Bande dessinée

Il était une fois une vraie famille

C’est une famille de cochons qui pourrait être la vôtre. Des parents aimants et surmenés, une ado blasée et une fillette volubile, qui vivent en ville. C’est à la fois drôle, tendre et vrai. Avec Ada & Rosie, Mauvais esprit de famille, publié chez Casterman, Dorothée de Monfreid croque la vie de famille comme le Grand méchant loup croque un petit cochon. La Presse a joint l’autrice et illustratrice (d’une cinquantaine d’albums !) à Paris.

Pour créer Ada & Rosie, vous vous inspirez de votre famille ?

Oui, très clairement. Il y a quand même des différences parce que, généralement, c’est remis en scène. Je choisis chaque fois un sujet et un angle et j’élimine tout ce qui n’en fait pas partie. Ce que j’ai modifié aussi, c’est l’âge des enfants. La deuxième est plus jeune qu’en réalité, ce qui me permet d’avoir un maximum de différences et de points de vue entre les enfants.

Vos personnages ont des têtes d’animaux, de cochons dans le cas de votre famille. Cela doit aussi être différent de la réalité [rires] ?

Oui. C’était déjà le cas dans une version précédente de ce projet, qui date de 2009. C’était peu après la naissance de ma deuxième fille. Disons que c’était une naissance un peu sportive, un peu animale ! Quand j’ai eu le bébé, elle avait vraiment l’air d’un porcelet. Je suis un peu restée là-dessus…

Ça permet de prendre une certaine distance ?

Exactement. Ça permet de dire : ce sont des personnages, ce n’est pas exactement la réalité. Ça met l’accent sur le côté moins raisonnable et plus animal de la vie quotidienne.

Votre personnage d’aînée n’est jamais contente. « On dirait moi quand j’avais son âge », dit la mère. C’est dur de se reconnaître dans un ado ?

C’est compliqué. À partir du moment où on est l’adulte, on a quand même une certaine responsabilité éducative, même si on veut être cool. Il y a des choses qu’on n’acceptera pas ou qu’on ne dira pas. En même temps, on se souvient très bien l’avoir vécu de la même manière que son propre enfant. On comprend peut-être mieux que ce que l’enfant croit… C’est une sorte de grand écart entre les souvenirs, le reflet que nous renvoie l’enfant, et la responsabilité d’adulte vis-à-vis de cet enfant, pour qu’il grandisse bien.

Dans vos planches, les enfants se demandent où se cacher si un terroriste entre à l’école. L’ado conseille aussi à sa sœur d’apprendre à chasser le pigeon – au lieu de s’entraîner au hula hoop – si elle veut survivre quand on sera revenus à l’état sauvage. Vous croyez que la vie est plus dure pour les enfants d’aujourd’hui ?

Oui, je pense que c’est très difficile pour les jeunes gens, en ce moment. On est dans une société qui érige la jeunesse en espèce de valeur absolue, mais qui n’aide pas du tout les jeunes gens à s’épanouir. Donc oui, je pense que c’est très difficile pour eux de se faire une place. Que ce soit à l’école ou dans la société, le monde est plus dur.

Dans Ada & Rosie, la mère se prépare une tisane « Idées claires », fait jouer la liste d’écoute « Concentration maximum », allume la bougie « Pleine conscience », avant de s’endormir devant son ordinateur. C’est aussi difficile d’être mère, en 2019 ?

C’est difficile parce que, justement, comme la société est moins faite pour les jeunes, c’est très stressant pour les parents, eux aussi. On est souvent démunis. On est dans une espèce de présent permanent, où c’est difficile de voir les choses en perspective. C’est un peu épuisant, quoi ! Il n’y a pas de solution idéale. Chacun bricole un peu comme il peut avec tout ça…

Quelles sont vos influences ?

Plus spécifiquement en bande dessinée, je suis une lectrice de Claire Bretécher depuis toute petite. C’est sûr que c’est quelqu’un qui a été important pour moi. Mais aussi de Franquin, Hergé, Sempé, Robert Crumb et plein d’autres.

Où travaillez-vous, chez vous ou ailleurs ? De façon structurée ?

J’ai un petit atelier, qui est un studio parisien sous les toits. Je suis assez organisée. Je pars le matin et je reviens le soir. Et j’ai du temps de solitude dans mon atelier, qui me permet de me concentrer pour travailler, écrire et dessiner.

Il n’y a pas fait trop chaud, avec la canicule ?

Oui, alors c’était un peu chaud ! Pour tout vous dire, je mets une bassine d’eau sous mon bureau et un ventilateur pas loin. Comme ça, ça va. Parce que sous les toits, avec une grande verrière, ça chauffe. On n’est pas super adaptés, je pense. Il faut qu’on s’adapte…

Les propos de Dorothée de Monfreid ont été édités en raison d’un espace limité.

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