emploi

Après avoir connu une période de croissance, le secteur manufacturier québécois est lui aussi frappé par la pénurie de main-d’œuvre.

Chronique

Une pénurie qui mène à la stagnation

Le secteur manufacturier québécois vient de connaître deux années de forte croissance, alors qu’une majorité de PME industrielles ont enregistré une augmentation importante de leur chiffre d’affaires par rapport à 2017. Le problème, c’est que cette solide progression du manufacturier risque de stagner en raison de la pénurie de main-d’œuvre qui frappe le secteur et dont on n’a pas fini de mesurer les effets catastrophiques.

Au cours de la dernière année, donc, 63 % des PME manufacturières qui emploient de 10 à 500 personnes ont enregistré une augmentation d’au moins 5 % de leur chiffre d’affaires, rapporte le Baromètre industriel québécois.

C’est l’organisme Sous-traitance industrielle Québec (STIQ) qui réalise ce baromètre et mesure chaque année depuis 10 ans l’état de santé des 2700 PME manufacturières québécoises qui comptent de 10 à 500 employés. STIQ réalise un sondage annuel auprès de 500 des 2700 PME qui composent son univers.

Le très bon rendement de 2018 est survenu dans la foulée de l’année record des 10 dernières années, enregistrée en 2017, lorsque 67 % des PME manufacturières avaient affiché une progression d’au moins 5 % de leur chiffre d’affaires.

Le large secteur manufacturier (qui inclut Bombardier, Pratt & Whitney, Rio Tinto et les autres) a contribué pour 50 milliards au produit intérieur brut québécois en 2018, en hausse de plus de 3 % pour une deuxième année de suite, alors que, de 2013 à 2016, la croissance annuelle moyenne du PIB manufacturier n’avait été que de 0,4 %.

Bref, depuis deux ans, nos PME manufacturières pètent le feu, comme en témoignent les récentes données du Baromètre industriel québécois de STIQ, mais cette belle lancée pourrait rapidement s’essouffler en raison de la pénurie de main-d’œuvre qui touche la quasi-totalité des entreprises manufacturières québécoises.

Depuis 10 ans, jamais la situation de l’emploi dans les PME manufacturières n’aura été aussi critique. En moyenne, le nombre de postes à pourvoir dans les entreprises sondées par STIQ représente 15 % du nombre total d’employés.

Chez les entreprises de 100 à 500 employés, ce sont 10 % des effectifs que l’on n’arrive pas à recruter pour répondre aux besoins courants, alors que ce pourcentage augmente à 21 % chez les entreprises de 10 à 20 employés.

On comprend que la situation devient hautement problématique pour une entreprise quand il lui manque de 10 à 20 % des effectifs requis pour fonctionner normalement. Or, c’est la situation quasi généralisée que l’on observe chez nos PME manufacturières.

Un repli néfaste pour la croissance

On savait que la pénurie de main-d’œuvre était devenue un enjeu majeur pour les entreprises manufacturières alors que plus de 75 % d’entre elles affirment souffrir de l’absence de relève.

Mais la donnée la plus troublante que révèle le dernier Baromètre industriel québécois de STIQ est que les PME industrielles affichent aujourd’hui le plus faible taux de renouvellement de leur clientèle en 10 ans.

En 2018, seulement 25 % des entreprises sondées par STIQ ont été en mesure de confirmer que plus de 10 % de leur chiffre d’affaires avait été généré par de nouveaux clients. Il s’agit du plus bas pourcentage jamais enregistré en 10 ans.

De 2010 à 2017, 39 % des PME industrielles québécoises déclaraient réaliser plus de 10 % de leurs ventes annuelles grâce à l’ajout de nouveaux clients. En 2017, ce pourcentage de renouvellement de clientèle est tombé à 34 % et a chuté à 25 % au cours de la dernière année.

La raison principale invoquée par les dirigeants pour expliquer cette chute de démarchage de nouveaux clients pour garnir leur carnet de commandes est directement liée à leur manque d’effectifs.

Ils n’ont pas assez d’employés pour accepter de nouveaux contrats, alors qu’ils en ont déjà plein les bras pour venir à bout des commandes de leurs clients actuels.

