justice

Qui a tué Diane  Thibeault ?

Le corps d’une femme de 25 ans trouvé en flammes dans un terrain vague au centre-ville de Montréal. Un ex-amant qui avoue avoir commis le crime. Un passionné de dossiers non résolus qui se demande pourquoi, plus de 40 ans plus tard, le meurtre de Diane Thibeault reste impuni.

Montréal, août 1975

Un corps en feu

Jean Brisson se promène à vélo près de chez lui, au centre-ville de Montréal, lorsqu’il aperçoit une boîte en feu dans la pénombre, au milieu d’un terrain vague.

« J’ai voulu aller l’éteindre, dit-il. Il y avait une maison abandonnée pas loin et je ne voulais pas que la maison prenne feu. »

Déposant son vélo, l’adolescent de 16 ans se faufile dans le trou d’une vieille clôture, à l’angle de la rue Saint-Dominique et du boulevard Dorchester, et s’approche des flammes.

« J’ai tiré sur les cartons. C’est là que j’ai vu les jambes. » En panique, l’adolescent va prévenir les policiers.

De la fumée se dégage encore du cadavre à l’arrivée de l’agent Roy et de l’agent Lemieux, de la police de Montréal. Le corps de la victime, une femme, est nu à partir de la taille, et les policiers constatent qu’un morceau de bois en flammes est enfoncé dans son vagin. Il est 4 h 30 du matin, le samedi 2 août 1975.

La victime s’appelle Diane Thibeault. Elle a 25 ans, les cheveux teints noirs, la peau pâle. Elle porte un chandail bleu partiellement brûlé avec des rayures jaunes sur les manches. Près du corps, les policiers trouvent un chapeau de jute, deux souliers épars, un peigne et un sac à main contenant 26,40 $ en argent comptant (l’équivalent de plus de 125 $ en dollars d’aujourd’hui). Diane Thibeault a essentiellement la constitution d’une enfant : elle mesure 1,5 m et pèse 37 kg.

Selon les policiers, la victime a été battue à mort, avant que quelqu’un ne mette le feu à son corps. « La victime a été attaquée sexuellement », précise dans son rapport l’agent Roy. « Ecchymoses à la figure. Marque de strangulation au cou. »

Il fait jour, à 6 h 10, quand J. Fortin, employé de la firme Alfred Dallaire, arrive avec son camion pour récupérer le cadavre.

Les enquêteurs affectés au dossier du meurtre de Diane Thibeault ne font aucune arrestation dans les derniers mois de l’année 1975. Ni en 1976. Ni en 1977. En 1978, plus de trois ans après le crime, les policiers vont rencontrer un suspect.

Montréal, avril 2018

Théâtre macabre

Le meurtre de Diane Thibeault a fait l’objet d’un récent épisode de la baladodiffusion Who Killed Theresa ?, qui s’intéresse aux crimes non résolus survenus au Québec.

Dans cet épisode, l’animateur John Allore explique les détails de l’enquête sur la mort de Diane Thibeault, dont il a demandé et reçu une copie du rapport du coroner, archivé à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

« Où et quand Diane Thibeault a été tuée n’est pas clair, explique M. Allore dans son balado. Mais les enquêteurs en ont déduit que le tueur était retourné sur les lieux, vers 4 h du matin, pour mettre feu à son corps. »

Pour John Allore, les crimes non résolus ont une résonance personnelle : sa sœur, Theresa, a été portée disparue puis trouvée morte dans les Cantons-de-l’Est en 1979, à l’âge de 19 ans, un crime non résolu. John Allore avait 14 ans quand c’est arrivé. Il a depuis un intérêt pour ces histoires tragiques, souvent oubliées par les médias et le grand public.

En consultant les documents sur Diane Thibeault, M. Allore a réalisé qu’en 1978, trois ans après le meurtre, un dénommé Edmond Turcotte, un ex-amant de Diane Thibeault, a avoué aux policiers être l’auteur du meurtre sordide. Or, 42 ans plus tard, le crime reste impuni. La personne qui a tué Diane Thibeault n’a jamais été condamnée pour son geste, et a pu poursuivre sa vie en liberté après cette nuit violente du 2 août 1975.

