Opinion

L’action communautaire est à bout de souffle, et pauvre

Notre secteur est maintenu dans cette situation de pauvreté qu’on aspire tant à enrayer

J’assume depuis 2009 les fonctions à la coordination et à la gestion d’un petit organisme qui offre une ligne d’écoute et des groupes d’entraide destinés à soutenir des personnes à la santé mentale vulnérable. Notre mission est d’aider ces gens à s’exprimer et à sortir de leur isolement.

Après une courte carrière en soins infirmiers dans le domaine hospitalier, j’ai fait le choix de me consacrer au monde du communautaire. J’œuvre dans le domaine de la santé mentale depuis 1998.

Ma carrière achève et je suis près de la sortie. C’est la raison pour laquelle je décide de m’exprimer. Car encore après toutes ces années, je dois fréquemment expliquer ce qu’est le communautaire. Et plus encore, qu’est-ce que le domaine de la santé mentale ? Deux mondes toujours aussi méconnus, à ma grande surprise…

L’organisme où je travaille reçoit une subvention du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) du ministère de la Santé et des Services sociaux. Depuis 20 ans, nous recevons la même somme. Nous verrons, avec la récente annonce de la ministre Lucie Charlebois, si notre tour viendra avec le nouveau financement annoncé. Bien sûr, une petite indexation s’est ajoutée au fil des années, mais loin de correspondre à l’augmentation du coût de la vie. Chaque année, des campagnes de financement sont nécessaires.

Nous ne sommes que deux salariés et nous avons du boulot. Nous tenons le fort à bout de bras ! Gérer, planifier, représenter et surtout former les bénévoles à l’écoute et à l’animation. Mais là n’est pas le sujet de ma lettre.

Comme je le mentionnais, l’organisme, comme bien d’autres d’ailleurs, doit former à plusieurs reprises durant l’année de nouveaux bénévoles, car l’engagement non rémunéré est à la base de sa structure. Après une formation de 32 heures échelonnée sur sept semaines, nous demandons un engagement d’une année minimum, au rythme de quatre heures par semaine.

Mais voilà qu’en 2017, l’engagement bénévole n’est plus ce qu’il était.

En fait, le bénévolat, aussi noble soit-il, ne devrait plus être la principale ressource humaine pour répondre aux besoins sans cesse grandissants en santé mentale. La disponibilité des personnes qui souhaitent s’impliquer dans un organisme comme le nôtre a bien changé.

Pour ceux qui choisissent de s’impliquer dans notre organisme, la charge de travail est lourde. Durant leur quart de travail, au bout du fil, nos bénévoles sont en contact avec la souffrance et la crise sous toutes ses formes, incluant la crise suicidaire.

Les étudiants en psychologie qui s’impliquent chez nous sont précieux, mais la plupart d’entre eux doivent travailler pour payer leurs études. Les fins de session et les semaines de relâche s’avèrent difficiles pour notre fonctionnement. Des travailleurs en recherche d’emploi qui décident de venir donner de leur temps sont les bienvenus, mais disparaissent une fois qu’ils ont trouvé un emploi. 

L’argent manque pour augmenter nos salaires et créer de l’emploi. Les subventions n’augmentent pas et l’épuisement nous guette. Les demandes d’argent sont impossibles pour des projets quand c’est à la source que l’argent manque ! Il en est ainsi dans notre système.

L’action bénévole, à mon avis, demeure démesurément précieuse et nécessaire. La grandeur d’âme, le dévouement, l’empathie et l’amour l’inconditionnel sont des qualités d’une richesse innommable et immensément appréciées, mais surutilisées dans une société comme la nôtre.

Heureusement, notre société compte encore des citoyens compétents qui sont prêts â se retrousser les manches, comme les administrateurs qui s’investissent parce qu’ils y croient.

Or, leur contribution a aussi un prix et une valeur.

Nous faisons face à de grands changements de valeurs et le bénévolat devrait compter parmi nos prochains débats de société. Nous ne devrions plus être à la merci de la générosité des bonnes gens.

La mission d’un organisme comme le nôtre s’inscrit sous le signe de la « transformation sociale » et surtout dans le mouvement de « la lutte contre la pauvreté. » Nous faisons le nécessaire pour maintenir nos services gratuits, mais bientôt nous n’y arriverons plus.

L’effet pervers dans toute cette histoire, c’est que le communautaire est maintenu dans cette situation de pauvreté qu’on aspire tant à enrayer. Dès lors, comment assurer la pérennité de nos missions ?

Je ne me retirerai pas, ça c’est clair. Je vais continuer à m’impliquer comme administrateur, formateur, écoutant ou animateur bénévole. Cette passion pour l’être humain reste tatouée à vie, même si on se doute bien que nos gouvernements l’ont compris… et en profitent.

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