Design

La recette Zébulon

Son travail a été récompensé quatre fois plutôt qu’une aux derniers prix de Design Montréal. Pas étonnant, car tout ce que touche Zébulon Perron se transforme en or. Les innombrables bars, restaurants ou cafés qu’il a dessinés sont presque tous devenus des succès commerciaux. Quel est l’ingrédient secret de la recette Zébulon ?

La modestie, peut-être ? « Le design aide à la survie d’un établissement, mais ce n’est pas une garantie. C’est un élément parmi plusieurs », répond Zébulon Perron, qu’on rencontre au centre-ville dans un de ses projets chouchous, le bar Furco, récemment primé aux prix Commerce Design Montréal.

Le designer de 42 ans, qui travaille avec la même fidèle collaboratrice depuis six ans, Andréanne Guillemette, accepte donc seulement les projets auxquels il croit. Mais ce luxe de choisir, il n’a pas toujours pu s’en prévaloir. « Au début, j’essayais de convaincre les gens de l’intérêt de ce qu’on faisait et c’était difficile. Il fallait quasiment qu’on travaille gratuitement », explique-t-il. Mais au cours de la dernière décennie, l’offre de bars et restaurants a explosé à Montréal, au même moment où le design s’est quelque peu démocratisé. « La mentalité s’est beaucoup transformée, poursuit Zébulon Perron. Les goûts se sont raffinés pour la bouffe, pour le vin et, parallèlement, les gens ont pris conscience de l’importance de leur environnement. »

LE TOURNANT BUVETTE

La Buvette chez Simone, son premier projet seul, a marqué un tournant dans sa carrière. Le bar à vin de l’avenue du Parc est devenu un immense terrain de jeux pour explorer « plusieurs idées qui mijotaient depuis longtemps ». Zébulon connaissait bien les propriétaires et s’identifiait à leur volonté de démocratiser les bars à vin. « Jusque-là, les bars à vin étaient un peu guindés, chic, avec beaucoup de décorum… Eux ont rendu ça très simple, ouvert, pas intimidant. »

Il a énormément appris de cette première expérience en solo. « À la Buvette, j’ai passé beaucoup, beaucoup de temps à angoisser sur des pouces. Mais ç’a validé certaines idées que j’avais par rapport à l’aménagement et ça m’a fait découvrir beaucoup de choses, que j’ai appliquées dans des projets subséquents. »

Lorsqu’il conçoit des lieux, il aime se mettre à la place des gens, imaginer ce qu’ils voient, comment ils peuvent se sentir. Par exemple, à la Buvette, il y a des endroits pour poser son verre un peu partout. « J’essaie de penser l’aménagement en fonction de la personne qui est là, de ne pas la laisser seule avec son verre. »

« J’essaie de favoriser, par la forme, les situations où les gens qui ne se connaissent pas peuvent se parler », poursuit le designer. « Il y a un besoin fondamental chez l’humain d’être en public, d’aller dans des lieux avec des gens qu’il ne connaît pas. Ce besoin d’interaction avec l’autre, c’est la base de mon approche en conception et c’est ça, pour moi, qui va générer la forme. »

D’ailleurs, il a pris l’habitude d’aller dans les endroits qu’il a conçus une fois qu’ils sont ouverts, pour observer comment les gens se l’approprient. « On a des idées sur ce que notre aménagement va donner. Parfois ça fonctionne, mais souvent ça nous surprend. Les gens l’utilisent autrement… Je découvre des choses chaque fois qu’on fait un projet. »

UN NOM QUI RÉSONNE

Ce n’est pas toujours facile de s’appeler Zébulon, surtout lorsqu’on est enfant. « Quand j’étais petit, ça me gênait parfois », concède-t-il. À l’adolescence, il a volontairement quitté le Mile End et ses parents hippies pour passer un an dans un pensionnat à l’extérieur de la ville. Dans cet endroit où personne ne le connaissait, il a décidé d’utiliser seulement son deuxième nom, Robert. « C’est très étrange de se faire appeler par un autre nom que le sien. Ça n’a pas duré très longtemps. »

Aujourd’hui, Zébulon assume totalement son nom, qui est même devenu, en quelque sorte, sa marque de commerce. « C’est sûr que ç’a une influence sur un destin de s’appeler Zébulon », dit-il. Cela l’a même aidé à « se faire un nom » quand il a commencé dans le métier : « Les gens s’en souviennent plus facilement que si je m’appelais Martin Tremblay, par exemple. »

Le hic ? Certains croient qu’il s’est choisi un nom d’artiste pour faire son original. « C’est ma mère qui m’a appelé comme ça ! Ce serait vraiment contraire à qui je suis de me donner un nom d’artiste. »

Il vient d’une famille un peu bohème où tout le monde est artiste, pigiste, entrepreneur… Sa mère a toujours encouragé ses deux fils à dessiner. Aujourd’hui, le frère de Zébulon vit à Los Angeles, où il fait de la conception de décors et de spectacles. « Ma mère aussi dessine, plus pour le plaisir. Mais mon frère et moi en avons fait notre métier, et je pense qu’on peut attribuer ça directement au fait qu’on dessinait beaucoup quand on était jeunes. »

Zébulon aurait d’abord voulu devenir architecte, sauf que les nombreuses contraintes du métier l’en ont dissuadé. « Mes premières amours, c’est l’architecture. Mais c’est comme une “bibitte” lourde. Donc je me suis réfugié à l’intérieur. » Il y a aussi trouvé son bonheur, car il travaille à une échelle plus petite que celle de l’urbanisme et de l’architecture : la dernière échelle, celle qui touche directement les gens.

Il s’intéresse quand même fortement au domaine public et croit qu’on devrait encourager les gens à flâner. « Une petite pause, une place, un banc, pour moi ç’a beaucoup d’importance, dit-il. On vit et il faut ponctuer les choses de moments. » Il cite l’exemple du café Parvis, une de ses réalisations au centre-ville, une oasis à l’écart de l’agitation de la rue Sainte-Catherine. « Un petit café improbable dans un lieu improbable, ça apporte beaucoup à l’expérience, à la magie. »

En tout cas, son but ultime n’est pas de faire du beau. Ce qu’il veut, c’est que les gens soient bien ensemble dans un lieu donné. « Tant mieux si c’est beau, dit-il, mais l’important, c’est comment les gens se sentent. C’est peut-être quelque chose qui explique que nos projets ont fonctionné. »

Zébulon Perron et Andréanne Guillemette seront tour à tour dans les quatre établissements primés aux prix Commerce Design Montréal, aujourd’hui et demain.

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