Toutes les joueuses de l’équipe canadienne olympique de hockey féminin, sauf une, ont été formées dans les universités américaines.
Encore aujourd’hui, même si plusieurs formations universitaires canadiennes sont d’un calibre comparable à celui des bonnes équipes américaines, les plus douées sont nombreuses à rêver d’un séjour dans la NCAA. Les dépisteurs américains ne manquent d’ailleurs pas d’alimenter ce rêve avec des promesses qui ne priorisent pas toujours les intérêts des jeunes filles.
Depuis quelques années, plusieurs joueuses de 14 ou 15 ans, encore élèves au secondaire, ont reçu des offres de bourses importantes, conditionnelles à ce qu’elles s’engagent à aller jouer dans une université américaine dans quelques années.
La jeune Laurence Frenette, 14 ans, qui évolue actuellement au collège Stanstead dans l’Estrie, a ainsi signé il y a quelques jours une lettre d’intention pour aller étudier et jouer à l’Université Clarkson... en 2021 !
Dominic Desmarais est impliqué dans le hockey féminin dans la région de Sherbrooke, au cégep Champlain-Lennoxville et au programme sport-études de l’école secondaire du Triolet. « J’ai été surpris de voir des filles de secondaire 3 me poser plusieurs questions récemment sur les universités américaines, explique-t-il. Habituellement, ce sont plus celles du cégep qui le font. Les dépisteurs américains ciblent vite les meilleures et ils tentent souvent de passer par nous pour les contacter, voire les convaincre. »
« Ce sont des pratiques déloyales », estime Danièle Sauvageau, ancienne entraîneuse-chef de l’équipe canadienne championne des Jeux de Salt Lake City et responsable du programme de hockey féminin à l’Université de Montréal.
« Les filles et leurs parents subissent beaucoup de pression, car on leur laisse entendre que l’offre ne sera peut-être plus là l’année suivante. »
— Danièle Sauvageau
« En plus, ça ne respecte pas le cheminement académique des jeunes filles. À cet âge-là, elles n’ont encore souvent aucune idée du programme où elles vont étudier. En arrivant aux États-Unis, elles ne trouveront peut-être même pas leur programme ni l’entraîneur qui les a recrutées. Dommage qu’on force ainsi les joueuses et leurs parents à prendre une décision sans être bien informés. »
Un recrutement « créatif »
L’Ontarien Matt Desrosiers, entraîneur-chef des Golden Knights de Clarkson, championnes en titre de la NCAA, a développé une véritable « filière canadienne » depuis quelques années, avec notamment plusieurs Québécoises. L’ancienne des Titans de Limoilou Elizabeth Giguère, l’un des plus beaux espoirs au pays, a rejoint l’équipe cette saison et, comme Laurence Frenette, d’autres se sont engagées à la suivre au cours des prochaines années.
Desrosiers reconnaît que ses adjoints et lui consacrent beaucoup d’énergie au recrutement, mais il assure que les joueuses qui choisissent son établissement sont assurées d’y vivre une expérience enrichissante.
« La compétition est très vive entre les universités pour attirer les meilleures joueuses et c’est vrai que nous devons être très créatifs, explique-t-il. À Clarkson, nous avons bâti un programme solide qui permet aux jeunes d’atteindre leurs objectifs aussi bien sur la glace qu’en classe. Nous tentons de développer des relations solides avec les étudiantes-athlètes et leurs parents, tout au long du processus de recrutement et pendant leurs années à Clarkson.
