Attentat de Québec

Jeûner sans l’être aimé

Québec — Six familles de Québec portent le deuil d’un être cher depuis le 29 janvier. Pour eux, l’absence du mari perdu, du père tué, est encore bien loin d’être comblée.

Longtemps, elle n’y a pas cru. Mort, son mari ? Dans un attentat à 2500 mètres de chez lui ? C’était impossible. « Il est parti pour prier. Pour quelques minutes. On attendait et il ne revenait pas. J’étais dans le déni total. » Depuis, Fatoumata Diallo, veuve et mère de quatre enfants, a pris toute la mesure de la disparition de son mari, Ibrahima Barry.

Pendant des semaines, des centaines de personnes sont venues la visiter pour lui témoigner leur sympathie, relate la femme de 31 ans. La plupart des visiteurs étaient originaires de Guinée, tout comme Mme Diallo et son mari, mais beaucoup d’autres membres de la communauté musulmane ont aussi fait partie de cette douce armée de visiteurs. « Parfois, il y avait tellement de monde qu’on devait dire à un groupe de partir pour faire de la place à ceux qui attendaient », raconte-t-elle, assise sur le divan de cuir défraîchi d’un appartement modeste.

« Les enfants ont été bouleversés par la mort de leur père, surtout les deux filles, qui ont 13 et 6 ans, mais grâce à Dieu, on a eu beaucoup de soutien », dit la jeune maman, qui a aussi deux garçons âgés de tout juste 2 et 3 ans.

Ramadan en solo

Le soutien de la communauté, du gouvernement et de sa famille a permis à Fatoumata Diallo de traverser des mois difficiles, sur les plans tant psychologique que financier. Informaticien pour Revenu Québec, Ibrahima Barry était le seul salarié de la famille. « Je m’en suis aussi remise à Dieu. Sans lui, je ne serais jamais passée au travers », dit la fervente musulmane, ajoutant que sa foi n’a fait que grandir après le traumatisme du 29 janvier.

L’arrivée du ramadan lui rappelle cependant aujourd’hui l’immense absence de son mari.

« Pendant le ramadan, on priait ensemble. On rompait le jeûne ensemble. Je suis très heureuse que ma mère et mes deux sœurs soient venues de Guinée pour le mois. Ça aurait été trop difficile de vivre ça toute seule. » — Fatoumata Diallo

Mme Diallo, obéissant de manière stricte aux règles guinéennes du deuil musulman, doit limiter ses déplacements au minimum jusqu’au 5 juin, soit quatre mois et dix jours après la mort de son mari. Elle prévoit ensuite reprendre une vie plus « normale ».

À quoi ressemblera cette vie  ? « Je ne le sais pas du tout », dit-elle en baissant les yeux.

Au cours des derniers mois, elle a gardé le contact avec les familles des autres victimes de l’attentat. « Mais on vit chacun notre deuil à notre façon », se contente-t-elle de dire.

Appeler à l’aide

La femme d’Azzedine Soufiane, le propriétaire d’une épicerie-boucherie halal qui est mort en tentant de neutraliser l’assaillant lors de la tuerie de la mosquée, a pour sa part dû reprendre le commerce de son mari. Lorsque la mère de trois enfants est débordée, des amis lui viennent en aide.

Lors de la visite de La Presse à l’épicerie Assalam, qui se trouve tout près de la Grande Mosquée de Québec, Ramzi Ferjani, habituellement livreur de pizza, a troqué son unique journée de congé contre un tablier de boucher à l’épicerie Assalam. « Pour nous, M. Soufiane était quelqu’un de très proche. Quand Mme Nejat nous a appelés pour nous demander de l’aide, on n’a pas hésité. M. Soufiane nous a beaucoup aidés dans le passé, c’est à notre tour de rendre la pareille », dit Ameni Chaouechi, la femme de Ramzi Ferjani, rencontrée sur place.

Deux puits pour les victimes

Alors que la vie reprend son cours, la communauté musulmane de Québec réfléchit à la manière dont elle aimerait rendre hommage aux victimes. La Grande Mosquée espère pouvoir installer bientôt une plaque commémorative dans un parc de Québec.

Pour réaliser un rêve de Mamadou Tanou Barry, la seconde victime d’origine guinéenne de l’attentat de Québec, un organisme de bienfaisance amasse actuellement des fonds. « C’était la volonté de Mamadou de creuser un puits dans sa ville d’origine en Moyenne-Guinée et de le munir d’une pompe fonctionnant à l’énergie solaire, dit Souleymane Bah, président de l’Association des Guinéens de Québec et un des instigateurs de l’initiative. Il envoyait de l’argent pour ça en Guinée. En son honneur, nous tentons d’amasser 25 000 $ pour creuser deux puits, dans sa ville et dans celle d’Ibrahima Barry. Ces puits seront à la mémoire de toutes les victimes du 29 janvier. On leur doit bien ça. »

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