Stéphane Dion, ambassadeur

Un double mandat impossible à remplir

Il est évident que la mise au rancart d’un ministre des Affaires étrangères, ancien leader du parti, après à peine un an d’exercice, n’est pas une mince affaire dans le contexte politique. On a bien vu que quelle que soit l’offre magnifique mise sur la table pour Stéphane Dion, la pilule a été dure à avaler.

Lawrence Cannon avait pratiquement quitté la politique mais se voyait néanmoins accorder l’ambassade du Canada à Paris. En tout état de cause, ce n’était pas une rétrogradation. Bien au contraire, après un passage à vide, il retrouvait un emploi prestigieux qui exprimait la reconnaissance de son chef, même si ce dernier lui avait tenu la laisse serrée pendant son mandat de ministre.

Le premier ministre Trudeau a dû sentir qu’il devait bonifier l’offre de poste diplomatique, car contrairement à Henri IV, pour l’heure, Paris ne valait même plus une messe. D’où cette idée pour le moins étrange d’offrir au ministre déchu à la fois Berlin et Bruxelles/Union européenne.

Il a fallu plusieurs semaines pour que Stéphane Dion, alias Achille, sorte de sa tente et décide de reprendre le combat.

Il accepte donc la double couronne, celle de l’Europe au moment le plus critique de son histoire avec non seulement le Brexit sur le plan économique, mais aussi la montée du populisme, de l’illibéralisme, de l’hostilité montante envers l’idée même d’une Europe unie, avec en toile de fond l’incertitude, voire la crainte face à la menace d’une Russie « resoviétisante ».

Et il s’empare du fief berlinois, première puissance économique et politique européenne, superpuissance commerciale mondiale affichant le plus fort surplus du monde au titre de la balance commerciale, interlocutrice incontournable dans le dialogue avec la Russie sur l’Ukraine et même sur l’avenir des pays baltes, à un moment où le négociateur en chef européen sur le Brexit, l’ancien premier ministre belge M. Verhofstadt, annonce que les trois plus grandes menaces pour l’Europe sont le président Trump, le président Poutine et Daesh. Enfin, c’est cette Allemagne aux prises avec plus de 1 million de « migrants » qui, en outre, est dans la ligne de mire de Donald Trump.

Deux capitales

M. Dion va donc présider à la défense des intérêts du Canada dans les deux capitales les plus importantes d’Europe à un moment que l’on peut qualifier d’historique. Loin de moi la pensée que l’ancien ministre n’ait pas de qualités éminentes. Ayant travaillé étroitement avec lui dans la lutte contre le séparatisme, pour la création du forum des fédérations et sur l’étude des multiples expériences référendaires dans le monde sur le maintien ou l’effondrement de l’unité de pays, j’ai pour lui la plus haute estime.

Mais il est insensé de croire que quelles que soient ses équipes dans les deux missions, il puisse véritablement remplir pleinement ses mandats dans les deux pays en même temps.

Il ne s’agit pas de dénigrer les remarquables diplomates qui occupent la fonction de chef adjoint de mission. Le poste d’ambassadeur existe essentiellement parce qu’il n’y a qu’un porte-parole à l’étranger du premier ministre du Canada et de son gouvernement. C’est lui qui a la confiance du « patron » et qui peut aller très loin dans l’énoncé des positions de ce dernier sans devoir nécessairement retourner à tout moment vers la centrale en quête d’instructions. Pour caricaturer l’expression de Jean Chrétien évoquant « le drapeau sur le char », le chargé d’affaires d’une ambassade, le numéro 2, peut bien faire mettre épisodiquement le drapeau sur la voiture officielle en l’absence de l’ambassadeur, il en a le char, mais non l’autorité.

Outre que je suis convaincu que M. Dion s’en rendra rapidement compte en dépit de sa passion remarquable pour le travail, sa profonde intégrité le forcera à l’admettre ou l’obligera à des choix impossibles en termes de présence, de priorité, d’accompagnement et de représentation. À cela s’ajoute ce qui nous paraît à tous, à tort ou à raison, son peu de penchant pour les mondanités auxquelles la fonction oblige encore même au XXIe siècle.

Enfin, je ne doute pas que bien des anciens collègues encore au ministère, comme chaque fois que cela se produit, diront en privé qu’après Washington, bien que tout à fait compréhensible, l’ONU moins rare depuis Gérard Pelletier, Stephen Lewis et Allan Rock, maintenant Berlin et l’Union européenne et demain sans doute Paris, finalement les choses ne changent pas d’un régime à l’autre.

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