projet de loi 107 sur l’UPAC

Le malaise Lafrenière

Il existe plusieurs raisons d’être mal à l’aise avec le règne de Robert Lafrenière à la tête de l’UPAC, mais elles ne justifient pas de s’opposer au projet de loi 107.

La nouvelle loi fera quatre choses : modifier le mode de nomination du chef, renforcer l’autonomie de son escouade, élargir son champ d’activité et créer un comité de surveillance (voir encadré). Le vote devrait avoir lieu aujourd’hui. Péquistes, caquistes et solidaires s’y opposeront à cause de la crise de confiance envers l’UPAC.

L’unité est éclaboussée par des allégations de congédiements abusifs et de promotions arbitraires, sans oublier les mystérieuses fuites et l’arrestation encore inexpliquée du député libéral Guy Ouellette. On ignore toutefois les torts attribuables à M. Lafrenière lui-même. Par contre, on sait que le commissaire est difficile à suivre… Après avoir juré qu’il n’avait « rien à cirer de l’agenda politique », M. Lafrenière indiquait en décembre qu’il éviterait de faire des perquisitions ou arrestations durant la prochaine campagne électorale. 

Bref, cette crise de confiance, l’opposition ne l’invente pas. Reste que cela ne constitue pas un argument contre la loi. C’est plutôt le contraire.

Le mode de nomination ne changera rien au règne de M. Lafrenière. Son mandat se termine en 2021, et il s’agit de son dernier.

Il est vrai qu’un récent rapport a dénoncé le climat de travail toxique à l’UPAC. Or, renforcer son autonomie pourrait aider. En effet, cette crise interne découle au moins en partie d’un manque de loyauté. Les enquêteurs de l’UPAC, qui sont prêtés par d’autres corps policiers comme la Sûreté du Québec, manquent de sentiment d’appartenance. Avec la nouvelle loi, les enquêteurs seront engagés par l’UPAC, et ils se rapporteront d’abord à elle.

Mais l’UPAC mérite-t-elle qu’on élargisse son champ d’activité au-delà des contrats publics ? Il faut penser au long terme. L’histoire démontre que la Sûreté du Québec ne priorise pas les enquêtes sur la corruption. Voilà à quoi sert l’UPAC. Et pour jouer ce rôle, elle doit s’intéresser aussi aux subventions et aux nominations, ce que permettra la nouvelle loi.

Ajoutons que ces nouveaux pouvoirs viennent avec de nouvelles redditions de compte. L’UPAC devra se rapporter à un comité de surveillance, nommé par un vote aux deux tiers de l’Assemblée nationale.

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L’opposition reste insatisfaite. Elle aurait voulu que le patron de l’UPAC soit lui aussi nommé par l’Assemblée nationale. C’est ainsi qu’on procède pour le vérificateur général, le protecteur du citoyen, le directeur général des élections, la commission des droits de la personne ainsi que les commissaires à l’éthique et au lobbyisme.

L’idée est loin d’être aussi bonne que l’opposition le prétend.

Certes, ce n’est pas une hérésie – c’est ce que la ville de New York fait avec son escouade spéciale, pour que tous les partis appuient officiellement le chef.

Reste que selon la commission Charbonneau, ce n’est pas le meilleur modèle. Elle recommandait plutôt de copier le modèle du Directeur des poursuites criminelles et pénales (comité d’experts indépendants qui dresse une liste courte de candidats, parmi laquelle le gouvernement choisit). C’est ce que fait la nouvelle loi. 

Il y a une logique : les officiers nommés par l’Assemblée sont chargés de surveiller le gouvernement, au bénéfice des députés. Tandis que l’UPAC ne fait pas que surveiller le gouvernement, et elle ne travaille pas pour les élus.

De plus, le mode de nomination aux deux tiers n’empêche pas la partisanerie – il encourage au contraire les tractations en coulisses. Et il n’empêche pas non plus les erreurs – peu après sa nomination à la tête de la Commission des droits de la personne, Tamara Thermitus faisait déjà l’objet de plaintes à l’interne.

L’opposition craint malgré tout qu’un candidat de la liste courte soit « teinté politiquement », et que le gouvernement le choisisse en fonction de cette couleur. Or, le risque est faible à cause de la composition du comité indépendant (deux sous-ministres, un avocat, un représentant du monde municipal et un directeur de police).

Et surtout, l’opposition identifie mal le danger. Il réside plus dans la façon de congédier un chef que de le nommer.

Pour s’en convaincre, on n’a qu’à regarder le bilan de… Robert Lafrenière. Le gouvernement Charest a pris deux immenses risques : il a nommé à la tête de l’UPAC ce sous-ministre de la Sécurité publique, sans consulter un comité indépendant. Et pis, il a rendu son mandat renouvelable.

En 2016, M. Lafrenière enquêtait ainsi sur des libéraux tout en essayant d’obtenir un nouveau mandat. Il a arrêté Nathalie Normandeau la journée du budget, alors qu’il attendait une réponse du gouvernement Couillard…

Le projet de loi préviendra ces conflits d’intérêts en rendant les mandats non renouvelables.

Et M. Lafrenière ? Le péquiste Stéphane Bergeron a prétendu que si le commissaire gardait son poste, c’était parce qu’il détenait des informations incriminantes sur les libéraux. Il laisse ainsi entendre que M. Lafrenière devrait perdre son poste. Mais bien sûr, si le gouvernement Couillard le congédiait, M. Bergeron hurlerait à l’ingérence, et il aurait raison.

Soyons sérieux. Le gouvernement ne peut congédier le chef de l’UPAC en fonction des rumeurs du jour. Avant de faire ce geste gravissime, il doit lancer une démarche indépendante, comme ce fut le cas avec le chef de police de la Ville de Montréal. Pour l’UPAC, Québec devrait renvoyer le dossier à la Commission des institutions pour obtenir un avis non partisan. Ce mécanisme est d’ailleurs prévu dans la nouvelle loi.

Mais on n’en est pas du tout rendu là.

Ce que fait le projet de loi 107

Nomination

Un comité indépendant dresse une liste courte de candidats. Le gouvernement choisit ensuite parmi eux.

Champ d’activité

Les enquêtes de l’UPAC ne se limiteront plus aux contrats publics. Elles pourront désormais porter aussi sur des trafics de nominations, des subventions et d’autres formes de corruption.

Autonomie

L’UPAC pourra engager ses propres policiers au lieu de les emprunter à la Sûreté du Québec et à d’autres corps municipaux.

Reddition de compte

L’UPAC devra se rapporter à un comité de surveillance. Ses membres seront nommés par l’Assemblée nationale (vote aux deux tiers des députés), et non par le gouvernement.

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