Voulant en apprendre plus sur le meurtre de Diane Thibeault, La Presse a écrit à M. Allore pour lui demander s’il était prêt à partager le rapport du coroner.

Quelques heures plus tard, un document PDF de 61 pages est apparu dans notre boîte de réception.

On y lit les moindres détails sur l’état dans lequel se trouvait la victime lorsqu’elle a été trouvée. Son cou comporte « d’importantes marques de violence traumatique sous forme d’érosion ecchymotique », écrit le 2 août 1975 le Dr André Lauzon, pathologiste judiciaire. Les brûlures sur le corps « auraient été infligées après le décès de la victime, ou dans la période agonique », note-t-il.

Le document contient aussi l’intégralité des déclarations qu’Edmond Turcotte a faites aux enquêteurs, un récit qui se lit comme une pièce de théâtre macabre narrée par son personnage principal.

Coup du hasard, on y lit que le sergent-détective qui a questionné Turcotte était Jacques Duchesneau. Sergent-détective âgé de 29 ans à l’époque, M. Duchesneau est par la suite devenu directeur de la police de Montréal, puis député de la circonscription de Saint-Jérôme de 2012 à 2014 sous la bannière de la Coalition avenir Québec.

« Je ne sais pas pourquoi ce témoignage n’a pas mené à la condamnation d’Edmond Turcotte », m’écrit M. Allore.

Montréal, 1978

« Cherchez pour Edmond Turcotte »

Ce ne sont pas les enquêteurs qui ont trouvé le témoin, c’est le témoin qui a trouvé les enquêteurs.

En novembre 1978, plus de trois ans après la mort violente de Diane Thibeault, Roger Moreau, 47 ans, qui travaille comme manœuvre à la carrière Miron, s’assoit avec des enquêteurs de la police de Montréal. On ne sait pas pourquoi il décide de parler à ce moment.

Il explique être le beau-frère d’un dénommé Edmond Turcotte, et raconte avoir croisé Diane Thibeault quatre semaines avant sa mort.

« La première fois que je l’ai vue, c’était chez ma mère, explique M. Moreau. Ma mère m’a dit : “Je te présente Diane, ma locataire.” »

M. Moreau se souvient que Diane Thibeault lui a serré la main. La jeune femme était « petite » et avait les cheveux « rouge-roux ».

Durant cette première conversation, Diane lui demande s’il connaît Edmond Turcotte.

« Bien oui, c’est mon beau-frère », répond M. Moreau.

Diane lui fait une demande. « Si tu vois Edmond, dis-lui pas que je suis ici parce qu’il m’a promis qu’il était pour me donner une volée… » M. Moreau promet de ne rien dire.

Puis, quelques jours après, Edmond Turcotte débarque chez son beau-frère, au 6225, rue Chambord, dans Rosemont–La Petite-Patrie.

« [Edmond] était chaud pas mal », se souvient M. Moreau. Les deux hommes sortent à la taverne.

En buvant, M. Turcotte lui demande s’il connaît une dénommée Diane Thibeault. Il ajoute : « Ça a l’air que j’ai eu un enfant avec, et la maudite, si je la vois, elle va en attraper une maudite, elle va s’en rappeler pour le reste de ses jours, elle va y goûter… »

Roger Moreau raconte avoir revu Diane Thibeault une dernière fois une semaine plus tard. C’était dans la rue Saint-Hubert, près de la rue Saint-Zotique. Elle était en compagnie d’Edmond Turcotte. Les deux s’embrassaient.

« Diane m’a dit : “Allo, Roger.” Moi, j’ai dit : “Ça va bien de même, vous deux ?” Ils se sont embrassés encore et ont continué [à marcher]. […] Je ne l’ai jamais revue, et je n’ai jamais revu Edmond Turcotte non plus. »

Dans les jours suivant le meurtre, Roger Moreau voit la photo de Diane Thibeault dans les journaux. Après un moment d’hésitation, il décide d’appeler la police à partir d’une cabine téléphonique.

