Portrait frédéric lalonde

L’entrepreneur qui rêve de 100 milliards

Frédéric Lalonde est à la tête d’une entreprise de 1 milliard de dollars installée dans Rosemont. Son ambition pour Hopper, une application qui indique quand acheter un billet d’avion au prix le plus bas, n’a pas de limites : un géant mondial de 100 milliards. Et tout cela a commencé par une visite au poste de police à 14 ans. Portrait en cinq temps.

Le pirate

À 14 ans, Frédéric Lalonde voit sa vie s’écrouler alors qu’il attend sagement au poste de police.

Quelques semaines plus tôt, ce crack de l’informatique trouve un défi à la mesure de ses compétences : pirater la cabine téléphonique de Bell Canada au coin de la rue, sur la Rive-Sud, face à Québec, afin de faire des appels interurbains gratuitement de l’ordinateur de son sous-sol. Rappel : nous sommes en 1987, et les interurbains coûtent une fortune. « Je m’étais rendu compte que les cabines téléphoniques de Bell, à l’époque, fonctionnaient au son. J’avais acheté un dialer des États-Unis. Pour composer à distance, j’avais déterré les fils de la cabine et relié le tout. J’avais le contrôle de la cabine du sous-sol de chez mes parents. »

L’histoire s’est mal terminée pour le futur cofondateur et PDG de Hopper et créateur de l’application mobile d’achat de billets d’avion du même nom établie à Montréal. L’entreprise vaut aujourd’hui 1 milliard de dollars – et pourrait valoir 100 milliards dans 20 ans, espère son ambitieux PDG.

« La qualité des fils téléphoniques était médiocre, et je devais souvent retourner creuser pour jouer avec les fils. Un soir, la police est passée pendant que je jouais dehors avec les fils. Ils m’ont amené au poste. Là-bas, je me demandais si j’allais aller en prison. Ils ont décidé de ne pas faire suivre le dossier. Le policier m’a dit d’arrêter ça. Avec le recul, je pense que les policiers m’ont trouvé sympathique. »

Les policiers reconduisent même le jeune homme de 14 ans à la maison. Bonne nouvelle : ses parents n’y sont pas. Mauvaise nouvelle : des centaines de disquettes de jeux vidéo piratés sont éparpillées sur le plancher du salon, à la vue des policiers. Initié très jeune à l’informatique par son père – professeur de microbiologie à l’Université Laval –, Frédéric Lalonde piratait des jeux vidéo depuis le primaire, pour ensuite les revendre dans la cour d’école. Ce soir-là, les deux policiers, visiblement pas des experts en informatique, ne s’attardent pas aux disquettes piratées. « On était trop en avance », dit Frédéric Lalonde en souriant.

L’incident de la cabine téléphonique a été déterminant dans la vie de Frédéric Lalonde. D’abord, il a mis fin à sa carrière de pirate informatique.

« Je me suis dit : “Là, il va falloir que tu prennes une décision à savoir ce que tu vas faire avec ton talent.” »

— Frédéric Lalonde

Encore aujourd’hui, Frédéric Lalonde repense à l’épisode de la cabine téléphonique quand il a un problème à régler chez Hopper. « J’aborde tous les problèmes de la façon suivante : comment je peux couper les fils et passer à travers le problème, mais de façon légale et éthique. »

Pour un entrepreneur de 45 ans à la tête d’une entreprise qui vaut 1 milliard de dollars, il est peu connu de Québec inc. et du grand public. Il faut dire que, malgré son charisme, il n’aime pas particulièrement être sous les feux de la rampe. Moins de temps pour se consacrer aux activités de son entreprise, explique celui qui a refusé une invitation pour devenir un Dragon à la télé de Radio-Canada.

Pas étonnant, donc, que sa notoriété reste modeste. En fait, sa conjointe est plus connue que lui. Il partage sa vie avec l’écrivaine Dominique Fortier (Les villes de papier, Au péril de la mer, roman qui lui a valu le Prix littéraire du Gouverneur général en 2016). Ils se sont rencontrés dans la jeune vingtaine. Deux semaines après leur première rencontre, il emménageait chez elle. Ils ont aujourd’hui une fille de 6 ans.

