Troittoirs glacés

Quelques exemples de cas

Chaque dossier où un juge accorde des dommages à une victime d’une chute sur un trottoir glacé correspond à un cas de négligence de la part de la municipalité. Voici quelques cas survenus dans les deux dernières années.

POIGNET FRACTURÉ 

132 236,12 $

DATE DE L’ÉVÉNEMENT : 5 JANVIER 2012

DATE DU JUGEMENT : 11 MAI 2015

Gertrude Forstinger marchait sur le boulevard LaSalle lorsqu’elle a chuté sur une « plaque de glace qui couvr[ait] toute la largeur du trottoir », dissimulée sous un mince manteau neigeux. Poignet fracturé. En étudiant les rapports de déneigement et les conditions climatiques, son avocate a réussi à démontrer un retard important dans l’épandage d’abrasifs par les cols bleus. « Le système d’entretien adopté par la Ville a fait défaut, a écrit la Cour supérieure. L’entretien et l’inspection se sont avérés inadéquats, insuffisants et fautifs. »

CHEVILLE FRACTURÉE 

27 000 $

DATE DE L’ÉVÉNEMENT : 2 MARS 2013

DATE DU JUGEMENT : 21 OCTOBRE 2015

Joshua Clement s’est fracturé la cheville droite en se rendant au travail au New City Gas, dans Griffintown, le 2 mars 2013. Une bonne quantité de neige était tombée ce soir-là. Devant le tribunal, deux contremaîtres montréalais ont admis que les trottoirs étaient en piètre état dans le secteur. En outre, « aucun épandage d’abrasifs » n’avait été effectué dans la semaine. La juge Anne Jacob estimait les dommages subis à 57 000 $, mais a réduit la somme de moitié parce que M. Clement portait de simples chaussures : « il a certes contribué à son malheur », écrit-elle.

TRAUMA GRAVE AU COCCYX 

3195,40 $

DATE DE L’ÉVÉNEMENT : 19 JANVIER 2012

DATE DU JUGEMENT : 9 JUILLET 2015

Une éducatrice de garderie « subit une douleur qu’elle décrit comme effroyable à tel point qu’elle a failli perdre connaissance » en chutant sur une plaque de glace, en janvier 2012 : « trauma grave au coccyx », trancheront les médecins. Devant la Cour des petites créances, la femme a réussi à convaincre la juge qu’il « n’y avait aucun produit abrasif épandu » à l’endroit où elle est tombée, ce qui « constitue de la négligence de la part de la Ville ». Celle-ci avait reçu des appels de plainte d’autres citoyens, mais n’a pas agi, a relevé le juge.

JAMBE FRACTURÉE À DEUX ENDROITS 

5000 $

DATE DE L’ÉVÉNEMENT : 16 DÉCEMBRE 2010

DATE DU JUGEMENT : 27 FÉVRIER 2015

Après avoir vu « au moins cinq ou six personnes glisser et tomber par jour depuis trois jours » sous ses yeux à cause d’une « grosse bosse de glace », une employée d’un magasin de la rue Beaubien Est a communiqué avec les services municipaux. Mais « rien ne s’est passé, l’énorme bloc de glace est resté là ». C’est ce qui a convaincu un juge des petites créances d’accorder 5000 $ à une piétonne qui a subi des fractures du tibia et du péroné en y chutant. Pire : « Personne n’est venu l’enlever [la glace] à la suite de cet accident et c’est le temps doux qui l’a finalement fait fondre. »

ROTULE LUXÉE 

7000 $

DATE DE L’ÉVÉNEMENT : 22 NOVEMBRE 2007

DATE DU JUGEMENT : 12 SEPTEMBRE 2014

Une avocate a chuté et s’est blessée en perdant pied sur une affiche publicitaire de l’organisme l’Itinéraire posée au sol et recouverte de neige. « La Ville a toléré la présence d’affiches […] après plusieurs journées de chute de neige », a déploré le juge Daniel Dortélus. « Elle a manqué à son obligation de prendre des mesures pour que les surfaces du trottoir ne soient pas recouvertes de pièges. » La Ville a été condamnée à des dommages de 7000 $, qui doivent être assumés par l’Itinéraire. L’organisme était assuré.

