Chronique

« C’est dans votre tête, Madame ! »

De toutes les maladies orphelines connues au Québec, le syndrome d’Ehlers-Danlos est sans doute la plus complexe. Pour ceux qui en souffrent, le quotidien est fait de douleur chronique et de nombreuses complications. À cela s’ajoute le combat qu’ils doivent mener pour obtenir un diagnostic. Portrait d’une maladie mystérieuse et méconnue.

Quand elle était bébé, Annie-Danielle Grenier ne se déplaçait pas comme les autres enfants. « Au lieu de marcher à quatre pattes, je me traînais en faisant le grand écart. » En effet, la petite fille faisait preuve d’une souplesse hors du commun.

Personne dans son entourage ne s’est douté que c’était là l’un des signes de ce qu’on appelle le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED), l’une des 7000 maladies orphelines répertoriées dans le monde. On désigne également le SED comme « la maladie de l’acrobate ».

En réalité, on devrait dire « les » SED, puisqu’il existe différents types de syndrome d’Ehlers-Danlos. Ceux-ci sont des maladies génétiques du tissu conjonctif (environ 80 % des constituants du corps humain). La majorité des gens qui en souffrent présentent une hyperlaxité des articulations, une peau très élastique et des vaisseaux sanguins fragiles.

Les complications sont nombreuses, la douleur est quasi permanente. Les personnes atteintes du SED doivent rencontrer de nombreux spécialistes afin de soulager ou prévenir les divers problèmes qu’elles auront au cours de leur vie (cardiologue, neurologue, endocrinologue, gastroentérologue, ophtalmologiste, rhumatologue, etc.).

Cette maladie rare préoccupe hautement le Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO). « C’est la maladie dont nous entendons le plus parler en ce moment, dit Gail Ouellette, présidente de l’organisme. Des 1600 Québécois touchés par ce syndrome, environ 200 ont pris contact avec nous à ce jour. »

Mais voilà, en plus de vivre avec la difficile réalité de cette maladie, ceux qui en sont atteints doivent faire face à la méconnaissance des professionnels de la santé et aux fausses pistes qui leur sont indiquées.

« Lorsque j’avais 24 ans, je travaillais dans un hôpital et j’ai attrapé un virus, raconte Annie-Danielle Grenier. Cela a déclenché une série de problèmes, notamment d’ordre cardiovasculaire. Quand je restais debout trop longtemps, je risquais de m’évanouir. On m’a alors dit que je souffrais du syndrome de fatigue chronique. »

La jeune femme a vécu sept ans avec ce faux diagnostic. Finalement, à force d’insister, Annie-Danielle Grenier a rencontré une généticienne qui lui a dit du bout des lèvres qu’elle pourrait souffrir du syndrome d’Ehlers-Danlos. Un second généticien a confirmé le verdict.

Seuls les généticiens peuvent poser un diagnostic de SED. « En effet, cette maladie est peu connue des médecins généralistes, explique Zaki El Haffaf, médecin généticien au CHUM. Ceux-ci voient cela durant leur formation, mais comme il s’agit d’une maladie rare, ils oublient qu’elle existe en cours de route. »

Il arrive fréquemment que les personnes atteintes du SED reçoivent un diagnostic de fibromyalgie. Pour d’autres médecins, les symptômes sont d’ordre psychosomatique. « Pour plusieurs médecins, tu n’as rien, dit Annie-Danielle Grenier. En plus, si tu as le malheur de pleurer dans leur bureau parce que tu es découragée de ne pas savoir ce que tu as, ils concluent que tu es en dépression. »

Cette attitude de nombreux médecins face à ce syndrome est confirmée par Gail Ouellette.

« Environ 80 % des gens qui souffrent de cette maladie sont des femmes. Elles se font souvent dire par les médecins :  “C’est dans votre tête, Madame !” »

— Gail Ouellette, présidente du Regroupement québécois des maladies orphelines

Annie-Danielle Grenier, qui a dû attendre de nombreuses années avant d’obtenir un diagnostic, s’est butée à la méconnaissance de plusieurs professionnels de la santé. « Je ne m’attends pas à ce que les médecins connaissent les 7000 maladies orphelines qui existent, je m’attends à ce que l’on fasse preuve d’ouverture d’esprit. »

Depuis qu’elle a reçu un diagnostic clair, Annie-Danielle Grenier a une meilleure relation avec les médecins qu’elle rencontre. Et ceux-ci sont nombreux. En huit ans, elle a dû voir une quinzaine de spécialistes afin d’assurer le suivi des divers problèmes causés par le syndrome d’Ehlers-Danlos.

