EXTRAIT

Chemin Saint-Paul, de Lise Tremblay

« Contre la folie, je ne crois qu’à l’exil.

Je m’assois près de ma mère. Elle dort. Son corps n’a plus aucun tonus. L’année dernière, à la même date, mon père agonisait. Personne ne pourrait croire que la femme assise à côté de moi est la même qui arpentait le corridor de la maison de soins palliatifs une heure ou deux par jour. Ma mère arrivait comme une star. Elle faisait une apparition. Elle était bien mise, arborait une nouvelle robe, un chapeau. Elle disait que mon père l’avait remarquée à cause de ses chapeaux. Assise dans une chaise, dans la chambre de mon père, j’assistais au spectacle. »

LISE TREMBLAY

La mort en face, la vie devant soi

Chemin Saint-Paul

Lise Tremblay

Boréal, 112 pages

Sans esbroufe, avec un style précis et économe, d’une beauté franche, Lise Tremblay s’est imposée depuis L’hiver de pluie, son premier roman paru en 1991, comme une auteure phare du paysage littéraire québécois. « C’est une année charnière pour moi », révèle celle qui publie ces jours-ci Chemin Saint-Paul, un récit court et porteur inspiré de sa propre famille saguenéenne.

« Je voulais faire la paix avec la folie de ma mère et la mort de mon père, j’avais besoin de mettre des mots, de clore un chapitre. Pour moi, le sens a beaucoup d’importance. Mais bon, en soi, la vie n’a pas de sens, c’est le chaos total ! On crée du sens, et c’est ce que je fais dans l’écriture », dit Lise Tremblay, qui sait énoncer de cruelles vérités existentielles avec une finesse et une franchise absolue.

Avec Chemin Saint-Paul, Lise Tremblay s’aventure encore une fois dans ces territoires inquiétants de la psyché québécoise, armée d’une curiosité intellectuelle sans doute forgée par une vie consacrée à penser, lire, regarder. Dans un café du Plateau Mont-Royal, où elle rencontre La Presse, elle se montre généreuse de son temps, curieuse de l’autre, sans filtre. Presque plus encline, on dirait, à prendre des nouvelles de la journaliste qu’à promouvoir son livre, elle s’engage volontiers dans des sentiers de discussion comme la domination de l’humour au Québec, les classes sociales qui perdurent et la littérature qu’elle aime, crée et enseigne.

Fidèle à elle-même, la plume directe de Lise Tremblay regarde la folie en face, dans le récit d’une centaine de pages. Sans demi-ton, l’auteure y décrit les couloirs psychiatriques où loge sa mère enfermée dans la démence et les dernières heures au chevet de son père mourant. Un homme d’une autre génération qui, dit l’auteure, « a beaucoup tenu la famille ».

Le rapport mère-fille aux trajectoires intellectuelles si différentes, Lise Tremblay l’aborde de front, sans jamais chercher à embellir ou atténuer la douleur. On est propulsé dans le vif du sujet, avec des passages qui, en peu de mots, en disent long sur les rapports troubles familiaux.

« Depuis la parution de mon dernier livre, elle a abdiqué en ce qui me concerne : plus de morale, plus de paroles blessantes, plus de tentatives de me ridiculiser, non, juste un résidu de haine sourde », écrit-elle ainsi dans les passages consacrés à décrire une mère qui a basculé, une femme brillante, au trouble de personnalité limite non diagnostiqué et au potentiel intellectuel brimé.

« Ma mère a beaucoup vécu pour ses filles, songe Lise Tremblay. Elle a fait un brevet B d’enseignement. Elle voulait faire un cours d’architecture à Montréal. »

« Mais on était en 1945 et, à l’époque, il n’y avait que trois femmes étudiantes en architecture [dont Phyllis Lambert]. Son père lui a dit : “Il y a rien que les guidounes qui vont à Montréal.” »

— Lise Tremblay, à propos de sa mère

DÉRANGER, OUI, PLAIRE, NON…

« Je ne fais pas de la littérature pour plaire, ça ne m’intéresse pas, de plaire. Déranger m’intéresse, c’est sûr que je ne suis pas dans les bons sentiments. Je déteste assez ça, le monde dans les bons sentiments ! », lâche celle qui, après 26 ans de vocation comme prof de littérature au cégep du Vieux Montréal, amorce sa nouvelle vie de retraitée et écrivain à temps complet.

« Je me suis levée un matin et je me suis dit : c’est assez », dit celle qui déplore les conditions devenues difficiles dans les classes de cégep où elle a offert le meilleur d’elle-même. Parce qu’à l’aube de la soixantaine, Lise Tremblay dit qu’elle n’a plus l’énergie pour à la fois écrire et enseigner, et elle voudrait bien « faire trois ou quatre livres, avant de mourir ».

C’est dans son Saguenay natal que Lise Tremblay a choisi de passer ses années de jeune retraitée. Elle achève d’y construire un chalet au lac où elle passe tous ses étés depuis 10 ans. « Moi, j’aime la ville ou le fond du rang ! », lâche celle qui s’apprête à élire domicile dans le fin fond des bois. « Un ami architecte a fait le plan de la maison. Le lieu est incroyable, il y a un beau lac où l’eau est pure, je suis à côté d’un parc national. Je ne sais pas si je vais m’adapter. Mais si je ne m’adapte pas, je le vendrai ! »

Lise Tremblay quitte Montréal, mais la littérature « qui [l’]a sauvée, à l’enfance », la suivra dans ses terres et sa retraite, qui s’annonce fertile. Traduite en plusieurs langues, elle aura ainsi plus de temps à consacrer aux invitations des universités d’un peu partout dans le monde où elle est étudiée. Et elle compte aussi vivre, tout simplement, nager dans son lac et, comme elle l’a toujours fait, inventer sa vie d’écrivain.

« Je ne viens pas d’une classe sociale où il y avait des écrivains. Les femmes écrivains, je les ai connues dans les livres, avec Simone de Beauvoir, Marguerite Duras. J’ai l’impression d’être dans une perpétuelle création de ce que c’est, d’être une femme écrivain. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.