Réforme de l'éducation

Autopsie d’un dérapage

La grande réforme de l’éducation lancée par Pauline Marois au milieu des années 90 a dérapé. C’est Pauline Marois, la mère de la réforme, qui le dit.

Pourtant, les objectifs de la réforme étaient simples : éliminer les cours inutiles qui s’étaient greffés à la petite semaine, revenir aux matières de base, français, mathématiques, histoire, sciences, ne plus apprendre en silo, faire des liens.

En 1997, lorsque Pauline Marois a annoncé les grandes lignes de sa réforme au primaire et au secondaire, tout le monde a applaudi, même les syndicats. Enfin, un grand ménage, un retour au gros bon sens.

Mais en grandissant, le bébé de Mme Marois est devenu un monstre. La plus vaste réforme entreprise depuis les années 60 s’est égarée entre deux compétences transversales.

Des experts de l’Université Laval, mandatés par l’ex-ministre de l’Éducation Michèle Courchesne en 2007, ont étudié la réforme sous toutes ses coutures. Ils ont déposé leur rapport en août. Leur constat est dur : la réforme n’a pas donné les fruits attendus. Les élèves réussissent moins bien en français et en mathématiques, même s’ils ont reçu plus d’heures d’enseignement et davantage d’aide et d’encadrement. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans le monde de la réforme ?

J’ai posé la question à Mme Marois par courriel. Je lui ai demandé si elle était prête à discuter de la réforme. Exceptionnellement, elle a accepté de sortir de sa retraite pour me parler de ce dossier qui lui tient à cœur. Je l’ai rencontrée, entre deux voyages, dans un bureau que le gouvernement met à sa disposition, perché au 11e étage d’un édifice de la rue Saint-Jacques dans le Vieux-Montréal.

QUATRE ERREURS

Mme Marois est prête, archiprête. Devant elle, des documents qu’elle a repêchés dans la bibliothèque de sa maison de campagne dans Charlevoix, des originaux usés, écornés, qui ont servi de base à la réforme et qui datent du milieu des années 90.

Elle les a relus avant de me rencontrer. Elle a aussi parcouru des livres sur l’éducation écrits par Jacques Delors et Paul Inchauspé, sans oublier le rapport de l’Université Laval. Tous ces documents sont étalés sur son bureau, avec des passages surlignés en vert et des notes dans la marge.

« Vous m’avez fait travailler fort », dit Mme Marois en riant.

Elle commence par raconter la genèse de la réforme : les états généraux sur l’éducation lancés par son prédécesseur, Jean Garon, en 1995 et rattrapés par elle un an plus tard, les rapports qui ont jeté les bases de la réforme, les quatre grandes compétences transversales qui devaient permettre aux élèves de voir plus loin que le bout de leur nez. Quatre, pas une de plus. Une réforme solide, simple, toute simple.

Que s’est-il passé entre les intentions dépouillées du départ et l’hypertrophie d’aujourd’hui ? Pourquoi la réforme a-t-elle dérapé ?

Mme Marois a lancé la réforme en 1997. Un an plus tard, elle quittait l’Éducation pour la Santé.

« C’est la première erreur, précise-t-elle. Je ne suis pas prétentieuse, quoi qu’en pensent certains. De toute façon, je m’en fous. Il y a eu trop de ministres. L’Éducation est comme un paquebot qui prend beaucoup de temps à se virer de bord. Il y a eu des erreurs de parcours, il aurait fallu corriger le tir au fur et à mesure. »

« Si on change de ministre tous les deux ans, ça n’a pas de bon sens ! Chacun arrive avec sa façon de voir. On devient tributaire des gens qui nous entourent au Ministère, on n’arrive plus à prendre le dessus. »

— Pauline Marois

— Pourquoi êtes-vous partie à la Santé ?

— Lucien [Bouchard, le premier ministre] avait besoin de moi. C’était un sacrifice. Sur la douzaine de ministères que j’ai occupés, c’est l’Éducation qui m’a le plus passionnée. »

Deuxième erreur : les enseignants n’ont pas été suffisamment associés à la réforme.

Troisième erreur : l’implantation a été trop rapide et la réforme, trop vaste. « On a changé non seulement le curriculum, mais aussi les méthodes pédagogiques. On ne pouvait pas tout faire en même temps. On aurait dû donner plus d’autonomie aux enseignants. »

Quatrième erreur : « On a perdu de vue les grands principes, on est tombés dans la poutine, et c’est là qu’il y a eu des dérapages. Est-ce la multiplication des compétences transversales ? Ou les évaluations [bulletins] qu’on a complexifiées ? »

« COMPRENDRE CE QUI A DÉRAPÉ »

Quelle est la solution ? Doit-on faire table rase et tout recommencer à zéro ?

