Québec-Toronto

Jusqu’à 12 milliards pour un train « moderne »

Québec — Le gouvernement du Canada doit investir à terme de 6 à 12 milliards de dollars pour relier Québec, Montréal et Toronto par un service de train « moderne », où les trains de passagers n’auraient plus à céder le passage à ceux de marchandises.

L’annonce a été faite en grande pompe mardi matin, à Québec, en présence de plusieurs ministres fédéraux. Des conférences de presse ont suivi ou suivraient à Trois-Rivières, à Montréal, à Ottawa et à Toronto, faisant dire aux plus cyniques que des élections fédérales sont bel et bien sur les rails.

« Il n’y a rien d’électoral dans un enjeu comme celui-là. On parle de bâtir un pays moderne », a assuré le ministre François-Philippe Champagne. « On parle du plus grand projet d’infrastructure au Canada. »

L’engagement des libéraux fédéraux envers le train à grande fréquence (TGF) – à ne pas confondre avec le train à grande vitesse (TGV) – était déjà notoire. Ils avaient réservé 491 millions au projet dans leur dernier budget.

Mais l’annonce de mardi représente, selon le gouvernement, un engagement ferme, la preuve hors de tout doute que ce projet dans les cartons depuis des décennies aboutira finalement. Le projet sera terminé d’ici 2030, selon Ottawa.

Le gouvernement assure avoir analysé l’option du TGV. Le Canada est le seul pays du G7 à ne pas disposer de ces trains à grande vitesse, qui peuvent atteindre 300 km/h. Mais après une étude comparative, il a tranché en faveur de la fréquence.

« Le TGV coûterait beaucoup plus cher et prendrait beaucoup plus longtemps à construire », a expliqué le ministre des Transports, Omar Alghabra, lors de la conférence tenue dans le magnifique hall de la gare du Palais, à Québec.

Selon lui, les gains de temps d’un TGV étaient minimes à cause de l’accélération et de la décélération. « On a découvert que le temps gagné n’était pas efficace en rapport avec le coût et le temps de construction. »

Gain de 30 minutes entre Québec et Montréal

Le projet de TGF devrait coûter de 6 à 12 milliards, a précisé le ministre des Transports. Il vise à doter le corridor Québec-Toronto de voies ferrées réservées aux trains de passagers, qui doivent être aménagées au Québec sur la rive nord du Saint-Laurent. Les trains fonctionneront à l’électricité 90 % du temps.

À l’heure actuelle, les trains de VIA Rail doivent partager les voies avec les trains de marchandises. Ces derniers ont la priorité, ce qui engendre des retards. Seuls 67 % des trains de VIA Rail arrivent à destination à l’heure prévue.

Mais avec une voie ferrée réservée, 95 % des trains de passagers arriveraient à l’heure, assure VIA Rail.

Le TGF prévoit aussi que les trains circuleraient plus vite, jusqu’à 200 km/h. Ceci engendrera donc des gains sur tous les trajets. Montréal-Québec se ferait en 2 h 55 min ou 3 heures, plutôt qu’en 3 h 24 min à l’heure actuelle. Toronto-Montréal pourrait se faire en 4 heures, plutôt que 5 heures.

Fait à noter, Laval doit être desservi par le TGF, tout comme Trois-Rivières. Ottawa le sera aussi avec un embranchement. Mais il sera toujours possible de faire Montréal-Toronto sans passer par la capitale. Une gare sera par ailleurs construite à l’aéroport Jean-Lesage, à Québec.

« Ça va constituer une solution de rechange viable à la voiture, ce qui, nous l’espérons, désengorgera le réseau routier, diminuera le coût d’entretien des routes et diminuera [l’émission de] gaz à effet de serre », a expliqué le maire de Québec, Régis Labeaume.

« Une victoire pour Québec »

L’annonce de mardi représente, selon M. Labeaume, « une victoire pour Québec ». « Depuis que je suis maire de Québec, depuis bientôt 14 ans, régulièrement, on a remis en question la pertinence du tronçon Québec-Montréal au nom de la rentabilité », a rappelé le maire.

Jusqu’à tout récemment, certains membres du caucus libéral auraient préféré un TGV dans l’axe Toronto-Montréal. Les élus québécois du Parti libéral du Canada tenaient quant à eux mordicus à ce que Québec et Trois-Rivières soient reliés, ce qui aurait été difficile à justifier avec un TGV.

« Nous avions raison de nous battre pour que la ville de Québec soit incluse dans le projet », a lancé Régis Labeaume, qui a remercié abondamment les élus Jean-Yves Duclos, François-Philippe Champagne et Joël Lightbound.

Le PDG de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec s’est réjoui de l’annonce. « Il y a une réelle demande de la clientèle d’affaires. Actuellement, il y a une efficacité de moins de 70 %. Ça veut dire qu’une fois sur trois, tu pars en train le matin, tu as une réunion d’affaires et tu es en retard. Ça n’incite pas les gens d’affaires à prendre le train, qui vont souvent prendre l’auto », note Steeve Lavoie.

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain a aussi salué l’annonce, qui « fait écho à des revendications de longue date du milieu des affaires de la métropole ».

Les quelque 500 millions annoncés dans le dernier budget serviront surtout à défaire des « goulots d’étranglement » qui existent dans le réseau, notamment autour de Montréal.

Le gouvernement lancera le processus d’approvisionnement. Ottawa veut consulter les Premières Nations et les communautés établies le long du tracé. Des expropriations sont à prévoir. Il veut aussi discuter avec les entreprises de chemin de fer privées, notamment pour négocier des accès exclusifs au cœur des villes.

Puis, à l’automne, Ottawa veut lancer l’appel d’offres pour un partenaire privé.

Annonce préélectorale ?

Le temps choisi pour cette annonce fait dire au chef adjoint du Nouveau Parti démocratique que les libéraux « sont déjà en campagne électorale ».

« Ils ont fait le même coup en 2019. Ça fait six ans qu’ils sont au pouvoir et ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils commencent sérieusement à s’intéresser à cet enjeu pour lequel on milite depuis longtemps », a réagi Alexandre Boulerice dans un courriel.

« On parle d’investissements de l’ordre de 12 milliards ? Où sont ces sommes ? Les libéraux n’ont prévu que des miettes dans leur dernier budget », a-t-il ajouté.

Le Bloc québécois s’est quant à lui réjoui que Trois-Rivières et Québec fassent partie du scénario. Mais le parti de l’opposition estime qu’« il s’agit d’un énoncé d’intention qui a toute la nature d’une promesse électorale ».

« Cela fera maintenant six ans et trois élections que le projet figure parmi les promesses électorales libérales, et il n’y a toujours aucune garantie que le projet se concrétisera dans les faits », estime le porte-parole en matière de transports du Bloc québécois, Xavier Barsalou-Duval.

Au Parti conservateur, la députée Stephanie Kusie a quant à elle parlé de « répétition d’annonce ».

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