« J’ai appelé au poste 18. J’ai dit : “Monsieur, si vous cherchez pour Diane, cherchez donc Edmond Turcotte.” » Puis il a raccroché.

Avril 2018

« Ça, c’en est un spécial »

Même si plus de quatre décennies se sont écoulées depuis le meurtre, Jacques Duchesneau se souvient bien du dossier de Diane Thibeault.

« Je me rappelle des photos, dit-il. C’était abominable. Même si j’ai été aux homicides longtemps, ça, c’en est un spécial… »

Au téléphone, M. Duchesneau m’explique comment s’est déroulée l’enquête d’Edmond Turcotte. Pour rafraîchir sa mémoire, il a devant lui ses carnets de notes, carnets qu’il a minutieusement conservés tout au long de sa carrière. « Les enquêteurs, on a ce qu’on appelle des “diaries”. On écrit tout ce qu’on fait chaque jour. J’ai fouillé, et je l’ai retrouvé. »

À l’époque, peu de policiers étaient affectés à la division des homicides, se souvient-il. « Je regarde ça, les jours avant, les jours après, j’ai eu un meurtre, j’ai fait une arrestation dans un autre meurtre, on a eu un policier qui avait tiré quelqu’un, c’est moi qui ai fait l’enquête. On était pas mal occupés… »

M. Duchesneau et son collègue Bernard Gagnon ont arrêté Edmond Turcotte en novembre 1978.

« Turcotte était cuisinier au restaurant New Spiro, au 175 de la rue Peel. C’était dans un sous-sol, un petit restaurant dans une manufacture. C’est là qu’on est allés l’arrêter. Ensuite, il nous avait montré des endroits, des adresses. Il était venu avec nous autres. »

Vers 21 h, le 15 novembre, Jacques Duchesneau et Bernard Gagnon conduisent Turcotte au quartier général de la Sûreté du Québec, rue Parthenais à Montréal. Il est alors soumis au test du polygraphe.

« À 1 h 15 du matin, les gens de Parthenais nous appellent pour nous dire que Turcotte a fait une déclaration. On le ramène au bureau, et on l’interroge le lendemain. »

Edmond Turcotte décide de tout raconter.

« La rencontre dure tout l’avant-midi, dit M. Duchesneau. C’était une déclaration libre et volontaire. Ensuite, le coroner a posé les questions… [Turcotte] n’a jamais été battu, il n’a jamais eu de promesses, il avait juste peur des policiers… Il a demandé un café, on lui a donné un café. Il était très coopératif. »

Novembre 1978

« J’ai continué à la frapper »

Dans son témoignage donné aux policiers le 16 novembre 1978, Edmond Turcotte n’épargne aucun détail.

Edmond Turcotte a 29 ans. Il habite dans un appartement de la rue Larante, à LaSalle. Il raconte que le vendredi 1er août 1975, le jour précédant le meurtre, il s’est rendu « boire de la grosse 50 » au cabaret Rodéo, sur le boulevard Saint-Laurent.

« Je suis arrivé là dans l’avant-midi, vers 10 h, 11 h, dit-il. J’étais assis à une table pis j’ai pris un coup toute la journée. »

Le cabaret Rodéo était un endroit connu à Montréal : c’est là que Michel Tremblay a situé l’action de sa pièce Sainte Carmen de la Main, publiée en 1976, qui parle d’une chanteuse québécoise qui revient chanter en français dans les cabarets de Montréal après avoir fait un séjour à Nashville.

Vers l’heure du souper, Diane Thibeault arrive au Rodéo et s’assoit à la table d’Edmond Turcotte.

Selon Turcotte, Diane Thibeault a bu « six ou sept » grosses bières Labatt 50 au cours de la soirée. Edmond Turcotte explique avoir lui-même bu « de la boisson forte, comme du [gin] Beefeater, du cognac, ces affaires-là ».

