Marché de l’art

Hausse de prix « exceptionnelle » des Corno

De son vivant, Johanne Corneau – alias Corno – obtenait déjà des prix élevés pour ses œuvres flamboyantes. Trois mois après son décès prématuré, la valeur de ses toiles a fait un bond pratiquement sans précédent dans le marché de l’art au Québec. Sur les marchés primaire et secondaire, les hausses vont de 25 à 50 %.

« C’est une hausse exceptionnelle pour une artiste ayant connu une carrière exceptionnelle », affirme Paul Maréchal, chargé de cours au Département d’histoire de l’art à l’UQAM, conservateur et historien de l’art.

Car contrairement à la croyance populaire, le décès d’un artiste n’est pas le facteur faisant le plus grimper le prix des œuvres. « C’est l’un des nombreux mythes tenaces par rapport au milieu de l’art ! », dit l’expert. Les fluctuations les plus spectaculaires – de l’ordre de 100 % ou 200 % – surviennent quand « l’intérêt d’un mégacollectionneur » pour un artiste vivant se manifeste… ou quand la machine à rumeurs s’emballe.

Lorsqu’un artiste quitte ce bas monde, les hausses sont plutôt de l’ordre de « 10 à 25 % », a observé Paul Maréchal ces 30 dernières années. « Pour que ça atteigne 25 %, il faut que l’artiste soit mort jeune et de façon tragique. » Le cas de Corno est d’autant plus hors du commun qu’elle s’est éteinte à 64 ans. Dans son cas, l’intérêt médiatique et sa notoriété mondiale font la différence.

À la Galerie AKA, qui appartenait à Corno, on a « ajusté » le prix des toiles de « seulement 25 % ». « Ce n’est pas beaucoup, juge son directeur, Louis Plamondon. Si on augmentait trop, ce ne serait pas bon pour le marché. Tout le monde qui a un Corno pourrait alors être tenté de le vendre, ce qui ferait chuter le marché. »

Certaines sérigraphies et giclées sont toutefois rendues 50 % plus chères en raison de « leur rareté », soit entre 2500 et 3000 $. Les quelques grandes toiles accrochées sur les murs se détaillent entre 30 000 et 40 000 $.

Cinquante personnes pour huit toiles

Jusqu’ici, la Galerie AKA, dans le Vieux-Montréal, n’a pas été assaillie de clients, surtout parce qu’elle a fermé ses portes pendant deux mois après le départ de Corno. Mais à Québec, le propriétaire de la Galerie Perreault n’est pas près d’oublier le 21 décembre 2016.

« Le jour de son décès, le téléphone ne dérougissait pas. On avait huit toiles à ce moment-là. Les gens voulaient acheter des pièces le jour même. Pour nous, c’était jour de deuil. On leur a dit de rappeler le lendemain. Ils ont rappelé, et on s’est retrouvés avec une liste de 50 personnes pour nos huit toiles. »

— Roch-André Perreault, propriétaire de la Galerie Perreault

« Les pièces avaient déjà augmenté de 25 % à ce moment-là. Ça a pris 30 minutes et tout était vendu ! », raconte M. Perreault, précisant qu’aujourd’hui, les prix sont 40 % plus élevés.

Le galeriste, qui décrit Corno comme la « Céline Dion de la peinture », n’a que deux de ses toiles à vendre. Il demande 35 000 $ pour la plus grande, 30 000 $ pour l’autre. Il souhaite en acheter davantage « parce qu’il y a une très, très bonne demande » et s’apprête d’ailleurs à en recevoir trois de New York.

Paul Maréchal explique qu’il y a toujours une « suractivité dans les transactions pendant environ un an, car la source est tarie pour toujours ». Par la suite, les prix se stabilisent et se mettent à augmenter de façon « régulière et constante ». « Il faudra voir si l’engouement pour Corno persiste. C’est ça, le test. »

Sur Kijiji, quelques particuliers vendent leurs toiles, d’autres en cherchent. La Galerie Cazeault y vend un diptyque 24 500 $. Son propriétaire, Emmanuel Cazeault, voudrait également en acheter, mais il y a peu d’offres. « C’est particulier. Il y a peu de monde qui veut vendre pour encaisser son profit. Peut-être parce qu’ils avaient payé cher et que la marge de profit serait mince, vu que Corno n’a jamais été abordable. »

Produits dérivés

N’étant plus approvisionnée en nouvelles toiles, la galerie AKA continuera d’exposer. Et de vendre des produits dérivés comme des étuis pour iPhone (45 $), des coussins (200 $) et des boîtes lumineuses. « Johanne aimait ça, assure Louis Plamondon. Mais il faut que ce soit haut de gamme. »

« On ne veut pas devenir un magasin, mais demeurer une galerie d’art avec quelques produits à vendre », rajoute la directrice adjointe, Marie Murai.

Cette stratégie est assez courante dans l’industrie, note Paul Maréchal. Évidemment, l’offre dépend du degré d’ouverture de la succession ainsi que du style de l’artiste. Andy Warhol sur un t-shirt, ça se vend. Jean-Paul Lemieux, sûrement moins.

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