Michael Schumacher

RATTRAPER LE TEMPS PERDU

«  J’ai besoin de paysages, de nature, de montagnes  », confiait Michael Schumacher avant son accident de ski. Corinna, son épouse depuis bientôt vingt ans, a décidé que le champion poursuivrait sa réadaptation dans leur maison au bord du lac Léman qu’il aime tant. Mais surtout près de ses proches. Lorsqu’il était hospitalisé à Grenoble, puis à Lausanne, Corinna lui rendait visite chaque jour, passant des heures à son chevet. Mais ses enfants, Gina Maria et Mick, ne le voyaient que le week-end. Aujourd’hui, la famille est réunie autour de Michael, sorti du coma en juin et dont l’état évolue lentement. C’est tous ensemble qu’ils gagneront cette épreuve.

Devant les fenêtres, les eaux du lac Léman. Derrière, une unité de soins à domicile. Depuis septembre, Michael Schumacher et sa femme Corinna ont retrouvé leur somptueuse propriété de Gland, en Suisse : 17 hectares de verdure où le couple a fait construire, en 2004, une maison de 2 200 mètres carrés. Une équipe médicale importante se relaie au chevet du champion. Mais les soignants les plus précieux, ce sont ses proches : ses deux enfants, Gina Maria, 17 ans, et Mick, 15 ans, soudés autour de leur mère et soulagés de pouvoir veiller sur leur père au quotidien. Ils lui offrent la stimulation émotionnelle conseillée par les médecins.

Le 29 décembre 2013, le pilote se fracassait le crâne sur un rocher lors d’une balade en hors-piste, à Méribel. Mick, son benjamin, est présent lors de l’accident. C’est lui qui retrouve son père inanimé. Le 3 janvier, jour du 45e anniversaire de Michael, l’adolescent est entendu par la gendarmerie d’Albertville… Souvenirs d’une époque où l’on craignait le pire.

Aujourd’hui, Schumacher est sorti du coma. Mais son état reste instable. Ancien pilote de F1 devenu tétraplégique, Philippe Streiff, patient, comme Michael, du professeur Gérard Saillant, témoigne  : « Il va mieux mais tout est relatif. »

« Être avec sa famille va lui permettre de récupérer plus vite. Pour l’instant, il ne peut pas parler et il est en fauteuil roulant, paralysé, avec un problème de mémoire. » — Philippe Streiff

Alors, Corinna, Gina Maria et Mick évoquent devant lui sa vie, ses succès. Et lui parlent des leurs. Gina Maria lui raconte ses épreuves hippiques, Mick ses courses de karting. Cette année, le jeune homme a été sacré vice-champion du monde et vice-champion d’Allemagne – championnat hautement sélectif et qualifié – de karting KF-Junior. Michael ne lui a jamais imposé une carrière de pilote, conscient de la difficulté, pour un fils de champion, de se faire un prénom.

Quand il met Mick dans son premier baquet, à 5 ans, c’est surtout pour partager une passion. C’était à Vuitebœuf et le propriétaire du karting s’appelait Philippe Ossola. « Entre l’âge de 5 et 6 ans, a-t-il déclaré à L’Illustré, Mick est venu une demi-douzaine de fois chez nous, avec son père et sa sœur. C’est d’ailleurs le seul gosse qu’on laissait tourner si jeune. Il avait son kart chez nous, un Tony Kart 2 temps de 50 centimètres cubes, le top pour les enfants. Tous les trois venaient le lundi, notre jour de fermeture, que nous réservions exceptionnellement aux clients VIP. Ça ne rigolait pas  ! Michael cherchait vraiment la performance. Seul ou avec l’aide de nos mécanos, il réglait le carrossage, les biellettes, le moteur, il donnait des conseils. Le petit était mordu, il ne voulait pas rester à la buvette. Quand, entre deux tours, il mangeait une raclette, il gardait son casque. Et il était bon, il avait le sens des trajectoires. Son père le filmait.  »

Menton affirmé et regard aiguisé, un air fermé pour se protéger  : sur les abords des circuits de karting, où Mick arrive en 2013 accompagné de son père, la ressemblance est frappante. Avec sa combinaison verte matelassée au niveau des chevilles et du dos, « Mick Junior  » a d’abord couru sous le nom de jeune fille de sa mère, Betsch. À Genk (Belgique), en octobre dernier, avant la dernière épreuve du championnat allemand, le jeune talent fait preuve d’une concentration intense. Comme son père lors des grand prix de F1, il se réfugie dans son mobil-home d’où il ne ressort que pour rejoindre la tente estampillée Tony Kart, la marque de son châssis. Il y retrouve des mécaniciens qui disent se ficher de qui est son père. Au risque de passer pour un personnage froid, «  le Baron rouge  » n’était pas très à l’aise avec les chasseurs d’autographes. Le fils suit son exemple.

Toujours en octobre dernier, au Kart-Club de Kerpen, près de Cologne, où son père a débuté sa carrière et où l’on commémorait le décès en 2009 du jeune pilote de kart néerlandais Thomas Knopper, ses rivaux confiaient : «  C’est un super pilote, fort au freinage et qui attaque beaucoup. En plus, il est fair-play.  » Son souhait pour 2015  : continuer dans la catégorie KF, des karts plus puissants et plus rapides.

