OPINION

RÉFORME MORNEAU
Message confus sur l’équité fiscale

D’une part, la réforme Morneau, fondée sur des principes d’équité et de neutralité, veut stopper les stratégies des PME qui permettent aux entrepreneurs, incluant les professionnels incorporés de payer moins d’impôt que les salariés.

Cette réforme a suscité plusieurs questionnements, notamment à savoir si la juste part d’impôt d’un salarié et d’un entrepreneur devrait ou non être la même.

L’argument le plus souvent utilisé par les opposants de la réforme pour justifier un régime d’imposition à deux vitesses où les salariés paieraient une plus grande part d’impôt qu’un entrepreneur est le risque additionnel et réel qui repose sur les épaules de l’entrepreneur afin d’assurer la croissance et même la survie de son entreprise et des emplois qu’il crée.

Cet argument est, à notre humble avis, louable. Toutefois, est-ce que l’économie d’impôt actuellement réalisée par les entrepreneurs constitués en société à la suite de l’utilisation de certaines structures corporatives est toujours un juste reflet du risque additionnel encouru ? La réforme proposée aurait donc pour effet de corriger les iniquités lorsque l’économie d’impôt réalisée n’est pas un juste reflet de ce risque additionnel.

Mais l’équité fiscale relativement aux PME va plus loin. Le ministre Morneau doit s’assurer que sa réforme ne nuise pas à l’entrepreneuriat et à la compétitivité de nos PME face aux grandes entreprises qui peuvent bénéficier d’économies d’échelle.

Il y a 10 ans, les PME bénéficiaient d’une économie d’impôt fédéral pouvant atteindre 36 000 $ afin de tenir compte de ce fait. Aujourd’hui cette économie est de 22 500 $. De plus, il est important de se rappeler que nos PME doivent compétitionner avec les multinationales qui peuvent utiliser des stratégies fiscales qui leur permettent de réduire leur fardeau fiscal et de créer une concurrence déloyale.

DÉCISION NETFLIX

D’autre part, il y a la décision Netflix qui semble être une initiative de la ministre Joly, qui explique que s’il a été décidé de permettre à Netflix de ne pas imposer les taxes canadiennes sur ses services, c’est parce que les Canadiens paient déjà trop pour l’internet, que « tout le commerce en ligne est exempt de taxes », et que Netflix s’engage à produire du contenu au Canada pour 500 millions de dollars au cours des cinq prochaines années.

Il est vrai que nos régimes de taxation traditionnels ont de la difficulté à taxer le cyberespace, mais il est totalement faux de dire que tout le commerce électronique est exempt de taxes.

La preuve est que les concurrents canadiens de Netflix imposent des taxes. Imaginez la concurrence fiscale déloyale que les entreprises domestiques canadiennes devront subir pendant toutes ces années face au géant Netflix, sans compter les pertes de revenus pour le Canada, surtout lorsque les autres géants étrangers du web vont demander le même traitement.

En résumé, il est important que tous les contribuables canadiens aient le sentiment que le système fiscal est équitable, que chaque contribuable paie sa juste part d’impôt et que chaque entreprise peut être exploitée dans un environnement concurrentiel loyal.

Par conséquent, il est courageux de la part du ministre Morneau de remettre en question certaines pratiques et d’apporter des réformes. 

Également, le ministre Morneau et tous les ministres des Finances de la planète pris isolément ne peuvent malheureusement pas grand-chose pour arrêter la concurrence fiscale internationale et la gymnastique que font les pays pour attirer le capital comme les 500 millions de Netflix, moins les crédits d’impôt que le Canada et les provinces vont leur verser. 

Il est donc important que notre ministre continue de participer et de soutenir toutes les initiatives qui visent la coopération fiscale internationale.

Pendant cette période de transition pendant laquelle les pays essaient de s’adapter fiscalement à un monde mondialisé et à l’internet et que les Canadiens discutent d’équité fiscale sur la place publique, les politiques doivent être mieux adaptées aux valeurs canadiennes et doivent proposer une définition claire et constante de l’équité fiscale.

* Brigitte Alepin est cofondatrice de la conférence TaxCOOP, dont la troisième édition va se tenir aux Nations unies à Genève le 16 octobre.

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