OPINION JUAN CARLOS D’ESPAGNE

Un héros
de la démocratie

Il faut souligner le grand rôle qu’a joué pour la démocratie le roi Juan Carlos d’Espagne, au moment où, après 40 ans sur le trône, il abdique en faveur de son fils, le prince héritier Felipe. Une fin de règne difficile, marquée par des scandales qui entachent la famille royale, ne doit pas faire oublier ce qu’il a fait pour l’avancée universelle de la démocratie. Il n’est pas exagéré de dire qu’il a été l’un des héros du XXe siècle.

Rappelons-nous à quel point était difficile la situation des démocraties au milieu des années 70. L’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, l’Europe de l’Est et une partie de l’Europe méditerranéenne étaient sous la férule de régimes autoritaires ou totalitaires. Dans des pays comme la France ou l’Italie, environ le quart des électeurs accordait son suffrage à des partis ouvertement hostiles à la démocratie pluraliste. De telles idées pénétraient les syndicats et les universités de toutes les démocraties occidentales. La démocratie américaine, elle, était discréditée par les séquelles de la guerre du Viêtnam et la crise du Watergate.

Or, ce qui s’est passé, au cours des années qui suivirent, a été tout le contraire d’un rétrécissement de l’espace démocratique et de la liberté individuelle. L’humanité a connu l’un des phénomènes les plus positifs de toute son histoire : une progression sans précédent de la démocratie sur tous les continents. Et d’où cet ébranlement mondial est-il parti ? De la Grèce, du Portugal, de l’Espagne, en somme de la Méditerranée, berceau de la civilisation occidentale.

Suivant les vœux de Franco, Juan Carlos Alfonso Víctor María de Borbón y Borbón a été couronné le 22 novembre 1975, deux jours après la mort du dictateur. « Tout est attaché », aurait dit Franco qui, comme son entourage, espérait que le jeune monarque allait poursuivre son autoritarisme. Mais le courageux roi a défié la droite autoritaire et a résolument fait entrer l’Espagne dans le monde démocratique. Son intervention fut particulièrement décisive lors de la tentative de coup d’État menée par des officiers de l’armée le 23 février 1981, lorsqu’il déclara, dans un discours à la nation retransmis en pleine nuit à la télévision : 

« La couronne, symbole de la permanence et de l’unité de la patrie, ne peut tolérer aucun acte, aucune attitude de la part de personnes qui entendent interrompre par la force le processus démocratique ».

CROIRE EN LA DÉMOCRATIE

Plutôt que d’écouter les voix fatalistes qui clamaient que les peuples latins n’étaient pas faits pour la démocratie, le roi Juan Carlos a cru au destin démocratique d’une Espagne prête à assumer son pluralisme. Ce faisant, ce n’est pas seulement le destin de l’Espagne qui s’est joué ; on peut croire que c’est peut-être, aussi, celui de l’humanité. Car c’est simplifier à peine que de dire que, lorsqu’il est devenu clair que l’Espagne ne reviendrait pas en arrière et deviendrait démocratique, plusieurs peuples du monde se sont dit : « Nous en sommes aussi capables que les Espagnols ! »

Les années qui ont suivi ont été marquées par une grande vague démocratique qui a déferlé sur tous les continents et qui a culminé avec la mise à bas du mur de Berlin. Cet heureux développement n’avait rien d’inéluctable. Il ne résultait pas d’un quelconque déterminisme historique, étant plutôt l’œuvre de femmes et d’hommes courageux, à l’image du roi Carlos.

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous permettre de tenir ce progrès pour acquis. Il nous faut constamment, et avec vigilance, consolider la démocratie et les valeurs sur lesquelles elle se fonde.

OPINION

Lettre à Manon

La dernière fois qu’on s’est vus, c’était le 11 juin 2004 en Suisse, dans une petite ville en banlieue de Zurich. Il y a déjà 10 ans de ça.

Comme le temps passe vite, et comme parfois les choses sont lentes à changer ! Nous étions dans une petite maison bordée d’un jardin près d’une route secondaire. Tu reposais paisiblement sur un lit dans la seule chambre de la maison. La musique s’était tue.

Sur place quelques minutes plus tôt, un médecin avait constaté ton décès et avait appelé la police. C’était la procédure habituelle, comme il nous l’avait dit auparavant. André, Benoît et moi étions encore sous le choc, comme sonné par ton courage et ta détermination d’aller jusqu’au bout. Je fixais les chandelles éteintes sur la table près du lit.

La forte pluie qui tombait depuis quelques minutes avait cessé. L’eau coulait encore du toit et créait un bruit de crépitement en tombant dans le gravier autour de la maisonnette. Le soleil perçait à nouveau les nuages encore épais et sombres. Une lumière de couleur crème envahissait la chambre. Au loin, une sirène annonçait l’arrivée de la police.

Pendant que le coroner confirmait ton décès, l’inspecteur nous rencontrait un par un et nous posait des questions. Toi, étendue sur le lit dans la pièce juste à côté, tu savais que tu venais de réaliser ton souhait le plus cher. Arrêter de souffrir avant qu’il ne soit trop tard et que tu ne sois plus maître de tes actes. En toute connaissance de cause, face au vent, et fière.

Nous sommes repartis pour Zurich. Dans la camionnette, c’était le silence.

Dans le coffre arrière, il y avait ta chaise roulante. La morgue avait emporté ton corps et Dignitas s’occupait de la crémation et du rapatriement de tes cendres.

Par la fenêtre de la voiture, je regardais défiler le paysage calme de la Suisse. J’étais partagé entre la joie pour toi, et la peine pour moi. Je nous revoyais ensemble dans ta chambre du CHSLD à Montréal. Il y faisait plein soleil et on écoutait Horseshoe Man de Neil Young. Tu me parlais de cet ultime voyage.

Comme c’est bête, être obligé de s’exiler pour cesser de souffrir et mourir loin de chez soi et loin de tous ceux qu’on aime !

Nous voici donc 10 ans plus tard.

Tu seras surprise d’apprendre qu’une loi sur l’aide médicale à mourir vient tout juste d’être adoptée. C’est la loi 52. C’est bien, c’est un début, mais cela ne va pas assez loin. Il y a, comme tu dirais, encore une petite gêne. Tu n’aurais pas annulé ton voyage en Suisse pour cela.

Comme promis, j’ai retourné ta chaise roulante au CHSLD.

Elle a pu servir à quelqu’un d’autre comme tu le souhaitais.

Ton ami pour toujours,

Jean
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