« Je passe l’été sur la plage avec ma fille de 6 ans, dit Frédéric Lalonde. Avec toute la folie [autour de Hopper], c’est super important de ne pas oublier à quel point ça passe vite. On réalise que la vie est courte et qu’il n’y a pas juste le travail dans la vie. »

Le décrocheur

Comme bien des entrepreneurs technos, Frédéric Lalonde est un décrocheur. « J’ai fait quelques sessions en sciences pures, puis en arts au cégep, mais j’ai réalisé que je n’étais pas fait pour l’école », dit-il.

Avec un autre ami qui décroche du cégep, il fonde en 1993 une entreprise de sites web et d’impression numérique. Les deux amis ont 19 ans. « Ç’a été une aventure extraordinaire, une période extrêmement formatrice, mais on dormait régulièrement au bureau et on se payait des salaires de crève-faim », se rappelle son ex-associé Carl Robichaud, aujourd’hui directeur créatif chez Lune Rouge, l’entreprise de Guy Laliberté.

L’aventure de l’agence Bromley dure trois ans. En rétrospective, elle en dit long sur le genre d’entrepreneur que deviendra Frédéric Lalonde.

« Frédéric est très charismatique. Il me faisait un peu penser à Steve Jobs pour sa vision de la techno. Il a une approche sans limites et une personnalité très inspirante. Il sait comment insuffler la confiance chez les autres. »

— Carl Robichaud, ami et ancien associé de Frédéric Lalonde

Déjà, l’ambition de Frédéric Lalonde n’a pas de frontières. « Frédéric a toujours été très visionnaire, se rappelle Carl Robichaud. Notre carré de sable était trop restreint pour sa vision. On était aux débuts du web, et il avait tout de suite compris le potentiel économique du web. On avait des visées internationales et on pensait qu’avoir un nom anglais allait nous aider. »

Sur le plan des affaires, Bromley, qui n’avait que des clients au Québec, a peut-être été un échec. Sauf que Frédéric Lalonde y apprend sa première leçon dans le monde des affaires. « Bâtir un produit plutôt que vendre son temps à l’heure », dit-il.

L’école américaine

À 22 ans, Frédéric Lalonde décroche son premier million. Enfin presque.

Il vient de lancer sa deuxième entreprise, Newtrade, avec un autre entrepreneur, Benoit Jolin. Les deux voient la popularité du tourisme sur le web. Les sites web de réservation d’hôtels auront besoin d’une structure pour gérer leurs réservations et leurs stocks, pensent-ils. D’où l’idée de Newtrade de créer un système de « back-office » qui permettrait aux entreprises de faire les réservations.

Même s’il a juré de ne plus vendre son temps, les deux associés se résignent au départ à faire des contrats de programmation pour faire vivre Newtrade. En 1995, le gouvernement du Québec veut un portail touristique sur le web. Québec donne le contrat à Bell, qui refile le contrat en sous-traitance à Newtrade pour 1 million de dollars.

« Au lieu de prendre le million et de s’acheter des Porsche à 22 ans, on a investi dans notre idée. »

— Frédéric Lalonde

Le jour, ses associés et lui travaillent sur le contrat de Bell. « La nuit, on codait pour créer le système. On était les seuls sur terre à avoir un système comme ça. Expedia envoyait 100 000 fax par jour, 10 % des réservations se perdaient… », dit Frédéric Lalonde.

Un jour de week-end, il est dans son bureau quand on cogne à la porte de Newtrade. C’est Eric Blatchford, PDG de la multinationale Expedia, installée à Seattle. Ce Montréalais est de retour en ville pour le week-end pour une réunion de l’équipe de football de McGill. « Il avait entendu parler d’une shop à Montréal avec deux gars et de notre système », dit Frédéric Lalonde.

Un mois plus tard, Expedia achète Newtrade pour plusieurs dizaines de millions (le chiffre exact n’a jamais été divulgué). Frédéric Lalonde, Benoit Jolin, la Caisse de dépôt et placement du Québec, Investissement Québec – les actionnaires de Newtrade – jubilent. « On a fait de l’argent, c’est un succès québécois, je me pensais bien hot », dit Frédéric Lalonde.