Ils décident donc de privilégier leurs clients les plus importants. Il s’agit pour eux d’un choix stratégique. Fini le développement des affaires, occupons-nous de livrer ce qui est déjà prévu à ceux qui nous assurent le plus d’ouvrage.

Cette stratégie de repli est le résultat immédiat de la pénurie de main-d’œuvre, mais elle risque toutefois de miner sérieusement les perspectives de croissance des entreprises lorsque l’activité économique fléchira, ce qui se produira inévitablement un jour.

On sert de façon prioritaire nos bons clients et on délaisse la prospection de nouvelles occasions d’affaires, mais quand ces bons clients réduiront la cadence de leurs commandes, comment compensera-t-on ce manque à gagner si l’on n’a pas conquis de nouveaux marchés ?

La question se pose. Le Baromètre industriel québécois vient de nous confirmer que l’activité manufacturière québécoise était rayonnante, mais, comme on le sait, la pression peut rapidement changer de bord et en négligeant de développer de nouveaux marchés, nos entreprises pourraient générer elles-mêmes une belle tempête.

Usines cherchent travailleuses

Un plan d’action dévoilé aujourd’hui veut faire passer leur proportion de 26 % à 35 % d’ici cinq ans.

Non seulement le secteur manufacturier québécois est frappé par la pénurie de main-d’œuvre, mais il peine aussi à attirer la moitié de la population. Les femmes ne représentent en effet que 26 % des effectifs dans ce secteur, une proportion qu’on souhaite faire augmenter à 35 % en cinq ans avec un plan d’action qui sera annoncé aujourd’hui.

Quatre femmes et une campagne

La campagne « Femmes 4.0 » est le fruit de la rencontre de quatre femmes : Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec, Sylvie Pinsonnault, vice-présidente chez Investissement Québec, Anne-Marie Hubert, associée directrice pour le Québec d’EY, et Lyne Dubois, vice-présidente au Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ). « On dit souvent que le leadership féminin est rassembleur, c’est sur cette base qu’on s’est parlé, qu’on a consulté des gens de terrain et d’autres organisations, explique Mme Dubois. Ce plan qu’on va annoncer vendredi [aujourd’hui] est un effort collectif. »

Où sont les femmes ?

Pour résumer grossièrement : en santé, en enseignement et en administration. Selon les données les plus récentes de l’Institut de la statistique du Québec compilées par La Presse, les femmes représentaient en 2018 plus de 60 % des effectifs dans trois des dix catégories d’emploi. À l’autre bout du spectre, elles sont rares dans la catégorie Métiers, transports en machinerie, où elles forment 6,2 % de la main-d’œuvre, ainsi que dans le secteur primaire (16,9 %) et les sciences naturelles et appliquées (23,4 %).

126 000

Nombre de Québécoises travaillant dans le secteur manufacturier en 2018, sur environ un demi-million de travailleurs. Leur part, aujourd’hui de 26 %, est en déclin constant depuis le début du XXe siècle. Elles formaient alors 40 % de la main-d’œuvre en usine.

« Une industrie en mutation »

Le travail dans le secteur manufacturier n’est plus ce qu’il était. Bien des visiteurs en usine s’étonnent de l’aspect des lieux, souvent plus proche d’un laboratoire que d’une chaîne de production classique. « Le secteur manufacturier est en profonde mutation et il a besoin d’être raconté autrement, estime Lyne Dubois. Au cours des dernières décennies, on l’a associé à des tâches répétitives, qui ne demandent pas beaucoup de réflexion, mais beaucoup d’efforts physiques. Ce n’est plus ça. »

4.0

L’essentiel du message de la campagne Femmes 4.0, c’est que le secteur manufacturier offre des emplois payants et à la fine pointe. Le 4.0 fait référence à la révolution industrielle en cours basée sur le numérique et la connectivité. « On voit les nouvelles technologies à l’œuvre, les robots, les systèmes interconnectés, dit Mme Dubois. On a besoin des meilleures en informatique, en programmation, de tout ce qui touche la technologie de demain. »

En trois temps

Le plan d’action lancé aujourd’hui vise dans un premier temps à sensibiliser le public à cette cause. On veut ensuite encourager les filles à s’orienter vers les programmes à forte connotation scientifique, désignés par le sigle STGM pour « sciences, technologies, génie, mathématiques ». On vise ensuite plus largement à valoriser la culture de diversité au sein des entreprises.

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