Des gens s’assoient à leur table, mais Edmond ne se souvient plus d’eux. « J’avais trop pris de boisson. Parce que quand j’en prends trop de boisson, je mélange, pis je vois plus du tout. C’est pour ça après, si je fais des choses, je m’en rends pas compte. »

Le sergent-détective Jacques Duchesneau lui demande : « Vous rappelez-vous comment Diane Thibeault était habillée ce soir-là quand elle est venue s’asseoir à votre table ? »

« Je me souviens juste de son chapeau, là, pis de ses souliers. »

Vers 2 h du matin, Diane Thibeault et Edmond Turcotte sortent du Rodéo.

« On est partis pour se prendre une chambre pour la nuit. C’était en direction de la rue Sainte-Catherine. Ensuite, on a loué la chambre. »

Dans la chambre, une chicane éclate.

« On s’est chicanés pour son enfant. Parce qu’elle disait que le lendemain, elle voulait aller voir son enfant [chez son frère à Saint-Jérôme], pis que je voulais y aller avec elle. Pis elle, elle disait non. […] Je suis devenu bleu. […] Elle voulait prendre la lampe, mais je lui ai enlevée, mais en essayant de lui enlever la lampe, il y avait un verre sur le bureau, je l’ai accroché, pis il a cassé. Là, j’ai pris le verre pis j’y ai donné un coup dans le cou, avec le verre. Elle est tombée, pis j’ai continué à la frapper. Plus elle essayait de se défendre, plus je frappais sur elle à coups de poing et de coups de pied. »

Edmond Turcotte explique avoir ensuite « descendu [le corps] en bas ».

« Je pense que, quand je l’ai transportée, elle était morte, elle était assez molle. Je pense que, quand je l’ai descendue, son haut s’est tout déchiré. Dehors, je l’ai déposée quelque part, je sais pas où… Je l’ai refrappée, pis j’ai pris des branches, un caillou ou une pierre, pour lui rentrer dans le vagin. Parce que moi, j’ai calculé qu’elle m’en avait assez faite. Là, je m’ai dit qu’elle fera plus de troubles à personne. […] Cependant, je ne me souviens pas d’avoir mis le feu après elle. »

Turcotte dit qu’il est ensuite parti « dans une autre direction ».

La semaine suivant ces déclarations, Turcotte revient sur ses aveux. Il dit avoir menti lorsqu’il a raconté le meurtre aux policiers. Le coroner, qui déposait les accusations criminelles à cette époque, ne laisse pas ce nouveau développement influencer sa décision.

Il déclare :

« Monsieur Turcotte, voulez-vous vous lever ? Après avoir entendu la preuve qui a été présentée devant moi, ce matin, concernant le décès de Diane Thibeault, je n’ai pas d’autre verdict à rendre que le verdict suivant : Diane Thibeault est décédée de mort violente le 2 août 1975, mort pour laquelle vous, Edmond Turcotte, devez être tenu criminellement responsable. »

Avril 2018

« C’est ça, la vie, hein ? »

Au téléphone, Jacques Duchesneau affirme ignorer comment le dossier a progressé après la confession d’Edmond Turcotte.

« Je ne sais pas s’il a été accusé… Il faudrait que je fouille plus loin dans mes notes. D’après moi, il a été accusé. Sinon, des fois, ça n’a rien à voir avec l’action policière, des fois c’est avec le corps… Vous devriez aller voir le plumitif à la cour, vous pourriez voir ça… Au fait, quel angle vouliez-vous prendre [avec cette histoire] ? »

Le plumitif est le registre de la cour. Toute personne ayant été accusée y est inscrite.

Dans le dossier d’Edmond Turcotte, né le 17 septembre 1949, on trouve cinq accusations pour diverses offenses, dont la plus récente est une accusation de vol à Joliette, en 1997, pour laquelle la décision a été retirée.

On trouve aussi un chef d’accusation pour meurtre, déposé le 24 novembre 1978.

L’avocat qui a défendu Edmond Turcotte s’appelle Réal Charbonneau, et il pratique encore aujourd’hui.

Au téléphone, Me Charbonneau explique qu’il ne se souvient plus de l’apparence ou de la personnalité d’Edmond Turcotte. Mais il se souvient très bien du procès.

