Guerre en Syrie

« Il fallait protéger les Casques blancs »

Plus de 400 personnes, des Casques blancs – secouristes volontaires dans les zones rebelles en Syrie – et des membres de leur famille, ont été secrètement évacuées dans la nuit de samedi à hier par Israël vers la Jordanie. Jusqu’à 250 d’entre elles seront accueillies au Canada. Explications. 

Opération secrète

L’opération secrète s’est déroulée dans la nuit de samedi à hier. L’armée israélienne avait une liste de noms de Syriens qui devaient être évacués pour des raisons humanitaires, selon le quotidien israélien Haaretz. Les 422 personnes évacuées – des Casques blancs et leurs proches, essentiellement des enfants, selon l’armée – ont convergé vers deux points de rassemblement distincts où l’armée israélienne les a fait monter dans des autobus et les a transportés à un poste-frontière avec la Jordanie. Un second groupe « n’a pas pu arriver [à temps] à la frontière à cause de la situation sur le terrain », selon une source gouvernementale canadienne à Montréal, qui avance que ce groupe se trouve toujours en Syrie et qu’il n’est pas certain qu’une nouvelle opération puisse être déployée, tant la situation est « précaire ».

Victoire du régime Assad

L’opération d’évacuation est intervenue alors que le régime syrien de Bachar al-Assad est sur le point, avec l’aide de Moscou, de reprendre aux rebelles les derniers secteurs qu’ils contrôlent dans le sud de la Syrie. Pour le politologue spécialiste du Moyen-Orient Sami Aoun, cette opération est « un indice majeur que la guerre en Syrie prend fin dans la grande majorité du territoire » et que le régime d’Assad « a, en ce sens, gagné ». « Les Casques blancs ont perdu leur raison d’être. Et il fallait les protéger. Il fallait les accueillir et leur ouvrir une porte de sortie qui a été assurée particulièrement par la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Canada. Et celui qui a fait l’acte de libération, c’est certainement Israël. Les Israéliens ont des moyens très avancés dans les questions d’évacuation et ils ont fait une opération très articulée », explique M. Aoun, professeur à l’Université de Sherbrooke et directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la chaire Raoul-Dandurand.

Accueil risqué ?

L’accueil de ces Syriens est-il risqué ? M. Aoun rappelle qu’il est du devoir du gouvernement de s’assurer que ces réfugiés « ne sont pas des agents qui peuvent nuire à la sécurité du Canada et porter atteinte à la sécurité des Canadiens ». « Il faut faire confiance aux agences de sécurité canadiennes, estime Sami Aoun. On ne peut pas prétendre qu’on peut contrôler le comportement d’un ou de tous les individus. Mais cela ne signifie pas que le Canada ne devrait pas répondre à l’éthique de l’urgence, qui est d’ouvrir ses portes et de donner un asile politique, mais selon les règles et les lois en vigueur au Canada. »

Implication du Canada

La date d’arrivée des Syriens sur le sol canadien demeure floue. Les Casques blancs évacués devraient rester dans un camp de réfugiés des Nations unies en Jordanie pendant environ trois mois, le temps que leur dossier soit traité, avant d’être transférés vers le Canada, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Le ministère canadien des Affaires étrangères a affirmé qu’Ottawa allait accueillir jusqu’à 50 Casques blancs avec leur famille, pour un total qui pourrait atteindre 250 personnes.

La ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a déclaré que le Canada – qui a versé 7,5 millions à l’organisation civile depuis deux ans – « ressent une responsabilité morale profonde envers ces personnes qui font preuve de bravoure et d’altruisme ».

« Les puissances occidentales ont échoué à sauver le peuple syrien et à mettre fin à la guerre en Syrie, rappelle M. Aoun. Alors, l’appui aux Casques blancs, c’était une compensation morale pour les Occidentaux pour qu’ils fassent quelque chose d’humanitaire. En ce sens, l’Occident se voit dans l’obligation morale de les soutenir. »

Un documentaire et une controverse

« On a affaire à une organisation assez suspecte », estime Samir Saul, professeur d’histoire des relations internationales à l’Université de Montréal.

Après qu’un documentaire produit par Netflix sur les Casques blancs syriens eut remporté un Oscar en 2017, l’authenticité du travail des quelque 3000 bénévoles a été contestée, notamment par des partisans du régime Assad, son allié russe et un grand nombre d’internautes qui ont relayé des informations de nature complotiste sur les réseaux sociaux. Le professeur Saul est de ceux qui remettent en doute les opérations du groupe sur le terrain.

« Les djihadistes ont perdu, et on est en train de sauver leur peau, croit-il. Il y a lieu de demander des comptes au gouvernement Trudeau sur ce qu’il a prévu pour assurer au peuple canadien que ce qu’il fait ne comporte pas de danger et qu’il a fait le travail nécessaire pour savoir exactement à qui il a affaire. »

Zone grise

Sami Aoun n’adhère pas à la théorie du complot. Il reconnaît toutefois que ces volontaires des défenses civiles peuvent certainement avoir quelques affiliations avec des factions de l’opposition. « Mais ça ne fait pas d’eux des extrémistes islamistes, estime-t-il. Il est très probable qu’ils soient proches des rebelles, mais cela ne signifie pas, comme la propagande russe voulait nous en convaincre, qu’ils sont une bande de terroristes ou d’extrémistes islamistes. » Les secouristes insistent sur leur neutralité et leur non-affiliation avec un groupe politique ou armé.

— Avec La Presse canadienne et l’Agence France-Presse

EN CHIFFRES

250 Le Canada accueillera jusqu’à 50 Casques blancs avec leur famille, ce qui pourrait faire un total de 250 personnes.

422 Environ 100 Casques blancs et leur famille, soit 422 personnes, ont été évacués de la Syrie dans la nuit de samedi à hier par Israël vers la Jordanie.

40 000 Le gouvernement de Justin Trudeau a accueilli plus de 40 000 réfugiés syriens depuis novembre 2015.

7,5 millions Le gouvernement canadien a versé 7,5 millions aux Casques blancs au cours des deux dernières années pour le recrutement et la formation de nouveaux membres.

350 000 Le conflit en Syrie a fait plus de 350 000 morts depuis 2011.

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