Stephen Hawking (1942-2018)

L’héritage d’un géant

Scientifique visionnaire, vulgarisateur célèbre, modèle de persévérance. Malgré la grande complexité de ses sujets de recherches, l’astrophysicien britannique Stephen Hawking, mort hier à l’âge de 76 ans, était une véritable icône de la culture populaire. Portrait d’un géant de la science et d’un homme inspirant.

Stephen Hawking (1942-2018)

Scientifique visionnaire et homme inspirant

Son combat contre la maladie a marqué l’imaginaire. Ses théories physiques ont changé notre vision de l’Univers. Ses livres, ses apparitions publiques et ses films ont rapproché la science du grand public, tandis que son humour et sa personnalité conquéraient la planète. L’astrophysicien britannique Stephen Hawking, qui s’est éteint hier, laisse un immense héritage derrière lui. Témoignages et explications.

« Un grand parmi les grands »

Pour Robert Lamontagne, astrophysicien à l’Université de Montréal, Stephen Hawking est tout simplement l’un des physiciens les plus importants de tous les temps. « En termes scientifiques et intellectuels, il est l’équivalent des très grands, comme Einstein et Newton », dit le professeur Lamontagne. Le grand exploit de Stephen Hawking a été de jeter un pont entre les lois qui gouvernent l’infiniment grand, telles qu’établies par la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, et celles qui gouvernent l’infiniment petit, décrites par la mécanique quantique. « Un des problèmes fondamentaux qu’on a toujours en physique, c’est que la relativité générale ne marche pas avec la mécanique quantique. Hawking a été le premier à faire une liaison entre les deux. Il n’a pas inventé une théorie complète qui englobe les deux, mais il a fait les premiers pas », explique Julie Hlavacek-Larrondo, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en astrophysique observationnelle des trous noirs à l’Université de Montréal.

Trous noirs et Big Bang

C’est en étudiant les trous noirs que Stephen Hawking parvient à unir les deux grandes théories de la physique moderne. Le physicien britannique est d’abord parmi les premiers à considérer ces objets supermassifs non pas comme des artéfacts mathématiques découlant de la théorie d’Einstein, mais comme des objets réels. Hawking fait ensuite un lien époustouflant entre les trous noirs et le Big Bang à l’origine de l’Univers. « Hawking a dit : le Big Bang est exactement la même chose qu’un trou noir. C’est une singularité, un point infiniment dense. La différence, c’est que le Big Bang est l’explosion d’une singularité, tandis qu’un trou noir est une compression jusqu’à une singularité », explique Julie Hlavacek-Larrondo. C’est en appliquant les règles de la mécanique quantique aux particules se trouvant à la bordure des trous noirs que Stephen Hawking déduit que les trous noirs émettent du rayonnement (appelé depuis « rayonnement de Hawking »). La thèse vient contredire celle voulant que rien ne puisse s’échapper d’un trou noir et établit ce fameux premier lien entre théories gravitationnelles d’Einstein et mécanique quantique.

Avant l’apparition du temps

De concert avec le physicien James Hartle, Hawking élabore aussi un nouveau modèle cosmologique, appelé modèle de Hartle-Hawking ou modèle de l’Univers sans frontières. La théorie s’attaque à une question qui donne le vertige : si le temps est apparu au moment du Big Bang, qu’y avait-il avant le Big Bang ? Hawking répond que si nous pouvions remonter aux premiers instants de l’Univers, le temps disparaîtrait pour céder sa place à l’espace. Bref, notre Univers n’aurait aucune frontière ni de temps ni d’espace.

Des projets colossaux

Au cours des dernières années, Stephen Hawking s’était allié au milliardaire russe Iouri Milner pour lancer deux quêtes scientifiques spectaculaires. La première, Breakthrough Listen, vise à déployer certains des plus grands télescopes du monde pour détecter des signaux envoyés par d’éventuelles civilisations extraterrestres. « Il n’y a pas de plus grande question. Il est temps de s’engager à trouver la réponse, à chercher de la vie au-delà de la Terre », avait dit Stephen Hawking en 2015. La deuxième, Breakthrough Starshot, est encore plus audacieuse : expédier des vaisseaux miniatures vers le groupe d’étoiles d’Alpha du Centaure, situé à 41 345 000 000 000 kilomètres (4,367 années-lumière) de la Terre. Le financement d’un tel voyage, qui durerait au moins 20 ans, est toutefois loin d’être bouclé.