« Le hasard m’a bien aidé, dit-il. Le juge, c’était le juge André Biron, un bon juriste. J’ai eu une chance incroyable. Je vais m’en souvenir toute ma vie ! »

La cause reposait sur la déclaration qu’Edmond Turcotte avait faite aux sergents-détectives Duchesneau et Gagnon.

« Mon contre-interrogatoire portait surtout sur la conduite des policiers relativement à l’obtention de cette déclaration », dit l’avocat.

C’est un commentaire du juge Biron qui a changé le cours du procès, se souvient-il.

Me Charbonneau voulait faire témoigner un psychiatre. « Le psychiatre avait mis dans le dossier qu’Edmond Turcotte était un déficient léger – ça, c’est mon terme à moi. Il était un peu léger au niveau intellectuel. »

Devant le juge, la procureure de la Couronne, Christiane Béland, sceptique, avait lancé : « Ben oui, ben oui, déficient, déficient, déficient… », se souvient Me Charbonneau.

Le juge avait répondu : « Vous ne connaissez pas ça, vous, les déficients. Moi, je connais ça. Moi, je m’en suis occupé, là, de défendre ces personnes-là qui sont utilisées dans les freak shows… »

Dans ce temps-là, il y avait de l’exploitation des handicapés intellectuels moyens et légers dans des spectacles dans des cabarets, dit Me Charbonneau. « Je ne sais pas le terme exact, mais ils appelaient ça des freak shows. »

Selon son expérience, le juge Biron n’était pas convaincu que Turcotte avait fait des déclarations incriminantes de manière libre et volontaire. Il avait refusé de les admettre en preuve.

À 9 h 35 le 14 mai 1979, Edmond Turcotte est acquitté des accusations du meurtre de Diane Thibeault.

Dans son article sur l’acquittement, deux jours plus tard, La Presse écrit :

« Déficient mental de toute évidence, Turcotte aurait été amené à “se confesser” au terme d’une détention prolongée au cours de laquelle il n’aurait mangé que des toasts ou des sandwiches et pendant laquelle on lui aurait également fait subir un test au polygraphe. Au début, il aurait tout nié, mais mis en face de certaines “réactions” de la machine, il aurait changé sa version. »

Le Devoir écrit que le juge Biron a reproché aux policiers « d’avoir établi la consigne que l’accusé ne devait recevoir aucune communication téléphonique ni aucune visite sans leur consentement avec, comme résultat, que l’avocat de Turcotte s’est buté à un triple refus de voir son client au cours d’une même journée. […] Contrairement à la loi des coroners, Turcotte n’avait pas comparu dans les 24 heures de son arrestation et les enquêteurs avaient profité d’un mandat du coroner pour l’interroger. […] Le juge estime que ces déclarations [ne sont pas admissibles], qu’elles aient été ou non le reflet de la vérité ».

Au bout du fil, Me Charbonneau explique que les choses tournent parfois ainsi dans un tribunal.

« C’est ça, la vie, hein ? Je ne pense pas que la police ait mis huit enquêteurs pour trouver un autre accusé après ça… Il a été acquitté, il a été acquitté… Si ç’avait été un autre juge, qui n’avait pas eu cette expérience-là, il aurait peut-être eu une attitude différente sur la perception des faits. Tout ça, c’est le hasard. C’est la providence. »

Contacté à nouveau pour avoir ses commentaires sur l’acquittement d’Edmond Turcotte et les remarques du juge à l’endroit de son travail et de celui de son collègue, Jacques Duchesneau n’a pas rappelé La Presse.

Mai 2018

« Je n’ai jamais oublié ça »

La dernière adresse connue d’Edmond Turcotte est située rue Adam, à Sainte-Julienne, près de la ville de Rawdon, dans Lanaudière. Inscrite au plumitif, l’adresse date de 1997, l’année de la dernière accusation déposée contre lui.

Il n’y a pas de rue Adam dans la petite municipalité de Sainte-Julienne, mais il y a une rue Aram. L’adresse est celle d’une maison mobile bien tenue avec des jouets d’enfants sur le terrain. Personne n’était à la maison lors de notre passage. Les voisins avec qui nous avons discuté n’avaient jamais entendu parler d’un dénommé Edmond Turcotte. Son nom ne se retrouve pas non plus dans le registre des résidants de la municipalité de Sainte-Julienne.