Son sentiment de fierté est de courte durée. Douze jours, très exactement.

C’est qu’après l’achat, il doit rester au bureau montréalais d’Expedia pour y intégrer Newtrade. Il voit alors les chiffres financiers d’Expedia. « Douze jours, c’est le temps qu’il leur a fallu pour rentabiliser le coût d’acquisition de Newtrade, dit-il. Là, je me suis trouvé pas mal moins hot. »

Il apprend une autre leçon à la dure.

« Il faut qu’on arrête de vendre nos entreprises trop tôt aux Américains, C’est une question de souveraineté numérique du Québec et du Canada. »

— Frédéric Lalonde

« Les Américains l’ont compris. Mais à 27 ans, [dans le contexte de 2002], je ne me blâme pas. Le capital de risque n’était pas assez développé au Québec, les entrepreneurs ne savaient pas ce qu’ils faisaient. On était en retard de 20 ans », dit-il.

Expedia lui sert d’école. Il travaille en étroite collaboration avec les cofondateurs Richard Barton et Lloyd Frink. Il se lie aussi d’amitié avec un autre dirigeant d’Expedia, Dara Khosrowshahi, aujourd’hui PDG d’Uber. « C’était une entreprise de 4 milliards, je ne savais pas lire les états financiers, et ils me disaient : “Ce n’est pas grave, tu vas apprendre.” Ce sont des entrepreneurs qui ont bâti pour 100 milliards en valeur d’entreprises. Ils l’ont fait trois fois [Expedia, Zillow, Glassdoor]. C’est avec eux que j’ai appris ce que c’est d’être entrepreneur. Ils comprenaient de façon viscérale ce que ça prenait pour bâtir une entreprise de commerce électronique. »

Frédéric Lalonde se retrouve aux premières loges des acquisitions d’Expedia : Hotel.com, Hotwire, TripAdvisor. Il comprend alors que le nerf de la guerre dans la création de valeur, c’est la propriété intellectuelle. « Expedia disait : “On va mettre 1 milliard pour avoir la propriété intellectuelle.” Au Québec, il y a une obsession sur la création d’emplois, peut-être un héritage de la Révolution tranquille alors que nos cerveaux s’en allaient », dit-il. C’est notamment pour cette raison qu’il est très critique aujourd’hui des crédits d’impôt du Québec pour les emplois dans les entreprises technologiques étrangères.

En 2006, il se fait offrir de quitter Expedia pour le dernier rejeton entrepreneurial du duo Barton-Frink : Zillow, une entreprise de services en ligne en immobilier. « J’ai dit non trois fois, je ne voulais pas vivre à Seattle », dit-il.

Aujourd’hui, Zillow vaut 6,9 milliards US à la Bourse de New York. Mais Frédéric Lalonde veut alors revenir à ses premières amours : l’entrepreneuriat.

La longue gestation de Hopper

En quittant Expedia en 2006, Frédéric Lalonde veut lancer une nouvelle entreprise dans l’industrie du voyage. Mais cette fois, il choisit de tenter le grand coup : un service qui s’adresse directement aux consommateurs, comme Expedia ou Booking.com.

La gestation de Hopper est longue et ardue : en 2013, six ans de travail et 22 millions de dollars en financement plus tard, l’entreprise n’a toujours rien à offrir aux consommateurs. Pas de site web, pas d’application mobile, rien.

Le concept initial de Hopper : proposer les billets d’avion les moins chers selon le type de vacances. Un exemple ? Vous souhaitez faire de la plongée sous-marine en Asie en février, Hopper vous trouvera la meilleure destination et les meilleurs prix pour les billets d’avion. Le même concept aurait ensuite pu être décliné avec l’hébergement.

Pour faire sa révolution des voyages en ligne, Frédéric Lalonde a toutefois besoin de données, beaucoup de données. Plus précisément de toutes les recherches de prix de vols sur le web pendant des années. C’est à partir de ces données que Frédéric Lalonde, Sébastien Mainville et Joost Ouwerkerk – un ancien de Newtrade et d’Expedia – veulent bâtir l’algorithme de Hopper, qui obtient un premier financement de 250 000 $ auprès du fonds canadien de capital de risque Brightspark Ventures, une firme de Toronto qui a un bureau à Montréal.

