Parc Extension

Moisissures, cafards et rongeurs

Excédés par le délabrement de leurs appartements, des locataires de Parc-Extension s’adressent à la Régie du logement

Des locataires du quartier Parc-Extension n’en peuvent plus de vivre dans des appartements insalubres. Ils doivent composer avec des moisissures, des cafards, des fourmis, des bris ici et là et même des rats. Épuisés, estimant que le propriétaire des bâtiments ne fait rien pour résoudre ces problèmes récurrents, ils s’adressent à la Régie du logement pour tenter d’améliorer leur sort.

Vingt-huit résidants se sont présentés cette semaine à une convocation du Comité d’action de Parc-Extension (CAPE) touchant les multiples problèmes de leurs logements, auxquels le propriétaire, Raamco International Properties, établi au New Jersey, refuserait de remédier.

Quatre plaintes ont été déposées devant la Régie du logement ces derniers mois. Un plaignant y comparaissait d’ailleurs la semaine dernière. Un autre locataire a obtenu gain de cause en mars dernier (voir capsule à droite). 

Un inspecteur de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension a récemment transmis plusieurs avis de correction au propriétaire. « À la suite de l’inspection, notre inspecteur a relevé la présence de moisissures et l’absence de revêtement de sol dans la salle de bain, une infestation de souris, l’absence ou le mauvais état de moustiquaires et l’absence de quincaillerie aux portes », indique Samuel Dion, porte-parole de l’arrondissement.

Le responsable des bâtiments montréalais que possède Raamco International n’a donné suite à aucun des appels de La Presse.

Vivre dans la peur

« J’ai peur d’inviter quelqu’un chez moi », lâche une des locataires, le regard triste. La femme qui souhaite garder l’anonymat vit dans l’un des bâtiments situés sur le boulevard de l’Acadie. 

Les autres locataires rencontrés par La Presse préfèrent ne pas s’adresser aux médias. D’après André Trépanier, représentant du CAPE, les gens craignent que la situation ne se retourne contre eux et que les choses s’aggravent. 

« Ils ont peur des rats, mais ils ont aussi peur du propriétaire. »

— André Trépanier, représentant du CAPE

Malgré sa peur qu’on ne la voie avec des journalistes, la locataire du boulevard de l’Acadie accepte de nous laisser entrer dans son modeste appartement. À peine sommes-nous entrés dans le logis qu’elle pointe un premier bris. Une partie de la porte aurait été arrachée par des employés du locateur alors qu’ils voulaient pénétrer chez elle.

La femme occupe le logement depuis 2015. « Quand j’allais emménager, on m’a dit qu’il y avait de petits problèmes, mais qu’ils seraient corrigés avant que j’arrive », raconte-t-elle. Dès son arrivée, elle dit avoir pourtant constaté que plusieurs choses dans la salle de bain, dont la toilette, devaient encore être réparées. « On m’a dit d’attendre encore un peu. » La résidante affirme que personne n’est jamais venu faire les réparations, qu’elle a alors entreprises elle-même. Il y a également de la moisissure entre les lattes du plancher, ainsi que des taches impossibles à éliminer.

En 2016, un pan du plafond de la cuisine s’est écroulé alors qu’elle était en dehors du pays. Elle affirme avoir appelé le propriétaire à son retour, mais le concierge aurait constamment reporté les travaux. « Après un mois, j’ai dû appeler la Ville », raconte- t-elle. Pendant tout ce temps, impossible pour elle d’utiliser sa cuisine. 

« Je ne pouvais même pas préparer à manger. Et il y a des coquerelles qui ont commencé à venir. »

— Une locataire d’un immeuble appartenant à Raamco International Properties

Le concierge lui aurait reproché d’avoir contacté la Ville plutôt que lui. L’inspecteur de l’arrondissement a contacté à son tour les propriétaires, qui ont finalement colmaté le trou.

Des problèmes de tous côtés

Malgré cela, l’odeur de moisissure est perceptible quand on pénètre dans la cuisine. Dans les coins de la pièce, des pièges collants pour la vermine ont capturé de nombreux cafards. « C’est là que j’ai attrapé un rat la dernière fois », révèle la locataire en pointant un piège à côté du réfrigérateur. La zone du plafond réparée commence visiblement à s’effriter.

De l’eau coule de la fenêtre mal isolée pendant l’hiver, les murs sont en mauvais état et les planchers parsemés de moisissure. C’est sans compter la porte d’entrée qui ne se ferme plus correctement. « Je ne me sens pas en sécurité. Quand je sors, je vérifie plusieurs fois, mais souvent, elle ne se barre pas bien », déplore-t-elle encore.

« Chaque fois que je les appelle pour un problème, on me dit d’attendre deux semaines, et chaque fois, on ne vient pas », raconte la femme. Depuis quelques jours, chaque ampoule qu’elle visse au plafond de sa chambre est aussitôt grillée. Elle n’a même pas tenté d’appeler le locateur. « S’il ne fait rien pour les toilettes depuis deux ans, il ne va rien faire là non plus. »

Une première victoire

En mai 2016, un locataire a déposé une plainte contre Raamco International Properties devant la Régie du logement, l’accusant de ne pas prendre les mesures nécessaires pour exterminer les rats dans son logement. L’entreprise a répondu par une demande de résiliation de bail, alléguant que le plaignant refusait l’accès à son appartement. Alexandre Cadieux, du CAPE, affirme que cette méthode est chose courante. « C’est systématique, c’est de l’intimidation », témoigne-t-il. Mais la Régie a reconnu dans sa récente décision que la partie accusée était coupable d’avoir failli à maintenir le logement propre et habitable, d’avoir harcelé et traité avec rudesse le locataire et sa femme et de « s’être servi[e] de recours douteux pour que le locataire cesse de réclamer justice ». La société Raamco a été condamnée à verser environ 4500 $ au résidant.

Raamco

Une société propriétaire de plus de 10 000 logements

La société Raamco International Properties, fondée à Vancouver mais établie au New Jersey, possède plus de 10 000 appartements au Canada et aux États-Unis, dont cinq ensembles résidentiels dans l’île de Montréal. L’un de ces îlots résidentiels comprend 18 bâtisses à Parc-Extension. En 2015, la firme avait été impliquée dans un autre conflit avec ses locataires. Une décision de la Régie du logement avait tranché en faveur d’un résidant d’un appartement de Saint-Laurent qui appartient à Raamco à qui on avait demandé un acompte pour la clé de chez lui, pratique illégale en vertu du Code civil du Québec. Quelques autres décisions judiciaires ont penché en faveur des locataires contre Raamco.

CAPE

Venir en aide aux plus vulnérables

« On est là en défense des droits des locataires », résume André Trépanier, du CAPE. Depuis plusieurs années, les bénévoles et travailleurs de l’OSBL viennent en aide aux citoyens dans des litiges liés aux logements, comme le font plusieurs comités de quartier à Montréal. « Dans la majorité des cas, ce sont des problèmes d’insalubrité », indique Alexandre Cadieux, militant pour le CAPE. L’équipe fournit de l’information, guide les citoyens, les accompagne auprès des instances et leur offre du soutien.

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