Lors de notre visite, elle portait une prothèse à un pied. « J’ai des ligaments déchirés, explique-t-elle. Le podiatre avait du mal à croire cela au début, mais les tests ont montré que c’était bien cela. »

Elle porte également des attelles aux doigts, car ceux-ci ont tendance à se disloquer facilement. Elle doit, enfin, se déplacer grâce à un déambulateur. « Des amis ont organisé une collecte de fonds pour m’offrir cela », dit celle qui doit compter sur des prestations d’aide sociale pour vivre.

Le regard des autres est également difficile à supporter. Comme cette maladie est « invisible », les gens ont parfois un regard très critique sur ceux qui en souffrent.

« Je gare ma voiture dans des espaces réservés aux personnes handicapées. J’ai une vignette sur ma voiture. J’ai entendu des gens dire :  “C’est la vignette de ta grand-mère ?” »

— Annie-Danielle Grenier

Les enfants souffrant du SED qui n’ont pas encore reçu de diagnostic sont souvent perçus comme des fainéants par leurs parents. « Ils vivent cela durant toute leur enfance, explique le docteur Zaki El Haffaf. Une fois à l’âge adulte, il y a une rupture sociale. »

Malgré les étapes franchies pour une meilleure connaissance de sa condition, Annie-Danielle Grenier n’en revient pas du peu d’efforts consacrés à cette maladie au Québec. « C’est la maladie la plus complexe de toutes et on s’en fout », dit-elle.

Une clinique du SED à Montréal ?

Le Regroupement québécois des maladies orphelines mène depuis de nombreuses années une lutte acharnée afin d’obtenir la création d’une clinique spécialisée pour les personnes atteintes du syndrome d’Ehlers-Danlos. « Il faut absolument mettre sur pied un système de diagnostics, explique Gail Ouellette, présidente du RQMO. Il faut aussi faciliter l’accès aux nombreux spécialistes que les personnes atteintes du SED doivent voir. »

L’Ontario a créé il y a deux ans une clinique pour les personnes atteintes du SED. Ce concept fait l’envie de certains spécialistes québécois. « Il faut absolument qu’il y ait une organisation au Québec pour une prise en charge efficace de ces personnes, croit Zaki El Haffaf, médecin généticien au CHUM. Le modèle ontarien est bon. On tente d’implanter cela à Montréal, mais c’est difficile. »

Le 21 mars dernier, lors d’un point de presse, le RQMO a rappelé qu’il tente d’obtenir depuis plusieurs mois une rencontre avec des responsables du ministère de la Santé afin de discuter du projet d’une clinique spécialisée multidisciplinaire vouée au traitement du SED et de la mise en place d’une stratégie québécoise en matière de maladies rares.

La Presse a communiqué avec le bureau du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. On nous a confirmé que des échanges ont eu lieu entre le cabinet du ministre et le RQMO. « Il y a effectivement une demande de rencontre avec le ministre, nous a écrit Julie White, attachée de presse de Gaétan Barrette. Nous avons l’intention d’y donner suite et d’organiser le tout prochainement. Ce sera l’occasion pour nous de discuter avec eux de l’ensemble des enjeux entourant les maladies orphelines, dont le syndrome d’Ehlers-Danlos. »

Qu’est-ce que le syndrome d’Ehlers-Danlos ?

Identifié par un médecin danois (Edvard Ehlers) en 1899 et par un médecin français (Henri-Alexandre Danlos) en 1908, le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) est un groupe de maladies génétiques caractérisées par une anomalie du tissu conjonctif. Ceux qui souffrent de cette maladie présentent une hyperlaxité (souplesse anormale) des articulations, une peau très élastique et des vaisseaux sanguins fragiles. Le syndrome d’Ehlers-Danlos a un impact sur la production de collagène, la protéine qui procure la force aux tissus conjonctifs tels que la peau, les tendons, les ligaments ainsi que les parois des organes et des vaisseaux sanguins. Les symptômes du SED prennent la forme de cicatrices, de douleurs articulaires chroniques, d’arthrite précoce et d’ostéoporose. Le seul moyen de savoir si on souffre du SED est de subir un test génétique. Il n’existe pas de traitement curatif, mais il y a des traitements préventifs. La plupart des formes du SED sont à transmission autosomique dominante, c’est-à-dire qu’un parent porteur de la mutation responsable de la maladie a 50 % de risque de transmettre la maladie à ses enfants. Certains spécialistes estiment qu’une personne sur 5000 dans la population souffrirait du SED.

Sources : Regroupement québécois des maladies orphelines, Union nationale des syndromes d’Ehlers-Danlos

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