Chronique

Faut qu’on se parle

Faut qu’on se parle ! Oui, Jean-Martin Aussant et Gabriel Nadeau-Dubois ont raison. Il faut qu’on se parle. Qu’on se parle de cancer, de chimio et des moyens alternatifs de le combattre. Il faut qu’on se parle de Josée Blanchette à Tout le monde en parle le week-end dernier. Il faut qu’on se parle de ce débat qui secoue le sacro-saint monde médical depuis une semaine.

La chroniqueuse Josée Blanchette, alias Joblo, a lancé un bloc de béton dans la mare en parlant de son expérience personnelle face au cancer : elle a combattu trois fois ce fléau en refusant la chimiothérapie. Des oncologues et hématologues n’ont évidemment pas tardé à réagir aux propos qu’elle a tenus sur plusieurs tribunes et à défendre bec et ongles les bienfaits de la médecine conventionnelle.

Sur les réseaux sociaux, des gens ont été très durs avec la journaliste, la traitant d’« ignorante » ou de « gourou en poncho ». Mais plusieurs ont aussi louangé son audace et ont promis de lire son livre. Ce que j’ai d’ailleurs fait.

Un conseil avant d’aller plus loin : on est aussi bien de s’habituer à ce type de remise en question de la médecine, car on en verra de plus en plus. Mardi soir dernier, j’étais au lancement du roman de Lucie Pagé, Sexe, pot et politique (Josée Blanchette y était aussi, d’ailleurs). À la fin de son livre, celle qui est correspondante en Afrique du Sud depuis des années signe une postface dans laquelle elle parle des bienfaits thérapeutiques du cannabis. C’est l’huile brute de cannabis (l’équivalent d’un grain de riz par jour) qui l’a débarrassée des symptômes insupportables que lui faisait connaître une ménopause extrême.

Dans son allocation mardi soir, Lucie Pagé a tenu à dire qu’elle croyait que les hormones pouvaient soulager certaines femmes en période de ménopause, mais que pour elle, ça n’avait pas fonctionné. Elle a surtout critiqué de manière virulente l’industrie pharmaceutique, qui, selon elle, empêche qu’on aille plus loin dans l’exploration de ce type de produits. Elle a fait cela en brandissant un petit pot d’huile de cannabis.

Peut-être que Josée Blanchette est trop radicale et critique face à la chimio. Peut-être qu’elle a manqué de nuance en présentant certaines statistiques dimanche soir. Peut-être que Lucie Pagé exagère les bienfaits thérapeutiques du cannabis. Mais on ne peut reprocher à ces deux journalistes qui débarquent en même temps dans l’arène publique avec un livre en poche et un discours singulier de susciter un véritable débat sur la question.

Peut-on parler des médecines non conventionnelles sans se faire traiter de « sniffeux de patchouli » ? Peut-on envisager que les extraordinaires avancées scientifiques et médicales réalisées puissent être mariées à d’autres approches ? Peut-on parler de médecine intégrative ? Peut-on mettre toutes les chances de notre côté pour sauver la vie des gens ?

Rarement on a vu et entendu autant de médecins dans les médias que cette semaine. Ils étaient partout pour défendre leur profession, mais aussi pour faire part de leur ouverture d’esprit. Des médecins ont exprimé clairement leur désaccord et reproché à Josée Blanchette un certain manque de rigueur. Mais certains ont aussi reconnu que les professionnels de la santé communiquaient parfois mal et devraient travailler à améliorer leur lien de confiance avec les patients.

Je ne suis pas en train de vous dire d’abandonner vos traitements et de vous faire des tisanes d’algues marines pour vous soigner. Celui qui vous parle s’en remet largement à la médecine conventionnelle et à des professionnels compétents pour conserver sa santé. Ce que je dis, c’est que je suis parfois consterné de voir à quel point des patients font preuve de passivité et à quel point ils deviennent des êtres soumis face aux médecins.

Trop de gens acceptent les ordonnances du médecin sans poser de questions. Ils ne font pas leur job de patient. Ils ne font aucune recherche sur les effets des médicaments qui vont entrer dans leur corps. Ils ne le font pas parce qu’ils sont paresseux et que beaucoup de médecins détestent qu’on brandisse des études quand on les rencontre dans leur cabinet.

Le débat qui a lieu depuis quelques jours est capital et formidable. On le doit à une journaliste courageuse qui est « passée au batte » ces derniers jours. On le doit aussi à l’espace médiatique et à un talk-show en particulier. Tant mieux si c’est par eux que cet important débat de société arrive. Mais avouez qu’il devrait venir d’ailleurs et pour d’autres raisons.

UNE RÉPLIQUE CE SOIR

L’équipe de Tout le monde en parle a décidé de donner la parole à un médecin, ce soir, afin de répondre aux affirmations de Josée Blanchette. Le docteur Félix Couture, hémato-oncologue à l’hôpital Hôtel-Dieu de Québec et professeur au département de médecine de l’Université Laval, est venu faire contrepoids aux propos de la journaliste.

Après l’enregistrement de jeudi soir, on m’a rapporté que le Dr Couture avait été nuancé. Il a remis en question certaines recherches mises de l’avant par Josée Blanchette. Il a expliqué les différences entre chimios préventives, curatives et palliatives. Il a abordé la question de l’implication de l’industrie pharmaceutique dans le développement et l’application de la chimiothérapie.

Félix Couture a surtout posé une question cruciale : est-ce que le discours sur le cancer doit uniquement venir des médecins ?

Guillaume Lespérance, producteur de l’émission, m’a dit qu’au départ, on souhaitait avoir trois ou quatre médecins sur le plateau. « On a essuyé plusieurs refus », m’a-t-il précisé. Étonnant ! On a eu l’impression toute la semaine que l’ensemble des médecins du Québec voulait riposter.

Il est plutôt rare que Tout le monde en parle donne la réplique à un invité une semaine plus tard. L’émission a-t-elle subi des pressions de la haute direction de Radio-Canada ? Tant du côté de la direction de la société d’État que chez Avanti Ciné Vidéo (qui produit TLMP), on me jure que non. Mais on m’a aussi dit que ça faisait l’affaire de la direction de Radio-Canada de voir ce médecin parmi les invités cette semaine.

Finalement, quand on y pense, si on avait invité un médecin en face de Josée Blanchette dimanche dernier, le débat des derniers jours n’aurait peut-être pas eu lieu. Et les téléspectateurs auraient eu droit à un échange enlevant et sain. Mais bon, on n’aime pas trop les confrontations publiques chez nous. À défaut de se confronter, essayons maintenant de se parler.

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