Gina Maria, elle aussi, s’est adonnée au karting, mais elle a épousé aujourd’hui la passion de sa mère pour le reining, épreuve reine de l’équitation américaine, qui mêle dressage, galop et figures, façon western. Le cavalier et le cheval doivent maîtriser différentes allures et manœuvres, des grands cercles rapides, d’autres plus lents et des arrêts glissés. Corinna a été médaille d’or du championnat d’Europe, en 2010. Pas encore passée chez les pros, Gina Maria est tout de même arrivée première dans sa catégorie lors des deux grandes représentations de l’automne, l’Equita’Lyon et la Futurity 2014 en Italie. À 17 ans, elle ne compte pas s’arrêter là.

UN MENTAL DE GAGNANT

Continuer la course, c’est pour Gina Maria et Mick une façon de rester fidèle aux valeurs paternelles  : la pugnacité, la détermination, le goût du défi. Michael leur a transmis l’essentiel. Pour autant, il n’a jamais été du genre à les emmener avec lui lors de ses compétitions. Corinna et lui ne souhaitaient pour rien au monde que leurs enfants se considèrent comme des êtres à part. Ce n’est qu’à l’âge où les petits se passent de sieste que Gina Maria et Mick ont pu repérer « la voiture rouge de papa »… mais à la télévision. À l’époque, la famille habite à Vufflens-le-Château, dans le canton suisse de Vaud. Un paradis où l’on peut laisser traîner les jouets, courir jusqu’à l’épuisement avec les cinq chiens de la villa et se livrer à d’interminables parties de cache-cache… en attendant que papa revienne.

Schumacher est alors absent de la maison près de 250 jours par an. Quand il rentre, il part se promener à vélo sans que personne ne songe à l’aborder. Licencié de l’Aubonne FC (club de football de 3e ligue), il joue au poste d’ailier droit. Mais, surtout, il se consacre à ses enfants. Pendant les vacances, la famille part en Norvège où elle possède un chalet. Au programme : kart, scooter des neiges, virées dans les refuges. Gina Maria a alors 8 ans, Mick en a 6, et ils sont mordus de snowboard. Ils se plaignent que leurs parents ne surfent jamais avec eux ; Corinna et Michael déplorent qu’ils ne fassent pas de ski. Un compromis est trouvé : tout le monde en surf le matin et sur ses skis l’après-midi.

Au terme de sa carrière, Schumi a voulu rattraper les années, devenir cet époux et ce père modèle qu’il n’avait pas eu le temps d’être, accaparé par les circuits. Il s’est mis à surveiller les devoirs, à organiser des voyages. Le pilote a même refusé de prendre les rênes de la Scuderia Ferrari : « Quatorze heures par jour, c’est trop prenant », a-t-il expliqué. Avec Corinna, ils ont acquis un ranch dans le nord du Texas, à Gordonville. Là, ils ont fait de l’escalade et des balades dans les parcs nationaux. Ils n’hésitaient pas à faire de la route pour aller plonger à la rencontre des requins-baleines. Après les attentats du 11 septembre, Michael a eu peur pour les siens, peur de devenir une cible.

Aujourd’hui, les Schumacher vivent à Gland comme une famille normale. Leur propriété compte une salle de cinéma de 30 places, une piscine, des terrains de sport, des écuries. Pour leurs dix ans de mariage, Michael a offert à Corinna un magnifique ranch à ses initiales, CS, à Givrins, à dix minutes de la maison. Trente-cinq box où elle accueille des chevaux de toute l’Europe et s’en occupe pour leurs propriétaires. C’est ici que l’équipe nationale suisse s’entraîne. Un manège somptueux de 1400 places, tout en bois et verre. Le CS Ranch est l’installation privée la plus moderne de Suisse pour le reining, cette discipline dans laquelle Corinna n’a plus rien à prouver. C’est d’ailleurs à Givrins qu’a eu lieu, en 2010 et 2011, le championnat d’Europe de NRHA (National Reining Horse Association). Au Texas et en Suisse, Michael conduisait le camion de transport des chevaux, enchanté de jouer le palefrenier de son épouse. Ils possèdent environ 70 chevaux. En septembre, Corinna s’est rendue aux Jeux équestres mondiaux, à Caen.

Petit à petit, Corinna, Gina Maria et Mick se sont replongés dans leurs passions  ; signe, peut-être, d’une évolution encourageante, signe, sûrement, d’une volonté que la vie continue malgré tout. Les enfants, grandis un peu plus vite que prévu, ont, avec leur mère, forcé l’admiration d’un personnel hospitalier impressionné par leur combativité autant que par la force de leurs liens. Dans une lettre manuscrite adressée récemment à un petit Irlandais de 9 ans, auteur précoce d’un recueil de dessins sur Ferrari, Corinna parle de « moments difficiles », avant d’ajouter : « Notre Michael est un guerrier, il n’abandonnera jamais.  »

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