CHRONIQUE RÉFORME FISCALE MORNEAU

Une réforme rattrapée par la politique

La réforme fiscale proposée par le gouvernement Trudeau est bien évidemment un dossier de nature fiscale, avec la complexité qui vient avec. Mais c’est aussi un dossier très politique.

C’est en appliquant une grille d’analyse politique qu’on comprend mieux pourquoi la réforme a été conçue, pourquoi elle comporte des lacunes, pourquoi elle a suscité de si vives réactions et pourquoi le gouvernement devra reculer d’une façon ou d’une autre.

Toute la démarche politique de Justin Trudeau, depuis sa campagne électorale, repose sur son engagement d’améliorer le sort des classes moyennes. C’est même devenu un mantra, un terme que répètent ad nauseam le premier ministre et les membres de son cabinet.

C’est pour cette classe moyenne que le gouvernement a amorcé une réforme fiscale il y a deux ans en améliorant l’équité verticale du système fiscal, sa progressivité : on a augmenté l’impôt des plus riches, le fameux 1 %, pour réduire celui des classes dites moyennes.

Ottawa se lance maintenant dans la deuxième phase de la réforme pour s’attaquer à l’équité horizontale, pour qu’à revenu égal, les gens aient le même traitement fiscal.

Le ministre des Finances Bill Morneau a ainsi choisi de s’attaquer à une pratique qui consiste à se constituer en société pour payer moins d’impôt que quand on est salarié. Le document de consultation gouvernemental note que le nombre de ces entreprises a explosé, un bond de 50 % en 13 ans. Il a triplé dans le cas des services professionnels.

C’est un problème de riches, car ces outils fiscaux sont surtout intéressants quand les revenus sont élevés. Mais le premier ministre l’a lié aux classes moyennes, en disant que ces contribuables bien nantis peuvent se retrouver avec des taux d’imposition inférieurs à ceux des gens ordinaires.

La démarche est légitime. Il y a eu des abus dans la façon dont des contribuables ont réussi, en toute légalité, à profiter d’avantages fiscaux qui ne leur étaient pas destinés. Mais la politique a compromis le processus.

Pour que ça soit payant, pour que le gouvernement fédéral puisse affirmer qu’il avait mis fin aux injustices, il fallait faire simple, même si le dossier est en fait d’une complexité effroyable.

Une brève parenthèse technique. Le projet s’attaque à trois outils que peuvent utiliser les propriétaires de sociétés privées. Le fractionnement de revenu qui permet de verser du salaire à des membres de la famille qui ont un taux d’imposition plus bas. La possibilité d’utiliser les surplus de l’entreprise pour faire des placements passifs qui seront moins imposés. La possibilité de transformer des revenus en gain de capital dont le traitement fiscal est moins avantageux.

Le défaut de la démarche, à mon avis, c’est surtout qu’on a donc, pour des raisons politiques, concocté une réforme « mur à mur », avec une panoplie d’outils pour encadrer et limiter le recours à ces mécanismes, au lieu de s’attaquer au problème de fond : la prolifération des contribuables qui ont réussi à en profiter même si cela ne se justifiait pas dans leur cas.

Ce qu’ont mis en relief les analyses de la réforme par des fiscalistes, tout comme le concert de protestations, c’est que ces mécanismes jouaient souvent un rôle utile et justifiable. Les mesures de fractionnement familial ont un sens pour des PME ou des exploitations agricoles qui reposent sur un effort familial. Les mesures permettent aussi à des entreprises de se constituer des coussins pour résister aux cycles et aux mauvaises années. Elles favorisent aussi la prise de risques et la croissance des PME. Elles facilitent aussi la transmission familiale, notamment pour les fermes. En plus, le cadre général proposé par Ottawa, impeccable sur papier, l’est beaucoup moins quand on regarde son application sur le terrain.

Ce à quoi il fallait s’attaquer, c’est au fait qu’un grand nombre de ces sociétés privées ne sont pas des vraies PME, mais des coquilles fiscales pour des travailleurs autonomes ou des professionnels qui n’investissent pas, ne prennent pas de risques, ne créent pas d’emplois ou n’en créent pas davantage grâce à ces dispositions fiscales. C’est le cas des avocats. Et plus encore, celui des médecins qui sont une forme de salariés de l’État, et pour qui ces mécanismes étaient un cadeau fiscal pour compenser ce qu’ils estimaient être leurs trop faibles revenus.

Ce qui nous ramène à la politique. À part les médecins, qui ne vont émouvoir personne, la levée de boucliers contre la réforme est venue des PME et des agriculteurs, qui créent des emplois, qui travaillent fort, et qui, très souvent, appartiennent à cette classe moyenne que le gouvernement Trudeau définit de façon floue. 

Bref, l’effet est un peu raté parce que la classe moyenne que l’on voulait séduire est jusqu’à un certain point solidaire des victimes de la réforme.

Ce n’est pas le principe de la démarche qui pose problème, mais son application, sa capacité de bien séparer le bon grain de l’ivraie.

Si le gouvernement Trudeau veut sauver sa réforme, il doit trouver une façon de mettre fin aux abus patents sans pénaliser indûment ceux qui ne méritent pas d’être pénalisés.

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