Humour et vulgarisation

Stephen Hawking n’a jamais été le genre de scientifique à s’isoler dans une tour d’ivoire. Malgré une maladie qui l’a cloué à son fauteuil roulant et a fini par le priver de l’usage de la parole, il a multiplié les apparitions publiques. Son premier livre de vulgarisation, Une brève histoire du temps, a connu un gigantesque succès, s’écoulant à plus de 10 millions d’exemplaires. Il a écrit une demi-douzaine d’autres ouvrages pour les adultes, en plus d’en écrire pour les enfants avec sa fille Lucy. Il a aussi figuré dans de nombreux films et documentaires de vulgarisation scientifique.

Mais ce sont peut-être ses apparitions dans des émissions populaires comme The Big Bang Theory, Star Trek et même Les Simpson, où il a prêté sa voix générée par ordinateur à son propre personnage animé, qui ont conquis le public. On entend aussi cette voix synthétisée sur la chanson Keep Talking de Pink Floyd. « Il était doté d’un sens de l’humour et de l’autodérision absolument exquis, commente Robert Lamontagne. Il riait de lui-même, de ses collègues, de la science qu’il faisait. Dans sa tête, il semblait dire : la science, c’est sérieux, mais on n’est pas obligé de se prendre au sérieux quand on en fait. »

Maladie de Lou Gehrig

Impossible de parler de Stephen Hawking sans parler de la terrible maladie qui l’affligeait, la sclérose latérale amyotrophique (SLA), ou maladie de Lou Gehrig (aussi appelée maladie de Charcot en Europe). Les patients atteints de cette maladie neurodégénérative ne vivent généralement que de deux à cinq ans après que le diagnostic est tombé. Le professeur Hawking y aura survécu 55 ans. « C’est extrêmement rare, ça défie les pronostics », commente Roxanne Goulet, coordonnatrice aux communications à la Société de la sclérose latérale amyotrophique du Québec. « En soi, le fait qu’il était atteint de la SLA et qu’il faisait de si grandes choses dans le monde scientifique a contribué à faire connaître la maladie », dit-elle. Il n’existe que deux traitements approuvés contre la maladie, mais leur efficacité est très limitée.

La recherche est toutefois en pleine ébullition. Et selon Mme Goulet, cela est grandement dû à une chose : l’Ice Bucket Challenge, ce fameux défi qui invitait les gens à se balancer des seaux d’eau glacée sur la tête afin de récolter des fonds pour la maladie. « Depuis les quatre dernières années, il y a sans doute eu plus de progrès dans les recherches que lors des cent années précédentes », dit Mme Goulet. Des gènes qui contribuent à la maladie ont été identifiés, et plusieurs candidats-médicaments sont actuellement testés lors d’études cliniques. L’un d’eux, le pimozide, a été développé au Centre de recherche du CHUM par les chercheurs Alex Parker et Pierre Drapeau.

Stephen Hawking (1942-2018)

Un homme « doublement remarquable », selon Hubert Reeves

Une indéniable contribution scientifique. Un incroyable modèle de volonté. Hubert Reeves n’a pas manqué, hier, de rendre hommage à son collègue Stephen Hawking, mort la veille. Les deux astrophysiciens se sont parfois rencontrés à l’Université de Cambridge. Vedettes dans le domaine, ils partageaient le même goût pour la vulgarisation scientifique. « C’était un homme doublement remarquable, fait valoir Reeves, que La Presse a rencontré dans son appartement parisien. Remarquable pour son apport de très grande importance à la cosmologie contemporaine et remarquable pour son courage et son énergie de vie. »

Reeves rappelle l’importance des travaux de Hawking sur les trous noirs. « Grâce à lui, on comprend beaucoup plus de choses sur ces êtres mystérieux et leurs propriétés. De grandes avancées », dit-il. Mais on le sent encore plus impressionné par sa détermination, malgré son énorme handicap et le fait qu’il se savait condamné à plus ou moins court terme. « Il ne pouvait plus parler. Il ne pouvait plus écrire. Il parlait avec une machine. Mais il est devenu un exemple de la force de l’esprit sur un corps défaillant, conclut l’astrophysicien québécois. En ce sens, on peut dire qu’il s’est battu victorieusement. »

— Jean-Christophe Laurence, La Presse

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