CHEVILLE DÉFORMÉE 

7000 $

DATE DE L’ÉVÉNEMENT : 6 FÉVRIER 2008

DATE DU JUGEMENT : 30 MAI 2014

L’hiver 2007-2008 a été exceptionnellement neigeux. Une femme de 62 ans a réussi à convaincre un tribunal que la Ville de Montréal aurait dû appeler des entreprises privées en renfort pour déneiger les trottoirs du centre-ville. C’est qu’une contremaître a admis devant le tribunal que l’absence d’abrasif était liée au « manque de personnel ». « La Ville a été fautive de n’avoir pas engagé une compagnie privée », a déterminé la justice. « La Ville n’a pas été diligente et a commis une faute. Cette faute a été la cause de l’accident. »

CHEVILLE FRACTURÉE À PLUSIEURS ENDROITS 

7000 $

DATE DE L’ÉVÉNEMENT : 24 DÉCEMBRE 2007

DATE DU JUGEMENT : 30 AVRIL 2014

La veille de Noël 2007, Marie-Anne Schwab s’inflige des « fractures multiples » à une cheville en chutant à sa sortie d’une boulangerie de l’avenue de Monkland. « La veille de l’accident, il y a des températures au-dessus de 0 Celsius et il pleut », écrit la juge des petites créances. « La nuit précédant l’accident, il y a une baisse des températures et il n’y a aucun entretien effectué. » Inacceptable, selon le tribunal :  « une journée occupée comme le 24 décembre entraîne une multiplication des déplacements », note la décision. L’« omission d’épandre des abrasifs constitue aux yeux du tribunal une démonstration » de négligence.

Trottoirs glacés

Des chutes qui coûtent cher à Montréal

Quand la ville se transforme en jardin de givre, nombreux sont les piétons qui perdent pied et se retrouvent au sol. Avec parfois une hanche ou une cheville cassée.

L’hôtel de ville n’a jamais payé autant en indemnisations à ses citoyens victimes de l’hiver : 275 000 $ depuis le début de 2015, la plus grosse partie en lien avec des incidents survenus au cours des années précédentes. C’est plus du double des sommes versées l’an dernier.

Gertrude Forstinger a contribué à faire exploser ce total : la dame de LaSalle a empoché 130 000 $ (plus intérêts) en mai dernier après s’être fracturé un poignet à la suite d’une mauvaise chute survenue trois ans plus tôt.

Mais chaque Montréalais qui soigne un membre – et son orgueil – après être tombé sur un trottoir glacé n’est pas au seuil de la richesse. Pour espérer gagner sa cause contre une municipalité, il faudra prouver la présence de négligence, a expliqué en entrevue la procureure de Mme Forstinger, Me Olivera Pajani. L’avocate est une habituée des causes où un préjudice physique a été subi.

« Un des principes toujours répétés par les tribunaux, c’est que la Ville n’est pas l’assureur des piétons, a expliqué l’associée du cabinet Kugler-Kandestin. 

« La Ville n’a pas à garantir aux piétons que son territoire sera toujours parfait, peu importe les conditions climatiques. » 

— Me Olivera Pajani, associée du cabinet Kugler-Kandestin

« Si vous sortez quelques minutes après une grosse pluie verglaçante et que vous faites une grave chute qui vous fracture la hanche, vous n’en avez pas, de cause », a expliqué Me Pajani. « La Ville a le droit d’avoir un délai raisonnable. »

Dans plusieurs dossiers – dont celui de Mme Forstinger –, les accidentés doivent présenter des données météorologiques afin de tenter d’établir que la Ville a manqué à ses obligations, que ses cols bleus n’ont pas adéquatement déglacé les trottoirs après des intempéries.

À l’hôtel de ville, on ajoute que Montréal n’est pas assuré pour ce type de risque. Les dédommagements auxquels il est condamné sont donc assumés à même le trésor public.

« Ajoutons que le déploiement des équipes d’entretien par les arrondissements pour assurer l’entretien hivernal des trottoirs a évidemment pour objectif de réduire le plus possible les risques de blessure », a indiqué par courriel le relationniste Gonzalo Nunez.

27 000 $ DE MOINS POUR AVOIR PORTÉ DE SIMPLES CHAUSSURES

Le comportement de la victime lors de la chute peut aussi nuire à sa réclamation. À la fin du mois d’octobre, un trentenaire a vu son chèque de dédommagement de 54 000 $ être amputé de moitié parce que la Cour supérieure a estimé qu’il avait contribué à l’accident en portant de simples chaussures à l’extérieur. « Si la victime portait des talons hauts, était en état d’ébriété, faisait du lèche-vitre avec le regard rivé sur les magasins ou parlait au cellulaire », une partie de la responsabilité pour l’accident peut lui être attribuée, a expliqué Olivera Pajani. « Même si la jurisprudence dit qu’un piéton n’a pas l’obligation d’avoir les yeux constamment rivés sur le sol, il faut faire attention. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.