shinrin-yoku

PRENDRE UN BAIN DE FORÊT

SAINT-BRUNO-DE-MONTARVILLE — « On me taquine souvent, on pense que j’embrasse des arbres. Le shinrin-yoku n’a rien d’ésotérique ou de mystique », insiste d’entrée de jeu Bernadette Rey. Guide de forêt thérapeutique depuis l’an dernier, elle nous rencontre au parc national du Mont-Saint-Bruno, où elle a ses habitudes.

« Le shinrin-yoku signifie “bain de forêt”. On s’immerge dans la forêt afin de la recevoir avec tous ses sens », dit-elle. On la contemple, on la hume, on la caresse, on l’écoute, on la goûte. « Ça n’a rien à voir avec la marche nordique ou la course en forêt. On ne vise pas la mise en forme, mais uniquement le bien-être. » Une séance guidée dure habituellement 2 heures, mais 20 minutes peuvent suffire pour un effet ressourçant, selon elle.

Ici, la lenteur est primordiale. La cadence recommandée ? Un kilomètre/heure. Certains préfèrent même s’asseoir pour mieux absorber l’environnement. « Ralentir prédispose à recevoir les bienfaits de la forêt, comme dans un concentré », dit Mme Rey. Chaque saison a ses particularités. Le printemps, alors que la nature est en mouvance, est particulièrement invitant. « Il y a une telle multitude de nuances de vert à regarder. On sent la fraîcheur des fougères. Sous les pieds, un tapis de feuilles mortes, encore humides, se décomposent. On caresse les bourgeons, les nouvelles pousses. »

« Les bénéfices des espaces verts sur la santé sont nombreux, connus et documentés. »

— Mélanie Beaudoin, conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)

« Plus il y a d’espaces verts dans une zone, moins il y a de maladies coronariennes, de problèmes respiratoires, de migraines, de troubles anxieux et de dépression. » Et le shinrin-yoku ? « Dans une étude japonaise, des effets bénéfiques de cette pratique ont été observés concernant la dépression, la fatigue et l’anxiété. »

Depuis une trentaine d’années, de nombreux chercheurs ont étudié les effets thérapeutiques de la forêt. Ceux-ci ont notamment observé, chez des marcheurs en forêt, une baisse des marqueurs de stress, une amélioration de l’attention, une stimulation de la créativité, une diminution de l’agressivité et une amélioration de l’humeur. Ils ont aussi observé une baisse du taux de glucose dans le sang (chez des patients diabétiques), une baisse de la pression artérielle et une amélioration du système immunitaire. La simple vue de paysages verdoyants a des effets positifs sur la santé.

Dès 1982, l’Agence des forêts du Japon a proposé d’incorporer des bains de forêt à un mode de vie en santé. Au Japon, le shinrin-yoku a rapidement été considéré comme une activité majeure de relaxation. Le pays compte aujourd’hui 44 forêts thérapeutiques. La Corée du Sud accorde tout autant d’importance au shinrin-yoku en médecine préventive. L’Université nationale de Chungbuk offre un programme d’études en thérapie par la forêt. Quelque 500 guides en forêt thérapeutique en sortiront d’ici quelques années, peut-on lire dans le National Geographic. On trouvera au pays 37 forêts thérapeutiques dès 2017. La pratique est en essor en Norvège, en Espagne, en Suisse, aux États-Unis. Et le Canada emboîte le pas.

« Le shinrin-yoku n’a rien de farfelu. La nature est un endroit propice à l’introspection, à la plénitude », avance le Dr Robert Béliveau, qui offre des ateliers de réduction de stress à l’Institut de cardiologie de Montréal. Il y enseigne la méditation de pleine conscience. « La pratique du shinrin-yoku est à contre-pied de ce que la société nous propose. On vit à un rythme infernal. Quand on ralentit, on voit mieux le bleu du ciel, les bourgeons apparaître, les mille miracles de la nature. On est davantage dans l’instant présent. »

APRÈS LE TRIATHLON

Enseignante au collège LaSalle depuis 35 ans, Bernadette Rey pratiquait le triathlon, s’entraînait sans demi-mesure, jusqu’au jour où on lui a trouvé un anévrisme non rompu au cerveau. Inopérable. « À tout moment, il peut éclater et je peux mourir. » On lui a fortement suggéré de stopper l’entraînement, de ralentir la cadence. Et, surtout, de diminuer le stress.

Déjà adepte de yoga et de méditation, elle souhaitait pousser plus loin la relaxation. « Ces approches me faisaient du bien sur le moment, mais à la fin de la journée, je ne me sentais pas plus détendue », dit-elle. Puis, lors d’un de ses nombreux voyages au Japon, elle a découvert le shinrin-yoku. Ç’a été la révélation. « Les forêts au Japon sont majestueuses, avec d’immenses cyprès, des bambous, des criques. J’ai enfin été capable de décrocher totalement. »

Mme Rey a suivi une formation de guide auprès de l’Association of Nature & Forest Therapy aux États-Unis. Depuis, elle a accompagné plusieurs personnes en nature, en petits groupes ou en privé :  des étudiants anxieux qui peinaient à se concentrer, une femme endeuillée de son fils de 15 ans, une étudiante syrienne nostalgique de la nature de son pays, une voisine souffrant de la sclérose latérale amyotrophique. « À la fin, Danielle venait en fauteuil roulant. Elle avait même adopté un arbre dans sa cour. Ça l’incitait à prendre l’air, elle sortait emmitouflée. Ça lui faisait du bien. »

Mme Rey insiste : elle n’est pas une thérapeute. « Je ne propose pas de soulager les souffrances ou de guérir les maladies. Je ne m’inscris pas non plus contre notre mode de vie, mais je propose d’ouvrir une porte sur le calme, vers l’équilibre. » Pour faciliter le contact, aujourd’hui presque perdu, avec la nature.

Pas pour tous

Apaisante, la forêt ? Pas pour tous ! « Si je déteste les insectes, que j’ai peur d’être désorienté ou de croiser un ours, une balade dans le bois est peu indiquée pour me calmer. Il ne faut pas généraliser », souligne Catherine Raymond, candidate au doctorat en sciences neurologiques à l’Université de Montréal et chercheuse au Centre d’études sur le stress humain. D’aucuns relaxeront davantage lors d’une séance de magasinage ou en faisant de la mécanique, précise-t-elle. La clé : être dans l’instant présent. Si l’on pense à nos soucis, c’est raté. « Le vagabondage des pensées est associé à une augmentation des hormones de stress, même s’il augmente la créativité », note la chercheuse. Pour trouver une activité antistress, elle propose d’en faire l’essai plus d’une fois pour en mesurer les réels bienfaits, après l’effet de nouveauté.

— Sophie Allard, La Presse

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