Élection présidentielle au Brésil

Faut-il avoir peur de Jair Bolsonaro ?

Les Brésiliens doivent élire demain leur prochain président. Les sondages prévoient la victoire du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, surnommé le « Trump des tropiques ».

Vous trouvez que les États-Unis ne vont pas très bien sous la direction de Donald Trump ?

Jair Bolsonaro, candidat favori au deuxième tour de la présidentielle brésilienne, que les médias ont décrit comme « le Trump des tropiques », multiplie les déclarations-chocs dépassant de loin celles du modèle original.

Ce qui y domine, ce sont les appels répétés à la violence. Au point que de nombreux experts craignent qu’au lendemain de sa probable élection, le Brésil ne bascule dans le chaos, ce qui mènerait ultimement à un retour de la dictature militaire.

Des exemples ?

« Battre son enfant est un moyen efficace pour lutter contre son homosexualité », a déjà déclaré le populiste d’extrême droite crédité de 56 % d’intentions de vote par les plus récents sondages.

« Dans le passé, la dictature militaire a torturé, mais elle n’a pas suffisamment tué », a aussi dit Jair Bolsonaro.

Jair Bolsonaro s’était aussi fait remarquer en lançant à une députée, en pleine Assemblée : « Je ne te viole pas parce que tu ne le mérites pas ! »

Son florilège contient aussi l’affirmation homophobe suivante : « Je préfère voir mon fils mourir dans un accident de voiture que de le voir ramener un pédé à la maison. »

En campagne électorale, il a multiplié les slogans du genre « un bon bandit est un bandit mort ». Et il a suggéré de « mitrailler les pétistes », ciblant ainsi les membres du PT, ou Parti des travailleurs, de l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.

Encore il y a six jours, lors d’un de ses derniers rassemblements électoraux, il a promis de mener, une fois élu, « la plus grande opération de nettoyage de l’histoire du Brésil » afin de « rayer de la carte les bandits rouges ».

Politicien de l’ombre

Député fédéral depuis 28 ans, Jair Bolsonaro a longtemps exercé le rôle de politicien de l’ombre qui ne se faisait remarquer que par ses occasionnelles affirmations à l’emporte-pièce. Le vide politique créé par la disqualification de Lula, l’ancien président socialiste condamné à 12 ans de prison pour corruption, lui a permis de se propulser au premier plan de la scène politique brésilienne.

Contrairement à Donald Trump, Jair Bolsonaro n’est pas un véritable « outsider », puisqu’il siège au Congrès brésilien depuis près de trois décennies. Mais n’ayant jamais fait partie d’un gouvernement, il n’a pas été éclaboussé par la cascade de scandales qui ont rejailli sur la classe politique brésilienne depuis 2014.

« La comparaison entre Jair Bolsonaro et Donald Trump tient jusqu’à un certain point, il lui ressemble par son style politique, son rapport hostile avec les médias, et par son mépris envers les institutions politiques », observe Julián Durazo-Herrmann, spécialiste de l’Amérique latine à l’Université du Québec à Montréal.

Comme Donald Trump, Bolsonaro est un franc-tireur, « un populiste qui a ses idées et se fiche des institutions en place », constate Françoise Montambeault, codirectrice du Réseau d’études latino-américaines de Montréal.

Il n’hésite pas non plus à utiliser les réseaux sociaux pour propager de fausses nouvelles. Celle, notamment, reprochant au Parti des travailleurs d’avoir distribué des « kits gais » dans les écoles. Il s’agissait en réalité de manuels d’éducation sexuelle…

Autres points de ressemblance : les deux hommes sont proches des milieux évangéliques et du lobby pro-armes. Comme Trump, Bolsonaro ne croit pas au réchauffement climatique. Mais les comparaisons s’arrêtent là.

La campagne de haine menée par Jair Bolsonaro a incité ses partisans à commettre des actes de violence que ce dernier dénonce du bout des lèvres, avant de remettre de l’huile sur le feu par de nouvelles déclarations haineuses, note Julián Durazo-Herrmann.

La grande différence entre les deux politiciens de droite, anticipe Françoise Montambeault, « c’est que Jair Bolsonaro pourra aller jusqu’au bout de ses ambitions ».

« Il est proche des militaires, son colistier est un colonel, s’il rencontre trop d’opposition, il n’hésitera pas à mettre l’armée dans la rue. »

Balles, bœuf et Bible

Mais qu’est-ce qui a permis à ce politicien de 63 ans, ancien militaire sans grandes réalisations ni charisme, de se retrouver aux portes de la présidence ?

Sa popularité repose d’abord sur le rejet du Parti des travailleurs qui a été aux commandes du Brésil de 2002 à 2016, note Jean Daudelin, de l’École des relations internationales de l’Université Carleton, en Ontario.

Rejet qui a été alimenté, selon cet expert, par une triple crise : une récession qui a fait exploser le chômage, une crise de confiance dans les institutions politiques nourrie par les scandales de corruption, et la crise de la sécurité publique, dans un pays qui enregistre plus de 60 000 meurtres par an.

Mais Bolsonaro a aussi des appuis. C’est le trio BBB : pour balles, bœuf et Bible. Ouvert à un assouplissement des restrictions sur le port d’armes, à l’expansion de l’agriculture sur des terres actuellement exclues du développement, et lui-même membre de l’Église pentecôtiste, Jair Bolsonaro peut donc compter sur trois lobbys extrêmement puissants au Brésil.

Le réseau évangélique est particulièrement important, note Jean Daudelin : il contrôle une des trois grandes chaînes de télévision, exploite de nombreux postes de radio et a des églises dans tous les coins du pays, où ses pasteurs appuient Bolsonaro.

Ce dernier puise ses appuis surtout chez les électeurs des classes moyenne et aisée. Particulièrement ceux qui n’ont pas bénéficié des mesures sociales de Lula. Et qui, après avoir vécu le boom brésilien du début des années 2000, sont frappés de plein fouet par la crise.

« Ces gens sont viscéralement anti-Lula », dit Julián Durazo-Herrmann. Et voient donc son successeur à la tête du PT, Fernando Haddad, un peu comme la réincarnation du diable.

Entre une gauche fatiguée et une droite incapable d’offrir une solution de rechange crédible, « le terrain était libre pour l’émergence d’un politicien qui propose d’être un sauveur », résume Françoise Montambeault.

Lendemains difficiles

Quel que soit le résultat du second tour, les lendemains électoraux au Brésil risquent d’être difficiles.

« Les familles sont très divisées, une parole extrémiste a été libérée », dit Françoise Montambeault.

Bien sûr, un mouvement de résistance contre les éventuelles dérives de Bolsonaro commence déjà à s’organiser.

« Mais jusqu’où pourra-t-il aller pour contrôler la bête ? », demande Françoise Montambeault.

En d’autres mots : combien de temps avant que le nouvel homme fort du plus grand pays d’Amérique latine, et de la huitième puissance économique mondiale, n’impose l’ordre d’une manière brutale ?

Les paris sont ouverts.

Que propose Jair Bolsonaro ?

Environnement et agriculture

Quitter l’accord de Paris sur le climat

Abolir l’agence qui combat la déforestation

Ouvrir les terres sous réserve fédérale en territoire autochtone à l’exploitation agricole

Justice et défense

Réduire l’âge de la responsabilité pénale à 16 ans

Nommer plusieurs militaires à des postes de ministres

Libéraliser les restrictions sur le port d’armes à feu

Adopter la ligne dure contre le crime

Instaurer la présomption d’innocence automatique pour les policiers ayant tué des citoyens dans l’exercice de leurs fonctions

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