Opinion  Éducation

Les enseignants sont trop généreux

Je ferai la grève du zèle pour dénoncer les offres insultantes du gouvernement

J’enseigne depuis une vingtaine d’années. Je suis également le père de trois enfants. En toute humilité, je suppose que ça ajoute un peu de crédibilité à mon propos.

J’ai lu les propositions patronales en vue du renouvellement de la convention collective. Ma réaction ? Je ne déchirerai pas ma chemise, car mon pouvoir d’achat diminue. De plus, austérité oblige, je ne veux pas la remplacer. Faire la grève ? Non, merci. Je tente d’éviter les taxes volontaires. Certains me suggéreront de taper sur des casseroles ? Mon instinct de survie me suggère de craindre les chaudrons à matraques. Courir un marathon ? Selon Darwin, je suis un bipède et non un quadrupède. 

Enfin, certains me diront : « Si vous n’êtes pas content, cher monsieur, changez d’emploi ! Ce sont les aléas de la vie. » Diantre ! Vous avez raison ! J’ai refait mon CV et je cherche. En attendant, que faire ? Je crois que je prendrai exemple sur des experts en matière de contestation : mes élèves. Ceux qui réussissent davantage à empêtrer le système sont les amants de l’opposition passive. Je suis preneur. Voilà ma planche de salut. Beau, bon, pas cher. Maintenant, comment orchestrer le tout ?

FONCTIONNAIRES DE L’ENSEIGNEMENT

Les enseignants sont beaucoup trop généreux de nature. Tellement qu’on oublie leur générosité. C’est de l’acquis pour l’employeur, les parents et les élèves. Comme le disait Machiavel, il ne faut pas être généreux, mais tenu pour généreux. Le bon peuple apprécie la générosité lorsqu’elle est parcimonieuse. À ce moment, il est reconnaissant. Nous voulons valoriser la profession ? Il serait temps d’user de notre raison. Devenons des fonctionnaires de l’enseignement. Une belle semaine de travail de 35 heures. Au fait, ça pourrait ressembler à quoi ?

D’abord, éliminons toutes les sorties éducatives et tous les voyages. Tout ça prend beaucoup de mon temps et demande de l’organisation. 

Qui plus est, ce bénévolat en moins aura un impact économique. Ensuite, j’imagine que j’ai le droit à deux pauses de 15 minutes par jour et à un dîner d’une heure. Excellent ! Je ne serai pas disponible pour mes élèves. Ils ont des questions, des conseils, du rattrapage, des explications, de la récupération, des pleurs, de l’anxiété, etc. Désolé ! La porte est fermée. 

Faire des appels aux parents ? Je suis prêt à discuter et à partager lors de mon temps officiel de travail. Dorénavant, je ne ferai que ce pour quoi je suis payé et je le ferai du lundi au vendredi de 8 h 30 à 16 h 30. La correction et les préparations de cours les soirs et les fins de semaine ? Terminé. Je ne travaille plus lors de ces moments. Bref, une belle grève du zèle en perspective.

C’est bien beau tout ça, mais ça ira contre la nature enseignante, me direz-vous. C’est une belle utopie pédagogique. Détrompez-vous, car, pour la première fois depuis le début de ma carrière, je suis prêt à le faire. La coupe est pleine. J’adore mes élèves, et ça me brisera le cœur. Néanmoins, il n’y a pas d’alternative au manque de respect des offres patronales. Le message se rendra aux parents. À ce moment, une grande partie de la société comprendra ce qu’est réellement le travail d’un enseignant. Qu’en somme, c’est un être généreux de son temps. Qu’il fait plus que sa bête définition de tâche.

Ainsi, j’ose espérer que la reconnaissance viendra. De ce fait, je mettrai ma résolution du jour de l’an à exécution à l’automne 2015. Je souhaite vivement que tous les membres de ma profession suivent cette même voie. Si mon souhait se réalise, chers élèves et chers parents, souhaitez-vous bonne chance.

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