OPINION

La sixième extinction

Nous assistons aujourd’hui à un anéantissement de la biodiversité dont le principal responsable est l’Homo sapiens

Au dernier sommet du G20, qui s’est déroulé à Hangzhou, en Chine, les grands de ce monde ont encore parlé de climat. Je crois cependant que c’est le temps de parler de climat, oui, mais aussi de l’hécatombe d’origine anthropique de la biodiversité planétaire.

L’anthropocène, c’est cette période de temps marquée par l’arrivée de l’humain sur la planète bleue. C’est un clin d’œil dans l’histoire de la Terre. J’ai bien dit un clin d’œil, parce qu’on a calculé que si on ramenait l’histoire terrestre à une échelle de 24 heures, l’espèce humaine y serait apparue à 23h59 et 56 secondes. Donc, en seulement 4 secondes d’existence, nous avons saccagé profondément ce que la Terre a mis 24 heures à construire, car l’anthropocène est aussi synonyme de cet incontestable drame appelé la sixième extinction.

Nous assistons aujourd’hui à un anéantissement de la biodiversité dont le principal responsable est l’Homo sapiens. La paléontologie nous enseigne que depuis 450 millions d’années, la Terre a connu cinq extinctions massives causées par des changements environnementaux fatals à certains groupes d’êtres vivants. La cinquième et dernière grande extinction naturelle s’est produite au jurassique, il y a 65 millions d’années.

Une météorite de quelques kilomètres, tombée à Chicxulub, au Mexique, avait alors précipité la disparition des dinosaures qui vivaient sur la Terre depuis 175 millions d’années. Certains petits dinosaures ont quand même échappé à cette fin tragique et ont engendré nos oiseaux actuels. Après chacun de ces épisodes d’extinction, la nature a eu besoin, selon les spécialistes, d’une dizaine de millions d’années pour se reconstruire.

En lui demandant d’imposer sa domination sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui y rampent, la Bible ne se doutait pas que sa volonté serait à ce point exaucée. La Terre est devenue un buffet ouvert pour une seule espèce : l’Homo sapiens. Bienvenue dans ce qu’on appelle l’anthropocentrisme.

Ici, il y a une espèce élue et toute la création est à son service.

Selon Paul Ehrlich, de l’Université Stanford, l’humain accapare à lui seul près de 40 % des produits de la photosynthèse des plantes. Ce qui veut dire qu’environ une molécule sur deux fabriquées par les végétaux est récoltée directement ou indirectement par l’humain. Pourtant, notre planète a peut-être plus besoin d’une abeille que d’un humain. Quand on y pense, l’abeille prend à la Terre, mais elle contribue respectueusement à l’épanouissement des plantes par son travail de pollinisatrice. L’humain, lui, prend et détruit tout sur son passage sans rien donner en retour, ce qui selon bien des scientifiques correspond à la définition d’un parasite. Si l’humain était un parasite de la Terre ? Voilà une question que se posent de plus en plus de chercheurs.

Le grand spécialiste américain des fourmis, Edward O. Wilson, a évalué que ce rythme d’extinction des espèces imposé par l’activité humaine est jusqu’à 10 000 fois plus rapide que pendant les cinq épisodes précédents.

Ce scientifique a évalué qu’aujourd’hui, 0,5 % de toutes les espèces disparaissent annuellement. Un pourcentage qui équivaut à 50 000 espèces par année, 137 espèces par jour. Chaque heure qui passe, il y a environ six espèces, dont certaines n’ont jamais été identifiées par l’humain, qui tirent leur révérence de la surface de la Terre. En 2014, c’est le Fonds mondial pour la nature qui nous annonçait qu’entre 1970 et 2010, 52 % des populations de vertébrés connus ont disparu de la surface de notre planète.

C’est un grand génocide et une injustice incommensurable pour les générations futures. Il est désolant de constater qu’il y a des merveilles de la création que la nature a mis des millions d’années à fignoler, qui quittent la Terre sans même qu’on ait le temps de les découvrir et de les admirer. Des créatures qui emportent peut-être avec elles des réponses à plusieurs de nos problèmes actuels. Une mauvaise herbe, disait mon grand-père, c’est juste une plante dont on ne connaît pas encore les vertus.

Heureusement, là où croît le péril… croît aussi ce qui sauve, dit à juste raison Hubert Reeves dans son dernier bouquin. Je crois aussi qu’il n’est pas trop tard, car l’humain peut être aussi un être de bien.

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