RÉPLIQUE

SALAIRE MINIMUM À 15 $
Un impact nécessairement négatif, vraiment ?

En réponse au texte de Norma Kozhaya, « Un impact nécessairement négatif », paru le 2 mai dernier

Dans une lettre d’opinion parue mercredi dernier, la vice-présidente, recherche et économiste en chef du Conseil du patronat du Québec (CPQ), écarte d’un revers de la main les conclusions de notre étude sur l’impact pour l’économie des régions d’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure.

Reprenant le mantra défaitiste patronal, elle affirme que « ce sont ceux qu’on tente d’aider qui seront les premières victimes, c’est-à-dire les personnes à faible revenu ».

Notre étude montre qu’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure entraînerait une augmentation globale de la masse salariale des personnes à bas salaire de 2,2 à 3,4 milliards. Ces calculs tiennent compte à la fois des pertes d’emploi appréhendées et de l’augmentation de la masse salariale des travailleurs et travailleuses à bas salaire qui conserveront leur emploi. Nous constatons que les effets positifs d’une telle hausse (gains salariaux) seraient de 9 à 11 fois plus importants que ses effets négatifs (pertes d’emplois).

Mme Kozhaya semble suggérer que nous avons volontairement sous-estimé l’ampleur des pertes d’emplois potentielles. Pourtant, l’hypothèse de 2 % de pertes d’emploi représente l’estimation la plus négative issue des recherches récentes au Québec.

Le CPQ avait lui-même commandé une recherche à la firme Dameco qui arrivait à des résultats plus optimistes que les nôtres. Réalisée en 2016 à l’aide d’un modèle d’équilibre général, cette recherche prévoyait des pertes d’emplois oscillant entre 0,2 et 1,3 % des emplois visés. C’est donc dire que si nous nous étions basés sur les résultats de l’étude du CPQ, nous serions arrivés à des retombées encore plus positives.

La vice-présidente du CPQ juge irréaliste l’hypothèse selon laquelle « les entreprises devraient comprendre qu’il est dans leur intérêt de mettre ce pouvoir d’achat dans les mains des consommateurs, puisque « plus de salaire = plus de consommation = plus de chiffre d’affaires ». Pourtant, le mérite d’avoir établi une telle équation revient non pas à nous, mais à d’illustres économistes, dont le Britannique John Maynard Keynes.

Selon Mme Kozhaya, nous affirmons que la hausse globale de la masse salariale additionnelle sera uniquement dépensée dans des entreprises à bas salaire. C’est pourtant faux. Si nous croyons qu’une partie des nouveaux revenus touchés par les bas salariés seront très certainement dépensés dans de tels commerces (pensons aux épiceries ou aux commerces de détail en général), d’autres secteurs bénéficieront aussi d’une hausse de leur pouvoir d’achat, comme celui de la construction résidentielle, par exemple. Il s’agit d’après nous d’impacts économiques positifs dont il importe de tenir compte.

Nous pensons en outre que les entreprises à bas salaire pourraient bénéficier de certains avantages en procédant à des augmentations salariales. D’une part, un salaire plus alléchant facilite l’attraction et la rétention de la main-d’œuvre.

En 2014-2015, Emploi Québec estimait que le taux de roulement annuel de l’industrie de l’hébergement et de la restauration atteignait 21 %, une proportion qui s’avère considérable. D’autre part, un meilleur salaire engendre généralement une meilleure motivation des employés, ce qui est aussi très important dans les industries où le service à la clientèle est primordial.

Enfin, Mme Kozhaya aborde l’enjeu de la pauvreté. Elle souligne que le salaire minimum actuel, à 12 $ l’heure, assure un revenu disponible qui permet une couverture des besoins de base adéquate, selon la Mesure du panier de consommation. Or, pour sortir de la pauvreté, il est nécessaire non seulement d’avoir les moyens de se procurer l’essentiel, mais aussi d’avoir une véritable marge de manœuvre financière et une autonomie économique.

Ne serait-il pas juste qu’une personne qui travaille à temps plein au salaire minimum puisse échapper réellement à la pauvreté ?

Les indicateurs de sortie de la pauvreté, comme le « revenu viable » élaboré par l’IRIS, ou encore le « risque de pauvreté » tel que défini par l’Union européenne, nous indiquent les seuils à atteindre pour dépasser la simple couverture des besoins de base.

Certes, un salaire minimum à 15 $ l’heure entraînerait quelques effets indésirables dans les premières années de son implantation. Or, dans le contexte d’un marché du travail dynamique, avec un très bas taux de chômage et une croissance soutenue des inégalités, notre étude met en lumière le fait que les avantages seront bien plus nombreux que les inconvénients.

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