La Terre n’est pas un Airbnb

Au début du mois, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un rapport accablant : si la planète se réchauffe encore, à plus de 1,5 º C, c’est le début de la fin du monde. Pour empêcher la catastrophe annoncée, les émissions de CO2 doivent être réduites de 45 % d’ici 2030, par rapport à leur niveau de 2010.

C’est clair. Qu’est-ce qu’on fait ? Rien. Aucune réaction. Ou si peu. Une étude de plus ou de moins. La population du globe a exactement la même attitude que lorsque l’alarme à incendie résonne dans un bureau. Tout le monde se regarde. Tout le monde se dit : « Ah non, pas encore un exercice pour le feu ! Est-ce qu’il faut vraiment sortir ? » On se traîne les pieds. La majorité finit sur le trottoir. Peinarde. Quelques zélés continuent à travailler, en endurant la sonnerie. Bref, on n’y croit pas.

Pourtant, l’échéance est demain. Avant, quand les savants nous alarmaient à propos du réchauffement climatique, ils nous prévenaient que si on ne faisait rien, ce serait l’apocalypse dans 100 ans. Ça ne nous stressait pas, 100 ans, c’est loin. Puis ce fut dans 50 ans. Ça ne nous stressait pas, non plus, 50 ans, c’est loin aussi. Maintenant, c’est dans 11 ans. C’est rien, 11 ans. Il y a 11 ans, on était en 2007 : le Parti québécois se cherchait un nouveau chef, Régis Labeaume était maire de Québec, Vladimir Poutine dirigeait la Russie et les Red Sox de Boston remportaient la Série mondiale. Vous voyez, y’a pas grand-chose qui change en 11 ans. Et c’est le temps qu’on a pour changer les habitudes de la planète. C’est quoi, le plan ?

C’est ça, le problème, y’en a pas, de plan. Les scientifiques ne cessent de nous prévenir : on s’en va dans le mur, on s’en va dans le mur. Nous, on continue de peser sur le gaz. Les politiciens ont des mandats de quatre ans. Ils ne voient pas plus loin que ça. Aux élections de 2026, on risque de parler beaucoup des enjeux climatiques. Manon Massé deviendra première ministre du Québec. Mais il sera trop tard. On ne baisse pas le thermostat planétaire en quatre années. C’est tout de suite qu’il faut commencer à baisser les émissions de CO2. Mais ça ne nous rentre pas dans la tête. On a tous en nous un heureux Maxime Bernier qui nous dit : y’a rien là, ça va s’arranger tout seul.

La menace est trop grande. Ça nous dépasse. On n’arrive pas à concevoir que la Terre ne sera plus habitable. C’est un non-sens pour notre conscience.

L’existence du monde est un acquis pour nous, les humains. On est arrivés, tout était déjà là, tout était inclus. Wow ! La Terre, c’est un super Airbnb ! Le gros est fourni. L’air, le soleil, la bouffe, il suffit de se servir. Et c’est ce que l’on fait. Depuis 200 000 ans, l’Homo sapiens se sert allègrement. Tout en faisant plein d’améliorations au logement. L’électricité, le chauffage, la déco, on est des locataires vaillants.

Les menaces depuis 200 000 ans, elles viennent de nous, avant tout. Les guerres, les massacres, la haine. Bien sûr, il y a les aléas du climat, les ouragans, les raz-de-marée, les incendies de forêt, mais après la pluie, le beau temps. On enterre nos morts et on continue. Après la pluie, la sécheresse éternelle, on n’a jamais vu ça. Qu’il n’y ait plus personne pour enterrer les morts, on n’a jamais pensé à ça.

Que la Terre soit toujours en état de nous accueillir, pour nous, ça fait partie de notre deal avec Dieu. C’est son problème, pas le nôtre. L’Univers, c’est sa responsabilité. C’est lui qui l’a créé. C’est sa job de propriétaire. Qu’il s’arrange avec ça. Même si on ne croit pas en Dieu, on arbore ce fatalisme. On croit à la nature. La nature est si bien faite, elle va bien trouver une façon d’évacuer notre pollution. Oui, elle va trouver une façon : elle va nous évacuer !

C’est ça qu’il faut réaliser. Il faut changer le marketing de la lutte contre le réchauffement climatique. Depuis des années, on ne cesse de crier que la planète est en danger. Ça n’émeut pas la majorité. La planète, c’est une notion trop grosse pour nous. Si notre condo était en danger, là on comprendrait.

C’est la race humaine qui est en danger. Comme dans les films catastrophes. La planète, elle va continuer de tourner, même s’il fait 80 ºC. C’est nous qui aurons fondu. Notre instinct de survie, il est accroché à notre propre existence. Plus que de parler de degrés de température, il faut parler du nombre de morts. Quand une épidémie se présente, on comprend soudainement la science. On se bouscule pour aller se faire vacciner.

Quand il fallait faire des efforts pour les générations futures, on en faisait un minimum. Les enfants qui naissent aujourd’hui devront sauver leur peau. La motivation sera plus grande. Mais le défi risque d’être trop grand. Trop tard.

Ça nous prend un plan, au plus sacrant. Des milliards de personnes isolées ne parviendront pas à changer le cours du destin. Il faut une vue d’ensemble. Ce n’est pas Trump, ni Poutine, ni Xi Jinping, ni Trudeau qui trouveront la solution. Que les savants du monde se rassemblent, qu’ils publient une marche à suivre pour chacun des pays. Et ce sera à nous, les citoyens, à l’imposer aux politiciens. L’inverse n’arrivera jamais. Surtout pas avec ceux qu’on élit.

Nous avons gravement besoin d’un leadership. Face à l’adversité, les humains savent se serrer les coudes. Mais encore faut-il être conscient de l’adversité.

La Terre n’est pas un Airbnb. C’est notre responsabilité. On ne peut pas la laisser et rentrer chez nous. C’est elle, chez nous. L’alarme sonne toujours. Ce n’est pas un exercice. Il y a vraiment le feu.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.