pour enfants

Le réseau social Facebook a lancé lundi dernier un service de messagerie destiné aux enfants de 12 ans et moins. Messenger Kids, accessible aux États-Unis seulement pour le moment, est calqué sur le Messenger que connaissent déjà des centaines de millions d’utilisateurs. Doit-on initier ses enfants si tôt aux réseaux sociaux ? La question suscite le débat.

L’application a été agrémentée d’une foule de fonctionnalités rigolotes pour plaire aux petits et est contrôlée à partir du compte de leurs parents. La possibilité de superviser les échanges de ses enfants est l’élément clé du discours de Facebook au sujet de cette messagerie. Chacun des contacts doit être approuvé par les parents (aucun risque que l’enfant soit contacté par un étranger, donc), qui peuvent également jeter un coup d’œil aux échanges : le jeune utilisateur ne peut pas effacer lui-même des messages reçus ou envoyés.

« Ce n’est pas une mauvaise idée que les parents puissent initier leurs enfants aux médias sociaux », juge Jane Tallim, codirectrice exécutive d’HabiloMédias*. Les recherches menées par l’organisme canadien d’éducation à la vie numérique montrent que les enfants utilisent déjà divers médias sociaux même si l’âge minimal requis est 13 ans. Avec ou sans l’accord des parents, puisqu’il suffit de mentir sur son âge. Les jeunes Canadiens sont aussi nombreux à posséder une tablette ou un téléphone, ou à y avoir accès.

30 %

Pourcentage des élèves canadiens de la 4e à la 6e année qui avaient un compte Facebook en 2014, selon HabiloMédias

Est-ce que ça signifie que les enfants doivent avoir un compte de messagerie dès qu’ils apprennent à écrire leur nom ? « Ça dépend du parent et de la famille », estime Jane Tallim. Mélanie Millette, professeure au département de communication sociale et publique de l’UQAM, convient pour sa part que Messenger Kids possède des atouts pour rassurer les parents en matière de sécurité en ligne. Elle suggère par ailleurs qu’un tel outil de communication peut compenser la perte d’une ligne de téléphone filaire dans les maisons.

Visée commerciale

« Facebook, c’est loin d’être une organisation sans but lucratif ou qui favorise l’éducation des enfants », tranche toutefois Mélanie Millette. Elle estime que le géant vise à familiariser les petits avec cette application dans l’espoir qu’ils l’adoptent pour l’avenir. « Quand on adopte une plateforme technologique, on a tendance à lui rester fidèle », dit-elle.

Jane Tallim perçoit aussi l’objectif strictement commercial de Facebook. « C’est de la bonne business », dit-elle. Or, si Facebook est une marque reconnue, les adolescents tendent en effet à la délaisser au profit d’autres applications, notamment Snapchat et Instagram, parce qu’ils ne souhaitent pas être là où se trouvent aussi papa, maman et grand-maman. Initier les enfants à Messenger très tôt constitue sans doute une tentative de freiner cette migration.

Le réseau social américain perd en effet du terrain chez les moins de 30 ans, observe Mélanie Millette. À ses yeux, les fonctionnalités les plus ludiques de Messenger Kids sont directement inspirées de son concurrent Snapchat. « Je crois que Facebook voit l’occasion de consolider sa présence auprès de la jeune génération et peut-être sa position de plateforme de réseau social familial [par excellence] », analyse-t-elle.

Publicité détournée ?

En plus de miser sur le caractère sécuritaire de son application, Facebook insiste sur le fait qu’elle ne servira pas à faire de la publicité destinée aux enfants. Messenger Kids se plie aussi aux dispositions du Children’s Online Privacy Protection Act (COPPA), qui exige notamment un consentement explicite des parents pour récolter des données sur les enfants de moins de 13 ans.

Mélanie Millette croit que si Facebook ne peut viser directement les enfants, Messenger Kids lui permettra de le faire… à travers les parents. « Facebook va documenter de manière très fine l’activité du parent, pense-t-elle. On va savoir combien il a d’enfants, leur âge, combien sont issus d’un mariage précédent, connaître les thématiques qui les intéressent et segmenter très finement les goûts de ces enfants à travers le profil du parent. »

On ignore encore quand ou même si l'application sera offerte au Canada.

Facebook n’est pas le premier géant à viser les enfants à travers une application qui leur est destinée. Google, propriétaire de YouTube, a lancé aux États-Unis une plateforme baptisée YouTube Kids dont le contenu est supervisé, ce qui évite aux petits yeux de tomber sur des vidéos au contenu trop explicite. YouTube Kids présente toutefois de la publicité aux enfants, ce qui n’est pas interdit au sud de la frontière.

* HabiloMédias fait partie des nombreux organismes que Facebook a consultés au cours du développement de Messenger Kids.

Trois étoiles, selon Common Sense Media

Common Sense Media, organisme américain d’éducation à la vie numérique soucieux de guider les parents, a déjà publié une courte recension de l’application Messenger Kids. Sa critique (coiffée de trois étoiles, sur une possibilité de cinq) rappelle que le parent, le tuteur ou n’importe qui disposant d’un compte Facebook peut chapeauter un compte Messenger Kids et approuver les contacts. L’application offre des émojis, des filtres ludiques et des animations appropriées pour les enfants. Common Sense Media convient que l’application ne propose ni publicité ni achats, mais recommande néanmoins de lire la politique de confidentialité pour bien saisir la nature des données récoltées, emmagasinées et éventuellement partagées par Facebook. Common Sense Media a déjà recommandé dans le passé des applications de messagerie pour enfants comme Marimba, Kuddle et Yo.

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