« Je travaille aussi pour Hockey Canada, avec l’équipe féminine U18, poursuit Desrosiers. Je constate que plusieurs joueuses préfèrent maintenant demeurer près de chez elles et jouer pour des universités canadiennes. C’est correct. Le plus important, c’est qu’elles trouvent l’environnement qui leur convient. »
Isabelle Leclaire est entraîneuse-chef des Carabins de l’Université de Montréal. Championne canadienne en 2013 et 2016, l’équipe est considérée comme l’une des meilleures au pays. « Nous ne voulons pas imiter la NCAA, mais le calibre de jeu de la conférence québécoise n’a rien à envier à celui des conférences américaines, estime Leclaire. Pour nous, la priorité restera toujours les intérêts des étudiantes-athlètes et nous tenons à respecter leur cheminement, sans les soumettre à une pression inutile. Je suis d’ailleurs convaincue que le taux de satisfaction au terme d’une carrière universitaire est plus élevé au Canada qu’aux États-Unis. »
Un signal de Hockey Canada ?
Comme Leclaire, Sauvageau regrette cet « exode » de plusieurs des meilleurs espoirs québécois, mais ne manque pas de dénoncer aussi l’absence de cohésion entre les différentes instances du hockey féminin au pays.
L’équipe nationale de développement qui a pris part récemment en Allemagne à la Coupe des Nations ne comptait qu’une joueuse évoluant dans le réseau universitaire canadien, la gardienne Tricia Deguire, des Martlets de McGill. Même topo pour l’équipe qui défendra les couleurs du Canada aux Jeux de PyeongChang : Mélodie Daoust, une autre ancienne de McGill, est la seule joueuse ayant fréquenté une université canadienne.
« C’est certain que Hockey Canada a un rôle important dans tout ça, insiste Sauvageau. Tant qu’on va continuer de recruter autant de filles qui jouent dans la NCAA, les plus jeunes vont vouloir les imiter. Les responsables de programmes nationaux vont devoir travailler plus étroitement avec le Sport universitaire canadien pour favoriser le développement des filles au pays. »
« Il faut aussi qu’on continue d’être créatifs pour bien informer les joueuses et leurs parents », ajoute Leclaire. Les Carabins et les Martlets ont justement disputé un match récemment à Sherbrooke, une façon d’aller au-devant des jeunes athlètes, de répondre à leurs interrogations et à celles de leurs parents.
« Il ne faut pas oublier que, pour la majorité des filles, le hockey de haut niveau s’arrête après l’université, rappelle Leclaire. La priorité doit toujours rester les études. C’est déplorable de voir des jeunes filles s’engager à aller jouer et étudier outre-frontière sans avoir toutes les informations nécessaires pour faire un choix éclairé.
« C’est aussi dommage de voir que plusieurs jeunes Québécoises optent pour des études dans des universités secondaires, comme le Vermont ou le Maine, où leur diplôme n’a pas une grande valeur. »
Des problèmes d’employabilité ?
Patricia Demers, directrice générale de la Fondation de l’athlète d’excellence du Québec, un organisme qui offre des bourses d’études, s’inquiète aussi de cette tendance, qu’on observe aussi dans d’autres sports, au basketball et au soccer, par exemple.
« La NCAA, c’est une grosse machine, qui impose ses propres règles, explique Mme Demers. Les offres de bourse sont souvent à prendre ou à laisser, une forme de menace déplorable quand on considère qu’il s’agit de jeunes athlètes. Les parents sont aussi mal informés. Légalement, même après avoir signé une lettre d’intention, les filles peuvent toujours changer d’idée. »
Mme Demers souligne aussi que les bourses des universités américaines, même quand elles sont très généreuses, couvrent tout juste les frais d’études très élevés. Elle s’inquiète aussi de la qualité de la formation scolaire reçue aux États-Unis. « Souvent, les étudiants-athlètes reviennent ici avec zéro diplôme, souligne-t-elle. Et quand ils en ont, ils ne sont pas toujours valables ici.
« Nous effectuons présentement une étude auprès de plusieurs dizaines d’étudiants-athlètes, dont la moitié a été formée au Canada et l’autre moitié, aux États-Unis. Nous aurons les résultats plus tard ce printemps, mais déjà, on constate que ceux qui ont été formés ici ont un net avantage sur le plan de l’employabilité. »