« Son idée n’était pas très définie, mais je me suis dit : “Wow, quel entrepreneur ! Et quel marché !” Je n’étais pas sûr de son idée, mais j’adorais son énergie. »

— Sophie Forest, associée directrice chez Brightspark Ventures

Les trois associés perdent essentiellement 2007 et 2008 à tenter de faire fonctionner une banque de données. Ensuite, ils passent trois années à convaincre les trois entreprises qui s’occupent de gérer les systèmes de réservation des plus importantes compagnies d’aviation du monde de leur donner accès aux données. « On a passé à travers trois rondes de financement, personne ne pouvait voir ce qu’on faisait, mais on avait les données et on y croyait », dit Frédéric Lalonde.

À l’époque, rien n’est glamour chez Hopper. « Frédéric avait compris une règle de base : tu dépenses le moins possible avant de savoir exactement quels sont ton produit et ton marché, dit Sophie Forest, qui siège au conseil d’administration de Hopper depuis 2009. Il y a plein de compagnies qui, au contraire, dépensent comme des malades. Eux étaient frugaux et travaillaient 90 heures semaine… »

Le destin de Hopper change le 29 avril 2014. Frédéric Lalonde ne se lève pas le matin avec une idée de génie. C’est plutôt un journaliste du New York Times – le voyageur frugal Seth Kugel – qui publie un article sur Hopper. Plus précisément sur une page secondaire du site web de Hopper, qui peut prévoir le prix des vols selon le moment de l’année. Hopper se sert de cette page pour inciter les journalistes à parler de son entreprise. L’histoire devient l’une des plus lues du New York Times, en plus d’être reprise à Good Morning America. Résultat : les serveurs de Hopper plantent ce matin-là. « En deux semaines, un million de personnes ont visité notre site », dit Frédéric Lalonde.

Le PDG se rend alors à l’évidence. « J’ai manqué ce que le journaliste du New York Times a vu », dit-il. Il réunit son conseil d’administration. « Il a dit : “Guys, the market has talked. Le point d’entrée, ce n’est pas l’inspiration ou la destination, c’est le prix du billet d’avion. C’est tout ce que le monde veut” », se rappelle Sophie Forest.

Hopper ne proposera plus de billets d’avion ou de voyages selon plusieurs critères précis. Le concept est simplifié : dire aux gens quand leur billet d’avion sera le moins cher.

Un autre dilemme se pointe toutefois à l’horizon : continuer avec un site web ou migrer vers une application mobile ? Les compagnies aériennes menacent de faire retirer leurs données d’un site web. Curieusement, elles n’ont pas la même objection pour une application. Et Frédéric Lalonde se rappelle l’une de ses devises préférées : celle de Walter Gretzky, le père du célèbre hockeyeur Wayne Gretzky.

« Quand on lui demandait pourquoi Wayne était le meilleur, il répondait que c’est parce qu’il patinait là où la rondelle s’en allait, pas là où elle était. Tous mes amis me disaient que j’étais complètement fou de fermer le site web alors qu’on commençait à avoir du succès. Je me suis fié sur le père de Wayne Gretzky : je suis allé où la rondelle s’en allait. Les applications étaient un domaine d’avenir. »

« Pour faire quelque chose de perturbateur, il fallait créer une nouvelle catégorie : le voyage sur mobile. C’était hyper risqué, il a dépensé des millions, mais ç’a été la bonne décision. »

— Sophie Forest, associée directrice chez Brightspark Ventures

L’application mobile de Hopper est lancée en janvier 2015. Le succès est instantané. Le jour du lancement, le PDG de Hopper reçoit un appel du siège social d’Apple. L’application n’étant offerte qu’en Amérique du Nord, Apple reçoit un tas de plaintes ailleurs dans le monde. « Est-ce qu’elle fonctionne ailleurs qu’en Amérique du Nord ? Si tu la mets en ligne tout de suite, je t’en devrai une », lui dit le gestionnaire de l’App Store. Les programmeurs de Hopper débloquent tout de suite le site pour le reste de la planète. C’est bon signe pour la suite.