Jean Brisson, l’adolescent qui a découvert le cadavre de Diane Thibeault il y a plus de 40 ans, habite toujours au centre-ville de Montréal.

Aujourd’hui âgé de 58 ans, M. Brisson explique que s’il se promenait à vélo dans la nuit du 2 août 1975, c’est parce que son père était mort l’année précédente, et qu’il n’y avait pas de règles à la maison.

« Je me promenais tard dans ce temps-là, dit-il. Chez nous, on faisait pas mal ce qu’on voulait. »

Le terrain où il a trouvé le corps de Diane Thibeault n’est plus vacant : une tour d’habitations y a été érigée. Même le boulevard a changé de nom : le boulevard Dorchester est devenu le boulevard René-Lévesque en 1987.

L’ambiance n’est plus du tout la même dans le quartier, dit-il.

« Dans ce temps-là, il y avait de l’action pas mal… Quand les gens avaient des problèmes, ça se réglait à coups de poing dans la rue, bing, bang… »

M. Brisson dit qu’il lui arrive parfois de repenser au corps qu’il a vu sous les cartons en flammes à l’été de ses 16 ans.

« J’étais tellement sur les nerfs… Ce n’est pas quelque chose que tu oublies. Je n’ai jamais oublié ça. »

Montréal

804 homicides non résolus depuis 1980

Depuis 1980, 2023 homicides sont survenus sur le territoire de l’île de Montréal. De ce nombre, 804 sont non résolus.

Pascal Côté, commandant à la section des crimes majeurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), explique que c’est en général au bout de trois ans qu’une enquête sur un homicide devient un « cold case ».

« Après trois ans, un dossier d’homicide n’est pas fermé, mais il n’y a pas de démarches actives, à moins qu’on ait une preuve scientifique qui nous est amenée, ou qu’un témoin décide de collaborer avec la police, dit-il. Alors là, on va assigner des enquêteurs au dossier, on va réactiver l’enquête. »

Trois cas affichés sur le site du spvm

Sur les 804 dossiers non résolus à Montréal, seulement 3 cas sont affichés sur le site internet du SPVM. « On en a un quatrième en préparation. On ne veut pas inonder le site de dossiers, on tente de cibler ceux qui ont le plus de chances de succès », dit le commandant Côté.

Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’un homicide soit non résolu. « À Montréal, il y a une grande population flottante. Un peu moins de 2 millions de personnes habitent l’île, mais ça monte beaucoup les jours de semaine et certains soirs la fin de semaine. »

« Il y a aussi plusieurs meurtres commis par le crime organisé. On parle de tueurs aguerris, et c’est parfois plus difficile d’arriver avec des accusations. »

— Pascal Côté, commandant à la section des crimes majeurs du SPVM

Les techniques d’enquête ont aussi beaucoup évolué, de sorte que les crimes les plus anciens sont plus difficiles à résoudre avec le passage des années. « Les exigences de la conservation de la preuve à l’époque n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Juste en ce qui concerne l’ADN, dans les années 60, on ne parlait même pas de ça. Par conséquent, les échantillons et les preuves n’étaient pas conservés. »

Un taux de résolution de 72 %

Quant au taux de résolution des homicides, compilé par Statistique Canada à partir des données des services de police, il est en fait de 72 % sur le territoire de Montréal depuis 1980, explique le commandant Côté.

« Lorsqu’un crime non résolu est solutionné, il vient modifier le taux de résolution de l’année en cours, pas de l’année où le crime s’est produit. En résumé, de 1980 à 2018, on a un taux de solution de 72 %. »

Le nombre d’homicides est en chute constante à Montréal : 22 meurtres sont survenus dans l’île l’an dernier, soit le nombre le plus bas depuis que les statistiques pour l’ensemble de l’île ont commencé à être compilées, il y a 46 ans. Au début des années 2000, on rapportait souvent plus de 50 meurtres dans une année à Montréal, et fréquemment plus de 80 par année dans les années 80.

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