Chronique

La peur

Tout le monde était étonné hier, moi la première. Un attentat dans une mosquée à Québec, six morts, des blessés graves. Québec, une ville homogène dominée par des Blancs francophones de souche. Pourquoi Québec, où il n’y a eu aucun meurtre depuis plus d’un an et demi ?

J’ai essayé de comprendre. Québec ne vit pas en vase clos. La ville fait partie de la province, qui fait partie du Canada, qui fait partie du monde. Un monde où souffle un vent de droite.

Quand Donald Trump fait la chasse aux musulmans, l’exemple de l’islamophobie vient de haut. Si le président des États-Unis se permet de signer un décret qui stigmatise les musulmans, il doit avoir raison, ils sont dangereux, fermons nos frontières. C’est le message que Trump envoie, puissant, toxique.

Je ne dis pas qu’Alexandre Bissonnette, le suspect arrêté hier, est influencé par Trump, mais depuis quelques années, un climat délétère empoisonne les esprits et libère la parole raciste et xénophobe. Trump n’a fait qu’ajouter une couche.

Le climat malsain est alimenté par des radios poubelles qui se permettent de dire n’importe quoi et des chroniqueurs qui vomissent sur les musulmans, les juifs… bref, sur tout ce qui n’est pas « nous », mais « eux ».

Depuis 10 ans, on manipule le baril de poudre identitaire sans se soucier des dégâts. La commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables a donné lieu à quelques dérapages islamophobes et la charte des valeurs a exacerbé la fibre identitaire, ouvrant la porte à la chasse au voile. Car dans tout ce débat, on revient souvent au voile, symbole musulman par excellence, le foutu voile que certains voudraient rayer de l’espace public au nom d’une laïcité intégriste et d’un féminisme obtus.

On a joué dans les marécages du nationalisme, dans la boue identitaire. Aujourd’hui, on en paie le prix.

Selon un récent sondage CROP-La Presse, 46 % des répondants affirment qu’il y a trop d’immigrants – une menace à la « pureté du pays » – , alors que ce chiffre n’était que de 35 % 15 ans plus tôt. Depuis 2006, le degré d’intolérance monte. Le débat sur les accommodements raisonnables date de cette époque. Troublante coïncidence.

Toujours selon CROP, la région de Québec se démarque pour son intolérance. Le nombre de répondants intolérants ou très intolérants dans la province se situe à 47 %, alors que le pourcentage grimpe à 55 % dans la région de Québec. Huit points de différence, c’est énorme.

L’intolérance repose souvent sur la peur, celle de disparaître. Le Québec a peut-être l’épiderme plus sensible, car il a été conquis en 1760 et il a dû se battre pour survivre. Sauf que le nationalisme mal canalisé peut mener à des dérives xénophobes.

La peur de l’autre repose souvent sur une vision fausse de la réalité. En cette ère de faits alternatifs, où même le président Trump croit ses propres menteries (il jure qu’il a attiré plus de monde qu’Obama à son investiture même si les photos prouvent le contraire), il est facile de croire que les musulmans représentent une menace et nous envahissent. Sauf que les chiffres soutiennent le contraire.

Selon Statistique Canada, le nombre de musulmans a plus que doublé au Québec de 2001 à 2011, passant de 108 620 à 243 430. C’est un fait, sauf que leur poids dans la société est infime. Dans sa série sur le racisme, ma collègue Rima Elkouri notait que les 243 430 musulmans ne représentent que 3,1 % de la population. Plus de 90 % d’entre eux vivent à Montréal.

Voilà pour les faits, les vrais.

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Le vent de droite ne souffle pas seulement sur les États-Unis. Il rugit en France, où le Front national de Marine Le Pen séduit nombre d’électeurs. Avec son discours anti-Europe et anti-immigrants, elle attire les foules.

Les hordes de migrants qui se sont jetées sur l’Europe ont nourri le repli sur soi. Cette année, des élections auront lieu aux Pays-Bas, en France et en Allemagne. Quels pays la droite – ou l’extrême droite – réussira-t-elle à conquérir ?

La peur a grossi comme un cancer avec la multiplication des attentats : Charlie Hebdo, le Bataclan et Nice en France, les attentats de Bruxelles, en Belgique… J’ai couvert Charlie Hebdo et Bruxelles. Chaque fois, je retrouvais la même incrédulité devant la brutalité des attentats et les mêmes questions sans réponse. Pourquoi nous ? Pourquoi cette haine ?

J’ai envie de répondre : regardez la planète, la guerre sanguinaire qui déchire la Syrie, l’Occident qui croise lâchement les bras et vous aurez une partie de la réponse.

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