« Non, non, non, non ! », répond Mme Marois.

Pourtant, le constat des experts de l’Université Laval ne laisse aucun doute : la réforme n’a pas répondu aux attentes, même si le nombre d’heures d’enseignement a augmenté.

« Je le sais, je le sais. Il faut creuser et essayer de comprendre ce qui a dérapé. Qu’est-ce qu’on a fait qui n’était pas prévu à l’origine ? Pourquoi a-t-on oublié les principes de base de la réforme ? Sont-ce les contenus qui n’étaient pas à la hauteur ? Les méthodes pédagogiques qui auraient dû être mises en question ? Toutes les écoles ont-elles mené la réforme avec la même intensité ?

« Une chose est certaine, on ne fait pas table rase. Il faut recentrer la réforme sur les principes et les orientations du début. »

— Pauline Marois

Dans le bureau, Mme Marois a accroché de grandes photos de ses quatre enfants au mur. Aujourd’hui, ils ont de 30 à 36 ans. Je me souviens de Mme Marois éternellement enceinte. Ses enfants ont fréquenté l’école publique, tous, sans exception, du jamais vu chez les ministres de l’Éducation qui vantent les vertus du public d’une main et s’empressent d’expédier leur progéniture au privé de l’autre.

Pour Mme Marois, pas question d’envoyer ses enfants au privé. C’est une question de principe. Elle a gardé le cap, même si elle trouvait que le public tournait parfois les coins ronds. Aujourd’hui, un de ses fils enseigne au privé. Ironique ?

« Il n’a pas eu le soutien qu’il aurait souhaité au public. »

Elle sourit. Elle n’a aucun regret, elle a respecté ses principes. Et ses enfants sont trop vieux pour avoir connu la réforme.

TOURNER LA PAGE

Mme Marois a 65 ans. Elle le dit sans gêne, elle assume son âge. Pas question de retourner en politique. Elle a tourné la page, même si elle a été une première ministre éphémère et que son passage à la tête du Québec ressemble à un coup de vent. Elle a tenu moins de deux ans, gouvernement minoritaire oblige.

« Ce n’est pas ce que j’ai voulu, mais ce que les Québécois ont voulu », précise-t-elle. Elle jure qu’elle n’est pas amère. La défaite a été « très, très difficile. Je me sentais responsable. J’étais profondément triste, mais je ne m’appesantis pas sur mes peines. Je ne suis pas une femme d’amertume ».

Elle a tourné la page, finie, la politique active. Elle continue de militer pour la cause souverainiste, mais discrètement. Elle a suffisamment enduré de gérants d’estrade pendant son règne à la tête du Parti québécois pour ne pas infliger le même traitement à ses successeurs. « Je joue au gérant d’estrade dans mon salon avec mes amis, ça me convient très bien. »

Ce qui ne l’empêche pas d’intervenir, mais sobrement. Elle envoie parfois un texto ou un courriel, rien de plus.

Elle se repose sur ses lauriers et sa longue carrière. Elle voyage beaucoup. Elle arrive du Mexique, elle repart bientôt en France et elle visitera l’Argentine cet automne. Elle peut partir en vacances sans être obligée de revenir au Québec en catastrophe pour éteindre un feu, comme elle l’a fait trop souvent quand elle était ministre ou première ministre.

Elle part l’esprit en paix. Les urgences, les crises, les catastrophes ? Ce n’est plus à elle de les régler.

Éducation

Faits saillants du rapport de l’Université Laval déposé en août 2014

L'étude a été réalisée auprès de 3724 jeunes et 3913 parents de 2007 à 2013, et a évalué les élèves de 5e secondaire qui ont commencé leur secondaire en 2007.

Taux de réussite de 56 % en orthographe, comparativement à 61,8 % pour les élèves d’avant la réforme.

Moins bonne performance aussi en mathématiques, une différence qui s’accentue chez les élèves à risque ou venant de milieux défavorisés.

Les garçons, les élèves qui ne sont pas à risque et les anglophones ont été moins nombreux à obtenir leur diplôme d’études secondaires que les jeunes d’avant la réforme.

— Michèle Ouimet, La Presse

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