Entrevue avec David Malone, recteur de l'Université des Nations unies de Tokyo

« La meilleure leçon que le Québec ou le Canada ont à donner, c’est d’être eux-mêmes »

Le sort de millions d’êtres humains s’est amélioré depuis une quinzaine d’années, fruit du succès de nombreux programmes de développement international, estime le diplomate canadien David Malone. L’actuel recteur de l’Université des Nations unies de Tokyo, qui était hier l’invité du Conseil des relations internationales de Montréal à l’occasion du 70e anniversaire de l’ONU, déplore cependant que le Canada se soit au même moment isolé sur la scène internationale. La Presse s’est entretenue avec lui en marge de l’événement.

Que conseillerez-vous au prochain premier ministre du Canada en matière de politique étrangère ?

Ce qui est important si on veut s’intéresser au monde, si on veut être écouté dans le monde, c’est d’écouter soi-même et de tenter d’apprendre. Si on ne fait que prêcher son modèle national, on n’ira pas très loin internationalement, considérant que notre modèle, au Canada, ne peut pas s’appliquer en Algérie, au Yémen ou au Sri Lanka. Essayer de comprendre l’autre, voir où nous pouvons collaborer et être productifs avec d’autres sociétés et avoir de la sympathie pour les difficultés d’autrui est très important dans les relations internationales. Les relations internationales, finalement, c’est comme les relations humaines : il y a cette dimension d’écoute et de sympathie qui est extrêmement importante. Elle est présente chez plusieurs grands dirigeants dans le monde actuellement, mais très absente chez d’autres…

Le Canada s’est-il isolé par sa politique étrangère ?

Il y a une impression générale, au niveau international, d’un repli du Canada sur ses préoccupations internes, repli qui est constaté dans d’autres pays aussi, mais qui a surpris [plusieurs personnes] de la part du Canada. Je pense que la dimension de la politique étrangère actuelle qui a le plus causé la surprise, c’est que le Canada fasse la leçon à tout le monde. La meilleure leçon que le Québec ou le Canada ont à donner, c’est d’être eux-mêmes, c’est la société qu’ils ont créée, c’est cette expérience improbable d’un pays qui s’est taillé à travers l’immigration, qui continue à intégrer des communautés nouvelles. Tout ça est très intéressant pour le reste du monde, mais recevoir des leçons de qui que ce soit, c’est en général mal venu. C’est comme quand nos parents nous faisaient la leçon, ce n’était pas toujours très apprécié ni très efficace.

Quelles ont été les conséquences de ces changements ?

En général, le Canada a beaucoup moins dépensé internationalement. Le budget d’aide internationale du Canada ne s’est pas effondré, mais il s’est tout de même amoindri et ç’a été remarqué. Le Canada, à travers son discours, s’est montré moins ouvert aux mouvements de population qu’il ne l’a été historiquement, et ça, ç’a été très remarqué, parce que le Canada a déjà été un exemple dans ce domaine. Sur une période de quelques années, on ne le remarque pas, mais sur une longue période, on le remarque. C’est regretté aux Nations unies. Ce n’est pas un drame international, ce n’est pas comme si le Canada faisait la pluie et le beau temps internationalement. Je pense que ce qui gêne le plus, et là c’est un problème pour tous les partis canadiens, c’est la performance canadienne absolument lamentable dans le domaine des changements climatiques. Elle n’est pas pire en ce moment qu’elle ne l’était sous les libéraux. Donc, à noter pour monsieur Trudeau ou monsieur Mulcair, s’ils arrivent au pouvoir, que c’est là où il faudra renverser la vapeur rapidement, car la Conférence de Paris s’en vient.

Justement, le gouvernement qui sera formé à l’issue des élections devrait-il redéfinir la politique étrangère du Canada ?

Que ce soit le même gouvernement ou un autre, la performance canadienne a été lamentable depuis 20 ans et elle a été perçue comme lamentable depuis qu’on a trahi presque immédiatement nos engagements de Kyoto. Et ça, c’était sous un autre gouvernement. C’est un problème multipartite et ça va coûter de l’argent.

Quelle place le Canada doit-il occuper sur la scène internationale ?

Les pays en développement sont en marche. Nous pouvons être en appui à la marche qu’ils adoptent, mais nous ne pouvons pas leur dicter quoi faire si nous estimons qu’ils se trompent, qu’ils sont lamentables. Si on a des leçons à leur donner, autant s’abstenir.

Est-ce que le Canada se préoccupe suffisamment du monde qui l’entoure ?

Depuis 10 ans, le gouvernement a très peu parlé de relations internationales, sauf pour condamner tel ou tel acteur dans les relations internationales – et c’est nouveau parce que le Canada normalement est un pays internationalement ouvert, orienté vers les échanges internationaux, que ce soit commerciaux, humains, culturels. Mais ça reviendra, je ne suis pas inquiet.

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