Opinion Affaiblissement du CHU Sainte-Justine

Un symbole à l’approche du 8 mars

L’hôpital Sainte-Justine a été fondé courageusement et contre vents et marées il y a plus de 100 ans par un groupe de femmes dont la Dre Irma Levasseur – première femme médecin du Québec – et la mécène Justine Lacoste-Beaubien.

Ces pionnières avaient compris qu’il fallait créer un établissement de médecine pédiatrique hors du giron de la médecine adulte si on voulait voir progresser les soins aux enfants. Elles ont encouragé les équipes médicales à obtenir les meilleures formations et ont favorisé l’acquisition d’équipements de fine pointe. Soutenues par des dons de toute la population du Québec, elles ont voulu contribuer à assurer l’avenir des enfants de chez nous en leur offrant les meilleurs soins possible.

Personne ne doute aujourd’hui que le CHU Sainte-Justine est l’un des fleurons du système de santé au Québec. L’institution est devenue avec le temps et ses générations d’artisans le symbole même de l’excellence en soins mère-enfant, réputé internationalement. Des milliers de familles de partout au Québec ayant eu des enfants malades ou handicapés ont fait l’expérience de Sainte-Justine et en ont conservé une grande admiration et un profond attachement.

Encore aujourd’hui, l’esprit des fondatrices est toujours au cœur de cet hôpital hors du commun. Le dévouement envers les patients (parmi les plus vulnérables) est immense. Il stimule l’engagement, l’excellence, le perfectionnement, l’innovation, la recherche, l’attention et tous les plus beaux élans qu’on peut trouver chez les soignants et les mécènes.

Le 3 septembre 2015, le ministre de la Santé et des Services sociaux a choisi d’imposer, sans prévenir ni soumettre son projet à la moindre consultation, un décret en vertu duquel le CHU Sainte-Justine serait désormais placé sous la même direction et le même conseil d’administration que le CHUM. Ainsi, un homme, un matin, a pu décider, à lui seul, de changer la trajectoire historique de cette institution. Comment est-ce possible ? Et comment ne pas se révolter ? On comprend la colère des artisans de Sainte-Justine, qui ne dérougit pas.

Cette décision du Dr Barrette de ramener la médecine pédiatrique de Sainte-Justine dans le giron de la médecine adulte est un coup dur asséné à cette œuvre remarquable vouée aux besoins spécifiques de l’enfance.

Depuis, le ministre se fait raisonneur, tentant de donner un sens à ce regroupement, en vain. Il a beau affirmer que le regroupement n’est pas une fusion, il a beau affirmer que la fusion n’ira pas plus loin, qui le croit et quel besoin y avait-il de la faire au départ ? Il a beau promettre que la spécificité de l’institution sera protégée, qui a besoin de telles complications ? Il aurait été plus simple de laisser ses dirigeants à Sainte-Justine ! Il a beau tenter de donner de la substance à sa décision, en martelant l’idée de la « continuité des soins », comment y voir un motif valable alors que 80 % des patients du CHU Sainte-Justine, provenant de partout au Québec, ne seront jamais suivis au CHUM en devenant adultes ?

Le fait d’avoir eu, tout au long de ces 100 ans, des dirigeants tout entiers consacrés à la mission de l’établissement figure au premier plan des facteurs qui ont permis au CHU Sainte-Justine de se hisser parmi les meilleurs au Canada et en Amérique du Nord. Cela est vrai aussi des pairs pédiatriques de Toronto et de Vancouver, dont l’autonomie a de tout temps été préservée. Gaétan Barrette a mis une fin à cela d’un coup de crayon, dans un irrépressible élan de centralisation.

C’est à notre premier ministre, maintenant, de s’assurer que la grande œuvre des fondatrices, et de tous les artisans qui l’ont portée jusqu’à aujourd’hui, se perpétue avec le même esprit et le même dynamisme dans le présent siècle. À l’approche de la Journée des femmes, témoignons notre reconnaissance à celles qui ont donné l’impulsion de départ à cette grande institution, aujourd’hui fragilisée. Leur idéal de soins doit survivre au-delà du sombre passage que nous sommes à traverser.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.