Lutte antidopage

Quand la science prend de l’avance sur les tricheurs

L’Agence mondiale antidopage a réuni une douzaine de journalistes nord-américains pour un symposium à son siège social de Montréal, la semaine dernière. L’occasion de faire un bilan sur une lutte de plus en plus perfectionnée contre les tricheurs.

Hugo Houle avait un rival à l’œil avant le contre-la-montre des Jeux panaméricains de Toronto, l’été dernier. Double champion continental en titre, le Chilien Carlos Oyarzun s’était aussi illustré en janvier lors d’une étape d’un tour en Argentine, où le Québécois avait terminé troisième.

Un ou deux jours avant l’épreuve torontoise, Houle a appris qu’Oyarzun ne serait finalement pas sur la ligne de départ. Le cycliste de 33 ans venait de subir un contrôle positif. Le produit incriminant : le FG-4592.

Le FG-4592, ou Roxadustat selon son appellation commerciale, est une petite molécule mise au point par la biopharmaceutique californienne FibroGen. Encore en phase de recherche clinique, donc théoriquement interdit à la consommation humaine, le FG-4592 est destiné aux patients souffrant d’anémie ou de maladies rénales chroniques.

L’intérêt pour les athlètes ? Le FG-4592 stabilise les « facteurs induits par l’hypoxie » (HIF), en d’autres termes, le message que le corps est en déficit d’oxygène. « C’est le signal à l’organisme qu’il faut libérer de l’EPO », résume Olivier Rabin, directeur science à l’Agence mondiale antidopage (AMA).

L’érythropoïétine (EPO) stimule la production de globules rouges, qui transportent l’oxygène aux muscles. Ses versions synthétiques, prises par injection, ont bien sûr fait les choux gras des athlètes de sports d’endurance depuis les années 90.

L’un des intérêts du FG-4592 est qu’il se consomme par voie orale. « C’est potentiellement de l’EPO en pilule », illustre le Dr Rabin.

L’AMA ET L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE

À la mention de Carlos Oyarzun, Olivier Rabin ne peut réprimer un sourire de satisfaction. Le cas du cycliste chilien est l’illustration parfaite que la lutte antidopage a parfois un pas d’avance sur les tricheurs.

Le resserrement des relations entre l’AMA et l’industrie pharmaceutique, une priorité pour le scientifique depuis son entrée en poste en 2002, a permis la création rapide d’un test de détection pour le FG-4592.

« Si on veut passer d’un mode réactif à un mode proactif, souligne le Dr Rabin, il faut vraiment savoir ce que les gens développent comme substances et nouveaux médicaments potentiels qui deviendront les substances dopantes de demain. »

« On connaît ces médicaments des années avant qu’ils ne soient sur le marché. »

— Olivier Rabin, directeur science à l’Agence mondiale antidopage (AMA)

Réticentes à l’origine pour des raisons de secret industriel, l’industrie pharmaceutique et ses associations, dont le Dr Rabin est issu, se sont considérablement ouvertes depuis une conférence à Tokyo, au début de l’année.

« On a sondé ces industriels, on a dit : “Vos molécules nous créent du souci, est-ce qu’on peut travailler ensemble ?” C’est ce qu’on a fait. »

LA CAVALERIE DÉBARQUE

Après l’ajout du FG-4592 à la liste des substances interdites du Code mondial antidopage, « toute la cavalerie s’est mise en place » dans les laboratoires pour concevoir un test. « C’est valable pour cette substance, c’est valable pour d’autres », prévient le Dr Rabin.

Même si la molécule n’est disponible que pour la recherche, il est apparemment facile de s’en procurer par une simple commande sur l’internet.

En avril, le marcheur français Bertrand Moulinet est devenu le premier athlète à subir un contrôle positif au FG-4592. Le cycliste italien Fabio Taborre est tombé pour la même substance en juillet.

Carlos Oyarzun s’est fait prendre par le laboratoire lavallois INRS–Institut Armand-Frappier, dirigé par la Dre Christiane Ayotte, avant de pouvoir s’élancer au contre-la-montre des Jeux panaméricains.

« Le système ne les attrape peut-être pas tous, mais au moins, il en attrape, ça fonctionne », se réjouit Hugo Houle.

Oyarzun ou pas, le cycliste de Sainte-Perpétue a remporté la médaille d’or par une bonne marge. « Je pense qu’avec la performance que j’ai faite, j’aurais gagné quand même… »

La guerre

En juin, David Howman quittera la direction générale de l’Agence mondiale antidopage après un mandat de 14 ans. « La guerre contre le dopage sportif ne sera jamais gagnée, prévient le Néo-Zélandais. On doit gagner des batailles. Et on doit en gagner le plus possible pour réduire l’écart entre ceux qui trichent et ceux qui sont propres. On doit travailler fort en ce sens, tout en restant réaliste. »

Code révisé

Après deux ans de discussions et de révisions, la troisième mouture du Code mondial antidopage est entrée en vigueur le 1er janvier. L’un des principaux changements est l’entrée en vigueur d’une sanction prolongée à quatre ans dans le cas d’un « dopage intentionnel ». Sous l’ancien code, une suspension de quatre ans était possible dans le cas de « circonstances aggravantes ». « C’était rarement utilisé, souligne le DG David Howman. C’était l’une des choses dont se plaignaient le plus les athlètes. » La période de prescription est passée de huit à dix ans, ce qui permettra par exemple de retester les échantillons recueillis aux Jeux olympiques de 2008 avec les méthodes actuelles.

Des 283 304 tests antidopage menés dans le monde en 2014, 3866 ont permis de découvrir la présence d’une substance interdite, soit 1,36 %. En 2013, 2,21 % des échantillons s’étaient avérés positifs. L’AMA attribue cette réduction relative à l’efficacité du passeport biologique, qui mesure les marqueurs physiologiques qui pourraient être touchés par la prise de produits dopants. « En cyclisme, ça a changé la donne », souligne le Montréalais Alan Vernec, directeur médical de l’AMA. Si le passeport n’a pas éliminé le dopage, il représente un outil dissuasif « puissant », souligne le Dr Vernec.

Ligues professionnelles

L’AMA travaille étroitement avec les ligues professionnelles nord-américaines en vue d’améliorer leur programme antidopage. Elle espère, par exemple, que la Ligue nationale de hockey adoptera une politique conforme au Code mondial pour la Coupe du monde qui se tiendra à Toronto en septembre 2016. « Est-ce que l’une ou l’autre des ligues majeures vont signer le Code ? demande David Howman. Je ne crois pas. Je crois qu’elles s’en remettront à leur approche indépendante envers leur sport respectif. »

Recherches

De 2001 à 2015, l’AMA a dépensé plus de 68 millions de dollars en recherche de toutes sortes. Des 1242 projets reçus, 447 ont eu le sceau d’approbation. Le Comité international olympique a offert 10 millions de dollars pour financer de nouvelles recherches innovantes si les gouvernements acceptaient d’égaler cette somme. L’AMA s’attend à ce que les pays acceptent de fournir 6 millions, pour un fonds total de 12 millions. De ce total, 1 million de dollars seront utilisés pour des recherches en sciences sociales.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.