Frédéric Lalonde au sujet…

… des réseaux sociaux et de Facebook

Il n’a pas de compte Facebook. « Je sais l’info qu’ils vendent et je ne veux pas participer à ça. Le coût [de Facebook], c’est notre information privée. Tu cèdes le droit de tes contenus, des photos de ta fille à Facebook. Ça me rend profondément inconfortable. De façon plus large, je trouve que l’échange que nous avons avec ces grandes compagnies américaines comme Google, Netflix, Amazon et Facebook est une menace à notre souveraineté culturelle et économique à long terme. Ces compagnies détiendront les banques de données sur nos comportements, et elles seront hors de portée de nos gouvernements. Le marché n’en vaut pas la peine. » Ironie : en 2018, Hopper a été l’un des plus importants clients publicitaires de Facebook au pays.

… de la discrétion

« Les entrepreneurs québécois que j’admire le plus – Charles Sirois, Aldo Bensadoun, la famille Simons – ont en commun une certaine discrétion. »

… du débat sur la pénurie de main-d’œuvre dans les technos et des mesures d’incitation fiscales offertes aux entreprises étrangères

« En technologie, il manque 30 000 personnes [au Québec]. Chaque fois qu’Ubisoft fait une embauche, ils ne créent pas un emploi [car il manque d’employés dans ce domaine]. On subventionne les entreprises étrangères pour qu’elles viennent usurper notre talent. »

… de sa philosophie d’embauche

Il est particulièrement pointilleux sur l’embauche des employés. Sa devise : embaucher lentement, congédier rapidement (« hire slow, fire fast », comme on dit à Silicon Valley). « Je rends tout le monde autour de moi fou avec ça », dit-il.

Rêver grand (et dire non à Airbnb)

Été 2016. Frédéric Lalonde est à San Francisco pour quelques jours, mais ce n’est pas pour y jouer les touristes.

Le PDG de Hopper a plutôt rendez-vous avec les dirigeants d’Airbnb, dont les cofondateurs Brian Chesky et Nathan Blecharczyk. Ils parlent de l’industrie du voyage, de leurs entreprises. Et inévitablement, Airbnb demande combien il faudrait pour acheter Hopper. Sauf que Frédéric Lalonde ne veut pas vendre. On s’échange des chiffres de façon informelle, mais les discussions sur un éventuel achat par Airbnb s’arrêtent là, avant même d’impliquer des avocats.

Ce séjour en Californie sera marquant pour Frédéric Lalonde, qui voue un grand respect aux dirigeants d’Airbnb, eux qui ont su garder la culture de l’entreprise dans un contexte de croissance effrénée.

C’est que, dans son plan d’affaires, Frédéric Lalonde ne manque pas d’ambition pour Hopper.

« On est à l’an 10 d’un plan de 30 ans. »

— Frédéric Lalonde

Aujourd’hui, Hopper est évaluée à 1 milliard CAN selon sa plus récente ronde de financement, l’automne dernier. (Comparaison imparfaite, mais intéressante : c’est l’équivalent de la valeur de Cascades, Produits forestiers Résolu ou Fiera Capital à la Bourse de Toronto.)

Frédéric Lalonde pense que, dans 20 ans, Hopper sera un géant mondial du voyage et vaudra 100 milliards, un peu à l’image du holding de Booking.com dont la valeur s’élève actuellement à 79 milliards US. (En guise de comparaison, l’entreprise québécoise la plus importante à la Bourse de Toronto, le CN, vaut actuellement 74 milliards.)

Hopper compte ainsi doubler son nombre d’employés… chaque année au cours des prochaines années. En 2018, Hopper est passée de 100 à 235 employés, dont 120 employés au siège social de Montréal. « Il va falloir qu’on soit 2000 ou 3000 dans cinq ans », dit Frédéric Lalonde.

En 2018, Hopper a fait des ventes de 1 milliard de dollars en billets d’avion. Ce ne sont toutefois pas les revenus de l’entreprise. Hopper, une entreprise à capital privé, ne dévoile pas ses revenus, ni ses profits ou pertes.

Actuellement, l’entreprise montréalaise perd de l’argent. Par choix, précise le PDG.

