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Un morningman en fromage-thérapie

Londres — Imaginez Paul Arcand quittant les ondes sans crier gare pour devenir ébéniste ou Patrick Masbourian embrassant subitement une carrière agricole.

C’est ce à quoi ont assisté les Anglos de Montréal, l’hiver dernier, lorsque le morningman de la station locale de CBC Radio One a troqué son micro contre le couteau. Mike Finnerty est parti à Londres, devenant fromager au charmant Borough Market et espérant guérir un mal difficile à nommer.

« Je n’aime pas le mot burn-out. Je n’étais pas brûlé, mais j’avais arrêté de voir le monde en couleurs », a-t-il confié pendant sa pause de 45 minutes top chrono, jeudi il y a quelques semaines, attablé devant un thé au lait brûlant. Pas une dépression non plus.

Au-dessus de sa tête, un train passe sur un pont d’étagement, en faisant un boucan d’enfer.

Pendant neuf ans à la barre de l’émission du matin, l’actualité lui a bourdonné en permanence dans la tête, de son réveil – vers 3 h – jusqu’au coucher.

« En janvier de cette année, un vendredi après-midi, j’étais au cinéma seul et je me suis rendu compte que c’était le meilleur moment de ma semaine. Ça ne devrait pas être comme ça », a-t-il dit, expliquant qu’il était tellement épuisé qu’il avait du mal à accepter la compagnie d’autrui.

« J’avais perdu contact avec moi, avec des choses qui font rire, qui font rêver. »

— Mike Finnerty

Sauter dans le fromage

La solution qu’il a trouvée : s’entourer de cantals, de gruyères, de tommes et de saint-nectaires. Se perdre dans les vacherins Monts-d’or, les beauforts et les Coulommiers.

Derrière le comptoir, le nouveau fromager de 54 ans – qui en paraît 15 de moins – fait goûter les différents produits avant de laisser le client choisir. Il trace une marque sur le bloc avec son couteau et empoigne le fil d’acier grâce auquel il en séparera une tranche à emballer dans du papier ciré.

Il n’a pas dit à ses collègues ou son patron qu’il était animateur de radio dans une autre vie, son visage imprimé sur d’immenses affiches installées au pied d’une tour brune, à des milliers de kilomètres de Londres. « Journaliste ». Ça a suffi.

En début de journée, c’est l’installation de l’étal, le transport des lourdes meules. À chaque fermeture, il faut brosser les croûtes à l’eau salée, tout emballer et réfrigérer à l’abri des souris, frotter les surfaces à l’eau de javel.

« Il y a certains fromages qui ont une odeur très forte, dont je ne suis pas vraiment fan, surtout après une journée d’été chaude », a-t-il rigolé. Malgré cela, il se réjouit des petites choses qui viennent avec le métier, des compliments d’une cliente ou des papilles satisfaites d’un goûteur.

« C’est un travail que tu peux mettre derrière toi en rentrant à la maison », a expliqué l’animateur. Un travail dur, physique, qui épuise le corps, mais pas l’esprit. Il l’exerce à temps partiel, ce qui lui donne le temps de meubler autrement le reste de ses semaines.

Avec son budget plus serré, il se procure des billets debout au Globe Theatre ou fréquente les musées – la plupart sont gratuits, à Londres. Il voit des amis. Car c’est aussi un retour aux sources pour Mike Finnerty, qui a vécu et travaillé dans la capitale britannique – à la BBC et au quotidien The Guardian – pendant une dizaine d’années à partir des années 90.

« Ce que j’ai réalisé en venant ici, c’est que je ne passais pas assez de temps à vivre, à aller voir le fleuve, à courir dans le parc, à aller au musée, à voir mes copains, a-t-il relaté. Ici, quand je vois des amis, je ne regarde pas constamment ma montre. »

« Ne pas retomber dans les mauvaises habitudes »

Le séjour – prévu sept mois et devant se terminer en octobre – s’est allongé. Mais l’heure du retour a sonné : il vendra son dernier morceau de fromage le 24 décembre, prendra son vol de retour le surlendemain et retournera en ondes le 6 janvier, toujours comme morningman montréalais de CBC Radio One.

Mais le soleil ne se lèvera pas plus tard afin d’accommoder son animateur et l’actualité ne prendra pas de pause pour le laisser respirer. Ses bonnes résolutions ne risquent-elles pas de dégonfler comme un soufflé à l’emmental ?

« On ne peut pas savoir avant de vivre l’expérience. […] L’enjeu va être de ne pas retomber dans les mauvaises habitudes, admet-il. Je n’ai pas le choix de croire que ça peut changer. »

Déjà, il a quitté Facebook et s’impose des « jeûnes » de Twitter. Dans une rencontre de préparation avec ses collègues, l’équipe s’est entendue sur un nouveau credo. « Il y a moyen de faire le boulot, de bien faire le boulot, sans être tout le temps branché, a-t-il dit. On veut être ambitieux, on veut très bien faire les choses, mais on ne veut pas perdre de vue l’essentiel : bien vivre. »

Bref, prendre le temps de déguster la vie. Comme un bon fromage.

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