SHINRIN-YOKU

À PAS DE TORTUE

EASTMAN — Tandis que des clients se prélassent dans les bains thermaux ou s’abandonnent aux soins de massothérapeutes du Spa Eastman, un petit groupe de six personnes, manteaux chauds sur le dos, souhaite expérimenter la détente autrement, avec la marche antistress. « Cette activité est méconnue et sous-estimée. Le bien-être procuré vaut celui d’un soin », insiste Jocelyna Dubuc, présidente du Spa Eastman. L’activité y est offerte depuis des années.

Thérapeute sportif, Etson anime la séance. Il nous devance sur le sentier rocailleux qui traverse la clairière et le bois. Ce matin, l’hiver s’acharne sur les vallons de l’Estrie, il fait à peine 0 ºC. Au bout de quelques mètres, il s’arrête. Nous aussi.

« Adoptez une posture confortable, fermez les yeux et tentez de prendre une photo de votre état d’esprit, de vos sens. Prenez une grande respiration et ouvrez les yeux. »

— Etson, thérapeute sportif

Ça y est, la marche peut commencer. Notre retour est prévu dans 40 minutes. Combien de kilomètres parcourrons-nous ? Ai-je bien verrouillé la porte de la maison à mon départ ? Aurais-je dû apporter une gourde ? Ma fille aura-t-elle froid pendant la récréation ? Notre tête est empêtrée de mille et une pensées et préoccupations. Au fil des pas, leur nombre diminuera de façon marquée.

« Le but, c’est de lâcher les tensions qui sont dans le corps, d’être bien et de se rendre disponible à ce qui se passe, explique Mme Dubuc. Quand les gens commencent la marche, ils ont la tête ailleurs, pleine de pensées, mais on les amène à prendre un temps d’arrêt. »

MARCHER À L’AVEUGLE

Dès les premiers mètres, Etson impose au groupe un rythme de marche lent. Très lent. Difficile de ralentir à ce point la cadence. Le pas mou, tardif, peut nous déstabiliser et même nous faire perdre pied. « Marchez comme si des lutins tiraient sur des cordes fixées à vos genoux, déposez le pied en le déroulant, du talon vers les orteils », conseille Etson. En suivant ses instructions, les mouvements s’enchaînent avec une nouvelle douceur.

L’animateur propose de poursuivre en ralentissant le rythme de notre respiration : en inspirant durant quatre secondes, en expirant durant six secondes. Mais c’est en marchant à l’aveugle (guidé par un autre participant) que l’on mesure pleinement l’effet antistress. « Ressentez le vent qui souffle sur votre visage, les rayons du soleil qui réchauffent vos joues. Sous vos pieds, portez attention aux textures ; aux cailloux, à la terre. » L’oreille devient plus attentive au murmure du ruisseau, aux gazouillis des oiseaux et… au bruit d’un tracteur et d’une perceuse tout près. « On s’excuse, on doit procéder à des rénovations en semaine », nous avait-on prévenue.

« Certains chefs d’entreprise ont participé à cette marche. Ils avaient tendance à guider, même les yeux fermés. Ils ont alors réalisé leur difficulté à se laisser porter. C’est souvent à ce moment que les plus coriaces réussissent à décrocher », dit Mme Dubuc. Selon elle, une marche à l’aveugle (environ 15 minutes) devrait faire partie d’une routine quotidienne, en ville comme en forêt. « C’est comme un bon café, c’est bon tous les jours. »

Chaque année, les 24 et 31 décembre, cette pionnière des spas au Québec anime une marche en soirée. Dans le noir, sans flambeaux. « C’est festif, les gens ont bu, ont mangé, ils jasent. Puis, au bout d’un moment, le silence s’impose et on est soudainement absorbé par la grandeur de la forêt. C’est magique. »

Ce matin, notre expérience prend fin au sommet d’une petite colline, devant un paysage montagneux enchanteur. « Certains clients qui participent à cette marche somnolent, rient ou éclatent en sanglots, dit Etson. Les émotions sont à fleur de peau. » Et les soucis temporairement envolés.

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