« La rentabilité ne devrait jamais venir avant la croissance en technologie, car les opportunités sont trop grandes. Est-ce qu’on pourrait être rentables ? Oui. Mais tu ne lèves pas 100 millions auprès des investisseurs [comme ce fut le cas l’automne dernier] pour être rentable, sauf pour réinvestir l’argent dans la croissance. »

— Frédéric Lalonde

« Les investisseurs récompensent la croissance. Chaque dollar qu’on pourrait prendre en profit ou en dividende, on le réinvestit. Notre marché [le voyage] est tellement grand, c’est pour ça qu’on est patients », dit-il.

L’entrepreneur québécois pense réussir là où Québec inc. a toujours échoué : créer un géant techno qui résistera au temps – et à l’appétit des capitaux étrangers. Hopper pourrait-elle devenir un géant mondial du voyage valorisé à 100 milliards de dollars ? Même si ça monte et ça descend vite dans l’univers de la techno, les actionnaires de Hopper pensent que rien n’est impossible.

« Les gens voyagent de plus en plus, et on voit la croissance d’entreprises comme Expedia et Airbnb. Est-ce que Hopper va atteindre ce niveau ? C’est très ambitieux, mais ce n’est pas impossible. Il avait des propositions [d’achat] très intéressantes sur la table, mais il a plutôt choisi de se refinancer et de bâtir une organisation de classe mondiale qui va jouer dans les mêmes ligues qu’Airbnb et Expedia », dit Thomas Birch, vice-président des fonds québécois de capital de risque de la Caisse de dépôt et placement.

Frédéric Lalonde est toutefois catégorique : pas question de vendre Hopper – dont l’actionnariat est très majoritairement canadien – à des intérêts étrangers. « La majorité et le contrôle de l’actionnariat, ça va rester au Québec tant que c’est moi qui serai en charge, dit-il. Pour avoir plus d’argent à court terme, on donne le contrôle et la propriété intellectuelle. Il faut qu’on arrête de créer une économie de sous-traitance. »

Hopper n’a pas d’actionnaire de contrôle, mais Frédéric Lalonde contrôle le bloc d’actions le plus important (avec les actions des employés). Les conventions d’actionnaires interdisent de vendre l’entreprise sans son accord, indique Frédéric Lalonde. Si tout se déroule comme prévu dans son plan de 30 ans, Hopper sera éventuellement obligée d’aller en Bourse pour se financer. « Je veux retarder [ça] le plus possible », dit-il.

En Bourse, c’est plus difficile pour un entrepreneur de garder le contrôle sur son entreprise et sur le plan d’affaires à long terme. Et Frédéric Lalonde est une « bête entrepreneuriale », selon Sophie Forest, qui siège avec lui au conseil d’administration de Hopper depuis une décennie. « Quand on cherche une bête entrepreneuriale, on cherche un Fred, dit-elle avec admiration. Les gens s’abreuvent de ses paroles. Il est intense et il a un petit côté parano comme tous les entrepreneurs, mais il le gère très bien. »

Le principal intéressé pose le même diagnostic. « C’est presque une maladie d’être entrepreneur, dit Frédéric Lalonde. C’est tellement dur. Les gens pensent qu’on fait ça pour faire de l’argent, mais il y a tellement d’autres façons plus faciles de faire de l’argent. Tu fais ça parce que tu n’es pas capable de faire autre chose. Ce n’est pas ce qu’on fait, c’est ce qu’on est. »

HOPPER EN BREF

Siège social dans une ancienne fonderie du quartier Rosemont, à Montréal, bureaux à Boston, New York et Sofia, en Bulgarie

235 employés, dont 120 à Montréal et 50 à Boston

Valeur de l’entreprise : 1 milliard CAN, selon le plus récent financement de l’entreprise, l’automne dernier

Ventes pour 1 milliard de dollars en 2018

Les revenus et les profits ou pertes de l’entreprise ne sont pas rendus publics

Actionnaires : Frédéric Lalonde et le bloc d’actions des employés, la Caisse de dépôt et placement du Québec, le fonds de pension canadien OMERS, le fonds canadien Brightspark Ventures, le fonds américain Accomplice, Investissement Québec et la division de capital de risque de l’entreprise américaine Citigroup

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.