ENFANCE

Quand la gêne devient pathologique

WASHINGTON — Il y avait ce petit garçon qui faisait pipi dans ses culottes en classe parce qu’il ne parvenait pas à se résoudre à parler pour demander à aller aux toilettes. Ou cette petite fille qui ne protestait jamais quand un autre enfant lui enlevait le jouet qu’elle avait dans les mains.

Au fil de sa pratique, Steven Kurtz a traité des centaines d’enfants atteints de mutisme sélectif. Le psychologue new-yorkais a mis au point un camp d’une semaine pour traiter ce trouble, reconnu comme un diagnostic psychiatrique depuis 2013. Après une carrière à l’Université de New York, il a mis sur pied en 2014 son propre bureau de psychologues, entièrement consacré au mutisme sélectif et aux autres problèmes de gêne extrême.

« La différence entre un enfant timide et le mutisme sélectif est que le timide va se dégêner dans certaines situations, dit M. Kurtz, qui présentait une conférence sur le sujet à la dernière réunion annuelle de l’Association américaine de psychologie (APA), en août dernier à Washington. Pour cette raison, on attend au deuxième mois d’école pour faire le diagnostic. Rendu là, un enfant timide va parler au moins dans certaines situations. »

« Les enfants atteints de mutisme sélectif ne parlent pas du tout à l’école, seulement avec leurs parents. J’ai récemment traité à Dubaï un enfant qui avait dit deux mots dans toute son année scolaire. »

— Steven Kurtz, psychologue

Le mutisme sélectif est plus rare que l’autisme et beaucoup moins fréquent que le déficit d’attention. Un enfant sur 140 est atteint et les garçons sont deux fois plus touchés que les filles. Le pronostic est très bon si le traitement est fait avant l’âge de raison. « Quand on intervient entre 4 et 7 ans, 90 % des enfants guérissent, souligne M. Kurtz. C’est une simple question de répétition. Quand vous vous habituez à réagir plusieurs fois par jour, de 100 à 200 fois en fait, à une situation sociale en ne parlant pas, rendu au milieu du primaire, vous aurez des millions de renforcements de votre phobie. Une personne qui a peur des serpents aura beaucoup moins d’occasions pour renforcer sa phobie. Pour cette raison, on peut traiter la plupart des phobies plus tard dans la vie, mais pas le mutisme sélectif. »

Le mutisme sélectif provient d’un déficit de « performance », pas de capacité.

« Si on fait une vidéo sans son, les enfants atteints de mutisme sélectif ne se distinguent pas des autres. »

— Steven Kurtz

« Le problème, c’est qu’au fil des ans, le déficit de performance vient effacer la capacité à interagir avec autrui. Puis, ça envahit les autres sphères de l’interaction sociale. »

Quelles sont les conséquences d’un mutisme sélectif non traité ? « Il va y avoir toutes sortes d’autres types d’anxiété, de la dépression, dit M. Kurtz. Il y a beaucoup d’automédication, aussi. »

Qu’est-il possible de faire avec des patients plus vieux ? « Quand on intervient entre 10 et 14 ans, on peut réduire les symptômes, dit M. Kurtz. On a aussi tendance à utiliser des médicaments pour réduire l’anxiété. Cela dit, chez tous les spécialistes, il y a une tendance à utiliser les médicaments plus tôt, même chez les enfants au début du primaire, quand le problème est difficile à résoudre. J’étais récemment à la conférence annuelle sur le mutisme sélectif et tous voyaient ce même changement par rapport à la médication. »

La psychothérapie prend la forme d’un renforcement des réactions normales – avec la parole – face à des situations sociales. « On commence par attendre que l’enfant réponde, avant de laisser un adulte intervenir. Le silence est inconfortable et parfois, ça pousse l’enfant à parler. Quand il parle, on le félicite et on le récompense. » À la fin de chaque journée du camp d’une semaine, les enfants peuvent échanger leurs « bons points » contre des autocollants et d’autres babioles à une boutique que tiennent M. Kurtz ou d’autres psychologues de son bureau. « Pour avoir leur récompense, ils doivent faire la demande verbalement. »

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