Chronique

Faut-il geler les médecins ?

Faut-il geler la rémunération des médecins pendant cinq à dix ans ? Faut-il leur retirer complètement le droit à l’incorporation ?

Le péquiste Jean-François Lisée n’est peut-être pas le favori de la course à la direction du Parti québécois, mais il a le mérite de secouer le pommier. Ou peut-être que ceci explique cela, justement.

La rémunération des médecins du Québec a dépassé celle de l’Ontario, si l’on se fie aux données de l’organisme le plus crédible sur le sujet, soit l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Cette nouvelle que j’ai publiée et analysée en janvier dernier continue d’avoir des échos.

Selon les données de l’ICIS, les médecins à temps plein gagnent aujourd’hui 8,5 % de plus qu’en Ontario. Le rattrapage salarial signé en 2007 avec le gouvernement du Québec a donc été dépassé, notamment parce que l’Ontario a en partie gelé la paye de ses médecins pendant que le Québec l’augmentait.

En fait, le dépassement serait même plus grand que 8,5 %, puisque l’objectif de 2007 n’était pas de payer nos médecins comme les Ontariens, mais de leur donner une rémunération qui tient aussi compte de notre plus faible richesse relative (qui est à environ 90,5 % de l’Ontario). Tout pris en compte, nos médecins seraient trop payés d’environ 18 à 20 % (1).

Dans ce contexte, la proposition de Jean-François Lisée n’est pas farfelue. En prenant les chiffres de l’ICIS et en supposant que l’Ontario bonifie ses médecins de 2 % par année dans l’avenir, il faudrait quatre ans de gel salarial pour revenir au niveau absolu ontarien et environ neuf ans si l’on tient compte de notre richesse relative plus faible.

Ces chiffres sont contestés par les syndicats de médecins, qui présenteront d’ailleurs leurs propres comparaisons prochainement, selon mes renseignements. Il est possible que la méthodologie de l’ICIS surestime les écarts de quelques points de pourcentage, mais la tendance analysée est nette : après sept ans de hausse, nos médecins ont rejoint ou dépassé leurs collègues des autres provinces.

Faudrait-il un gel aussi long que 10 ans, comme le suggère Lisée ? Probablement pas. Mais envisager un gel ou une hausse de rémunération significativement moindre pour nos médecins, en particulier les spécialistes, n’est pas sans fondement, puisque les hausses passées privent le système de ressources financières importantes.

Les médecins vous diront qu’ils ont fait leur contribution, puisqu’une bonne partie de la hausse qui leur a été promise a été reportée, en vertu de l’entente avec le ministre Gaétan Barrette, en novembre 2014, dans le contexte du déficit zéro.

Pour ce dernier, justement, il n’est pas question de revenir sur cette entente. Néanmoins, il y a trois semaines, pour la première fois, Gaétan Barrette a publiquement reconnu que le rattrapage avait été fait. Conséquemment, il exige maintenant que les médecins assument l’essentiel des frais accessoires payés par les patients, qu’il a déjà estimés à 50 millions.

« La rémunération globale des médecins, tenant compte de la richesse collective du Québec, est à parité avec l’Ontario. Et en Ontario, [les frais accessoires] sont inclus dans la rémunération […]. Si je leur donnais les frais par-dessus, c’est comme si je leur donnais une augmentation. Je ne peux pas faire ça », a dit M. Barrette à mon collègue Tommy Chouinard.

Cette déclaration soulève une question importante : pourquoi les médecins du Québec continuent-ils de recevoir des paiements de rattrapage de l’entente de 2007 si le rattrapage a déjà été fait, de l’aveu même du ministre ?

En effet, dans un rapport publié à l’automne 2015, le Vérificateur général a indiqué que les versements pour le rattrapage ne sont pas terminés. Le gouvernement prévoit encore verser une somme additionnelle récurrente de 74 millions par année pour ce rattrapage, ce qui équivaut à près de 10 % de la somme promise en 2007. Si le rattrapage a été fait – et même dépassé –, pourquoi continuer à payer ?

Par ailleurs, Jean-François Lisée suggère de transformer le système de santé pour favoriser un meilleur partage des tâches entre les médecins, les infirmières et les pharmaciens. Dans le réseau, plusieurs réclament ce genre de changement, même des médecins. Ce travail d’équipe passerait notamment par une réforme des paiements à l’acte, suggère Lisée, car ce système nuit au travail d’équipe. En janvier 2015, j’ai d’ailleurs publié une enquête sur le sujet.

Lisée veut également abolir complètement l’incorporation des médecins, comme la Coalition avenir Québec, d’ailleurs. Sur ce sujet, ma position est claire. Je n’empêcherais pas les médecins en clinique de s’incorporer et de déduire leurs dépenses, je le ferais seulement pour ceux qui pratiquent exclusivement en établissement.

Par contre, j’abolirais le droit des médecins incorporés de fractionner leurs revenus avec leurs conjoints ou enfants pour économiser de l’impôt, tel qu’inscrit spécifiquement dans le décret ministériel. Cet avantage excessif devrait être réservé aux entrepreneurs ou aux professionnels qui prennent beaucoup de risques pour mener leurs affaires et non aux médecins qui n’ont pratiquement qu’un seul client payeur, l’État.

Les avantages des médecins sont impopulaires et Jean-François Lisée le sait bien, lui qui cherche à gagner des appuis pour accéder à la direction du PQ. Il reste que ses propositions secouent un pommier qui a besoin de l’être.

(1) La richesse relative est comparée selon la rémunération hebdomadaire moyenne de chaque province, tel que convenu entre le gouvernement et les médecins en 2007.

Rémunération des médecins

BARRETTE FERME LA PORTE À UN GEL

Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, ne veut rien savoir de la proposition de Jean-François Lisée de geler la rémunération des médecins. « Ce n’est pas ça qui est sur ma table à moi, a indiqué le ministre. On a signé des ententes, on en a signé une nouvelle. On ne va pas constamment rouvrir des ententes. » M. Barrette soutient que le salaire des médecins a déjà fait l’objet d’une entente. Il s’explique mal qu’un élu péquiste souhaite rompre ce contrat, d’autant plus que le parti milite pour le respect des ententes négociées avec Pétrolia dans le dossier du pétrole de l’île d’Anticosti.

— Martin Croteau, La Presse

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