De la Syrie à Montréal

Sublimer l’horreur de la guerre

Après avoir vécu l’horreur de la guerre, cinq artistes syriens, qui habitent aujourd’hui Montréal, racontent comment le conflit a influencé leurs œuvres et partagent ce qu’ils aiment le plus de leur ville d’adoption.

Lilia Bitar

Vidéo-poète

« Je suis venue ici il y a 16 ans. J’ai vécu l’épreuve de l’immigration, qui est un bouleversement de l’intimité et qui m’a rattrapée avec la guerre à travers d’autres personnes. Pour moi, l’arrivée des réfugiés syriens ici était l’occasion d’écrire des récits de vie. […] J’ai vécu dans plus d’une dizaine de pays, mais je considère encore que ma seule vraie maison est celle que mes parents avaient à Damas. Cette année, ils ont dû la vendre. Pour moi, cela signifiait quitter la Syrie pour de bon. Nos choses ont été dispersées, on a dû se défaire de certains de nos souvenirs. Cela a été difficile. »

Son message aux gens qui ne connaissent pas la Syrie :

« La Syrie était un pays aimé de tous. Les Syriens sont vraiment attachés à leur pays. C’est un pays où il y a beaucoup de vestiges. Il y a toujours le deuil, mais peut-être un jour le retour. »

Ce qu’elle aime le plus de Montréal :

« Le fleuve Saint-Laurent, qui a un élément aquatique et qui relie à d’autres lieux. J’aime l’idée de l’île : on est comme sur un bateau, sur un berceau, ça amène toutes sortes d’images. »

Sirin Baki

Peintre, céramiste, artiste qui travaille la porcelaine
Née à Alep

« Je suis arrivée ici avec mon fils il y a cinq ans. Quand nous sommes arrivés, la guerre venait de débuter. Malheureusement, mon mari est toujours à Alep. J’espère qu’il va pouvoir venir nous rejoindre bientôt. Cela va faire cinq ans que mon fils n’a pas vu son père. L’immeuble où on habitait à Alep a été bombardé. Mon mari a survécu miraculeusement. On a tout perdu : notre maison, nos affaires, tout [pleurs]… Cela a influencé mon art. J’ai commencé à dessiner les réfugiés. Toutefois, aucun art ne peut exprimer la réalité et la douleur qui nous habitent. »

Son message aux gens qui ne connaissent pas la Syrie :

« La Syrie était un pays multiculturel. On vivait bien ensemble. »

Ce qu’elle aime le plus à Montréal :

« Tout  ! Mais surtout le Vieux-Port, qui me rappelle le vieux Alep, ainsi que les parcs. L’amour et le soutien des Canadiens m’ont beaucoup touchée [pleurs]. »

Rock Arteen

Designer d’intérieur et peintre
Né à Alep

« Pendant la guerre, j’ai été confronté à la mort plusieurs fois. Une fois, une balle m’a traversé le corps, sous les épaules. Cela a changé ma vision. Au début, je voulais montrer la destruction dans mes créations artistiques pour que les gens sentent notre douleur. Mais comme les photos et les vidéos de la guerre expriment déjà la tristesse, j’ai décidé d’être optimiste et d’utiliser des couleurs gaies. C’est pour cela que j’ai commencé à faire plus du pop art que du dessin traditionnel. C’est grâce à leur optimiste que les Syriens survivent à la guerre. J’aime utiliser les couleurs vibrantes. Dans mes tableaux, je fais un clin d’œil à ma ville natale en évoquant les endroits symboliques comme la citadelle d’Alep. »

Son message aux gens qui ne connaissent pas la Syrie : 

« Alep et Damas sont parmi les villes les plus anciennes au monde. »

Ce qu’il aime le plus de Montréal : 

« Tout, mais surtout le Vieux-Port et le multiculturalisme. »

Hala Bitar

Artiste peintre

«  Je me suis réfugiée à Montréal il y a quatre ans. J’étais à Alep quand la guerre a commencé. J’ai vu des morts. Une fois, une balle est passée près de moi. C’était l’horreur. Je souhaite que tout cela soit un jour effacé de ma mémoire. On a perdu beaucoup de monde. La guerre a beaucoup influencé mon travail. J’ai commencé à voir la vie d’une autre façon. L’art est devenu un refuge et un moyen de m’exprimer. Pour l’une de mes œuvres, j’ai dessiné une femme avec son enfant dans les bras. La femme représente les mères syriennes, car il n’y a aucune mère qui n’a pas souffert pendant la guerre. »

Son message aux gens qui ne connaissent pas la Syrie : 

« La Syrie était un beau pays. J’espère qu’il redeviendra comme avant. »

Ce qu’elle aime le plus à Montréal : 

« J’adore surtout le Vieux-Port. »

(Propos traduits et condensés par Rita Boghokian)

Cham Chahda

Artiste, sculpteuse et céramiste
Née à Damas

«  J’habite à Montréal depuis huit ans. J’ai donc vécu la guerre de loin. Mais ma famille demeure toujours à Damas. […] Les photos de la guerre m’ont bouleversée. Endormie ou éveillée, j’avais ces images devant moi. C’était impossible de survivre sans évacuer la douleur présente en moi. L’art m’a permis de respirer de nouveau et il est devenu mon refuge. Je travaille beaucoup avec le corps humain. Récemment, j’ai fait des sculptures avec des objets principalement usagés. Pour moi, cela représente les objets que les gens ont laissés derrière eux : des objets qui avaient une grande valeur sentimentale pour eux. À travers ces sculptures, je voulais montrer la souffrance de tous les Syriens. On est tous témoins de guerres dans nos vies, mais c’est différent quand on sait que les gens qu’on connaît souffrent. »

Son message aux gens qui ne connaissent pas la Syrie :

« La Syrie est un beau pays. C’est vraiment triste, ce qui lui arrive. Ce ne sont pas seulement les Syriens qui l’ont perdu, mais tous les gens qui ont eu la chance de le visiter et de l’aimer. »

Ce qu’elle aime le plus de Montréal :

« Le Vieux-Port. »

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