Chronique

Un ancien du Canadien veut initier les Latino-Américains au hockey

Combien d’Américains parlent espagnol à la maison ?

Environ 62 millions. Soit plus que la population de l’Espagne, de l’Italie, de l’Angleterre ou du Canada. Un marché gigantesque, resté trop longtemps dans l’angle mort de la Ligue nationale de hockey.

Heureusement, ça commence à bouger. La LNH a maintenant un site en espagnol. Les Kings de Los Angeles, les Golden Knights de Vegas et les Blackhawks de Chicago diffusent des parties dans la langue de Cervantès. Les Stars de Dallas, eux, ont choisi de miser sur un ancien joueur du Canadien pour faire découvrir le hockey aux hispanophones du Texas.

Qui ?

L’ex-gardien Al Montoya, qui a disputé 23 parties avec le Tricolore en 2016 et 2017.

Al Montoya est l'un des très rares joueurs d’origine latino-américaine à avoir percé dans la LNH.

Les autres ? Scott Gomez. Raffi Torres. La mère de Bill Guerin vient du Nicaragua. Celles de Max Pacioretty et d’Auston Matthews, du Mexique. Et… et à une ou deux exceptions près, c’est pas mal tout.

Le titre officiel du nouveau poste d’Al Montoya ? Directeur des initiatives communautaires. Concrètement, il devra trouver des solutions pour faire rayonner le hockey là où il ne brille pas fort, fort.

« À Dallas, près de 50 % de la population est d’origine latino-américaine. Allez dans les écoles. Demandez aux enfants s’ils connaissent le hockey. Ils ne savent probablement même pas qu’il y a une équipe dans leur ville… »

— Al Montoya, directeur des initiatives communautaires des Stars de Dallas et ex-gardien du Canadien

Al Montoya sait de quoi il parle. Lui-même a grandi en espagnol, en Illinois, dans une communauté où les jeunes étaient surtout éblouis par les exploits des vedettes des Bulls, des Cubs, des White Sox et des Bears de Chicago.

« J’aimais le basket. Le baseball. Le soccer. Le football. Le hockey. Tous les sports. Le hockey n’était pas très populaire [dans mon coin], mais il y avait un aréna de l’autre côté de la rue. Mon grand frère, qui a quatre ans de plus que moi, s’est mis à jouer au hockey. Peu importe ce qu’il faisait, je voulais l’imiter. C’est comme ça que j’ai découvert le hockey. »

À l’époque, confie-t-il, il ne savait même pas ce qu’était la LNH.

« J’aimais la vitesse. La passion. Le niveau d’engagement que ce sport exige. Et l’équipement. Quand j’ai commencé à être gardien pour l’équipe locale, et que j’ai mis tout l’équipement, je me sentais comme un superhéros !

– Y avait-il d’autres Latinos dans tes équipes ?

– Euh… non. Le hockey, c’est un sport dominé par les gens d’origine caucasienne. J’étais presque toujours le seul Latino de mon club. Ma mère, elle, était la seule Latino dans les gradins. Sauf que tu sais quoi ? Le sport, c’est un niveleur social [equalizer]. Il permet de rassembler les gens, peu importe leur origine ou leur apparence. C’est un langage universel. On le voit très bien dans la LNH. Il y a des Russes, des Suédois, des Finlandais. Lorsqu’ils arrivent ici, ils ne parlent pas anglais. Pourtant, ils jouent au hockey comme les autres. C’est ce que j’ai vécu quand j’étais enfant. »

Ce n’est qu’au milieu de l’adolescence, à 16 ans, qu’Al Montoya a compris qu’il avait du potentiel pour percer – et ainsi devenir l’un des premiers hispanophones dans la LNH.

« Quand j’ai été repêché par les Rangers de New York au premier tour, en 2004, tout a changé. Soudainement, les journalistes de Telemundo et Univision m’interviewaient en espagnol. Ma mère donnait elle aussi des entrevues. C’était vraiment gros. Pour moi, c’était un honneur, car j’ai toujours été fier de mes origines et de ma culture. »

Son statut de minorité a été un atout pendant toute sa carrière, dit-il.

« Ç’a été plus facile pour moi de me sentir à l’aise auprès des Russes ou des autres Européens, car je comprenais le choc de culture qu’ils vivaient. »

* * *

Al Montoya a aujourd’hui 36 ans. Ses jambières et son bloqueur sont remisés. Il continue néanmoins de passer ses fins de semaine dans les arénas, pour convertir de jeunes hispanophones au hockey. Un gros défi. Surtout au Texas, où le football, le baseball, le basketball et le soccer sont tous très populaires auprès des jeunes.

Dans cet environnement compétitif, comment convaincre les jeunes Latinos de s’intéresser au hockey ?

« Tout commence avec la représentation, estime-t-il. Quand ils voient des joueurs issus de leur communauté sur la patinoire, les enfants des minorités peuvent se reconnaître. C’est la même chose avec les gens qui occupent des postes de direction. »

« Plus il y aura [de modèles], plus les gens des minorités seront [intéressés] par le hockey. Et c’est ce qu’on veut. Il faut attirer les meilleurs talents pour faire croître notre sport. »

— Al Montoya

« Ensuite, il faut exposer davantage les enfants au hockey. À Dallas, par exemple, il y a plein d’arénas. Le potentiel de croissance est énorme. Sauf que les gens ne savent pas tous que les Stars existent. Je repense à mes années à Montréal. Nous visitions des hôpitaux. Nous visitions des écoles. Nous nous impliquions au sein de la communauté. Maintenant que je suis directeur avec les Stars, et comme je suis latino, j’ai l’occasion d’offrir une perspective différente. J’ai une grande sensibilité pour rejoindre des communautés plus éloignées du hockey, notamment les hispanophones. »

Les Stars sont sérieux dans leur démarche. Au début d’octobre, Al Montoya et ses collègues se sont rendus à El Paso, à 10 heures de route à l’ouest de Dallas. Vraiment pas un berceau du hockey – 80 % de la population est hispanophone. Mais les gens de la communauté se sont mobilisés et ont remporté le concours Kraft Hockeyville, qui leur a permis d’obtenir du financement pour transformer un ancien centre équestre en patinoire de hockey. Les Stars sont allés y disputer une partie hors concours contre les Coyotes de l’Arizona.

« Les amateurs de sport d’El Paso ont parlé. Ils ont fait entendre leur voix. Ils ont été entendus. Ils nous ont dit : “Nous voulons du hockey.” Je pensais qu’en allant là-bas, on allait les initier. Mais non. Ce n’était pas le cas. Je regardais les noms des enfants derrière leurs chandails de hockey : Ortiz, Hernández, Fernández. Ces jeunes jouent déjà au hockey. Le sport est déjà en train de croître, là-bas. »

« Ce nouveau travail, conclut-il, c’est vraiment un honneur. Ça me permet de parler de mes deux grandes passions dans la vie : le hockey et ma culture. Plus il y a de gens qui s’intéresseront au hockey, le mieux ce sera pour notre sport. C’est comme ça que le hockey continuera de grandir, et de rester le meilleur sport sur la Terre. »

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