RACISME ET DISCRIMINATION ÉDITORIAL

Deux priorités, un forum

Après avoir critiqué hier l’expression « racisme systémique », nous analysons aujourd’hui les solutions qui s’offrent au gouvernement Couillard pour s’attaquer au réel problème du racisme et de la discrimination.

Il y a trois grandes modes de consultation :  la commission parlementaire, la commission itinérante et le forum. Dans notre contexte préélectoral, la dernière semble la meilleure.

LA COMMISSION PARLEMENTAIRE

La commission parlementaire à l’Assemblée nationale, à laquelle participent des élus et leurs invités, serait le pire choix. Les problèmes des minorités seraient noyés dans le cirque partisan. On en a déjà vu un triste avant-goût : le premier ministre Couillard a accusé le chef péquiste Lisée de « négationnisme », alors que M. Lisée lui-même refuse toute forme consultation.

LA COMMISSION ITINÉRANTE

La commission itinérante où témoigne le public paraît aussi risquée. Demander une commission est devenu une façon de transformer sa cause en priorité politique. Mais cet outil reste lourd et mal adapté à un problème aussi vaste.

On comprend la logique de ceux qui la souhaitent : puisqu’ils s’estiment marginalisés, ils réclament la parole. Mais la commission Bouchard-Taylor devrait servir de mise en garde. Même si le sujet de départ était circonscrit (les accommodements religieux), le micro s’y est transformé en crachoir pour parler d’une multitude de sujets. Le danger est encore plus grand avec une commission sur le racisme et la discrimination systémique, un thème hyper vaste qui peut inclure le chômage des immigrants, leur problème d’accès au logement, leur faible présence à la télévision, leur surreprésentation en prison, sans oublier le profilage racial de la police ou leur place dans les manuels scolaires. Étudier sérieusement tous ces sujets en quelques mois ressemble à une mission impossible.

Ce risque d’éparpillement ne décourage pas les militants qui réclament une commission. Ils veulent libérer la parole. Selon eux, cela aurait une valeur éducative, en permettant de mieux comprendre les différentes formes de discrimination. Et cela aurait aussi une valeur thérapeutique, en permettant de partager leurs histoires.

Encore une fois, même si on comprend l’intention, il n’est pas clair que l’objectif serait atteint. Ce n’est pas parce qu’on enferme des gens dans une pièce qu’ils finiront par se comprendre. Il arrive qu’ils en ressortent encore plus divisés.

Et même si on évitait cet écueil, il resterait le problème du calendrier. Les travaux parlementaires se termineront à l’été 2018. La campagne électorale commencera ensuite. Il reste donc au maximum une année pour déposer un projet de loi et le faire adopter. Dans un calendrier si serré, la commission pourrait n’être qu’un exutoire donnant l’illusion que le gouvernement a agi tout en ne faisant pas grand-chose. Les attentes seront à la hauteur des déceptions.

LE FORUM

Il reste une troisième forme de consultation, le forum, soit une série de rencontres sur des thèmes précis. Il suscitera avec raison des railleries. Les forums permettent souvent au gouvernement d’encadrer les discussions, juste assez pour ne pas être embêté… Malgré cela, cette formule paraît la seule qui permet de cibler un problème pour le fouiller en profondeur et y trouver des remèdes.

La discrimination peut toucher plusieurs secteurs : l’emploi, le logement, l’école, les médias, les relations avec la police, le système de justice. Les deux prioritaires sont l’emploi, qui permet la sécurité financière, et les relations avec la police, qui permet la sécurité tout court.

Le taux de chômage chez les immigrants et les minorités visibles est un problème complexe qui s’explique par une multitude de facteurs, comme la discrimination à l’embauche, les problèmes de francisation, l’échec des programmes d’accès à l’emploi, le manque de minorités visibles dans la fonction publique ou la reconnaissance des diplômes. Le forum pourrait les décortiquer par thèmes. Quant aux ordres professionnels, une réforme est déjà à l’étude à l’Assemblée nationale.

Quant au profilage racial, une consultation a déjà été menée par la Commission des droits de la personne en 2009. Elle a permis des progrès, comme le démontrent les premières condamnations du tribunal (contre la police de Montréal qui avait profilé un homme arabe, et contre un bar de Terrebonne qui refusait les Noirs). Mais il reste encore beaucoup à faire, comme le démontre le cas troublant du boxeur Custio Clayton, arrêté et menotté sans raison il y a deux semaines, alors qu’il conduisait sa voiture à Montréal. Avant de lancer une nouvelle consultation, il faudrait relire le rapport de la Commission, ainsi que ses recommandations tablettées.

Chacune des consultations examinées peut être modulée selon différents paramètres, et on ne prétend pas qu’une série de forums constitue LA solution idéale. Peut-être qu’il serait possible de trouver une formule hybride inédite. Mais dans tous les cas, le gouvernement devra éviter deux grands risques de dérapage : s’éparpiller dans les sujets et dans le temps, et polariser inutilement la population. Ce qui déjà en train de se faire.

DE L’ÉLECTORALISME ?

La commission n’était au départ pas une manœuvre électorale, mais elle pourrait le devenir.

Rappelons que ce n’est pas le gouvernement Couillard qui l’a réclamée en premier ni l’aile jeunesse libérale. L’idée a d’abord été lancée par des militants, en mai 2016, et elle avait même été reprise par les péquistes Alexandre Cloutier et Paul St-Pierre Plamondon.

À l’époque, ces militants ne pensaient pas à la lointaine campagne électorale – ils aspiraient simplement à trouver un emploi ou un logement et ne plus être embêtés par la police.

Ce qui pourrait par contre convertir leur demande en manœuvre électorale, c’est l’attentisme du gouvernement. Il n’a pas encore annoncé sa solution, et on approche de la dernière année de son mandat. Plus il reportera la consultation, plus les soupçons seront justifiés.

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