Chronique

Écouter

Tout le monde parle. Tout le monde s’exprime. Tout le monde se raconte. Partout. On dit tout. Sur Facebook, on parle autant de son dernier BBQ que de sa lutte contre le cancer. On donne son opinion, autant sur Trump que sur Bergevin, autant sur la grande menace nucléaire que sur les p’tits minous. Certains chroniqueurs s’inquiètent de cette prolifération de commentaires. C’est rendu que n’importe qui donne son avis ! Ben oui ! Et c’est très bien ainsi. On ne peut pas défendre la liberté de parole et vouloir être le seul à s’en servir. La parole n’appartient pas qu’à ceux qui en font leur métier.

Bien sûr, il se dit bien des conneries sur les réseaux sociaux. Mais la connerie n’appartient pas qu’aux amateurs. Celui qui en dit le plus est le président des États-Unis. Et il a été élu pour parler au nom des 300 millions d’Américains. C’est son travail. Son mandat. Heureusement qu’il n’est pas le seul à tweeter. Heureusement que les 300 millions peuvent aussi dévoiler leurs pensées.

Les gens s’ouvrent. C’est excellent.

Ce qui m’inquiète, ce n’est pas que tout le monde parle, ce qui m’inquiète, c’est que personne n’écoute. Il y a des milliards de personnes qui s’expriment, mais combien qui les écoutent vraiment ?

Notre société a toujours valorisé les gens qui parlent. À l’école, au travail, en société. Les gens qui font leur chemin, les gens qui se démarquent, sont ceux qui ont de la gueule. Qui prennent le crachoir. Qui rappent leur place. Ceux qui écoutent font de la figuration. On les traite de moutons. On ne s’en préoccupe pas. Et pourtant, on a autant besoin de gens qui écoutent que de gens qui parlent. L’écoute peut changer le monde, autant que la parole. À vrai dire, peut-être même plus.

On a tous vécu une soirée comme ça. Vous allez au restaurant avec un vieil ami, un proche, une connaissance ou un contact Tinder, et toute la soirée, il ne parle que de lui. Les rares fois où vous intervenez, ça ne soulève ni de questions ni d’intérêt. La personne est drôle, animée, grandiloquente. Elle sait très bien parler, mais pas du tout écouter. C’est pas son truc. Vous rentrez chez vous, dubitatif. Vous avez été diverti. Mais pas compris. Une relation interpersonnelle, c’est pas une série sur Netflix. C’est censé autant vous voir que de se laisser regarder.

Dans l’océan de statuts, d’états d’âme, de montées de lait qui nous entourent, c’est la même chose. Tout le monde monologue. Personne n’écoute. On entend, ça c’est certain. Mais on n’entend pas pour comprendre. On entend pour réagir. On n’attrape pas. On rebondit. On se positionne. On est pour ce que quelqu’un a dit. On est contre ce que quelqu’un a dit. Et on en rajoute. On n’est jamais en train de chercher la vérité. On la détient. On l’affirme haut et fort. Si la personne dit ce que l’on pense, on l’aime. Si la personne dit ce que l’on ne pense pas, on ne l’aime pas. Bref, on parle tous les uns par-dessus les autres. Comme à la belle époque de 110 % !

On ne valorise pas les gens qui savent écouter, et pourtant, c’est la plus humaine des qualités.

Il y a plein de cours pour apprendre à s’exprimer, aucun pour apprendre à écouter. Pas étonnant que si peu de gens écoutent.

Savoir écouter, c’est pas seulement se taire quand l’autre parle. Ce n’est pas, non plus, tout ramener à soi. Quelqu’un parle de sa maladie, et ça nous touche parce qu’on pense à nous, si on était malade. On n’est pas bouleversé par ce que l’autre vit. On est bouleversé par ce que l’on pourrait vivre. On se sert trop souvent des autres comme miroir. Ils ne font que réfléchir nos drames, nos blessures, notre fond. Quelqu’un parle de son enfance, et on pense à la nôtre. C’est normal. Mais faut aller au-delà de soi.

Écouter, c’est comprendre. Comprendre, c’est prendre avec son cœur. Quand on écoute, il faut arrêter de penser à soi. Il faut penser à l’autre. Écouter, c’est le contraire d’un selfie. C’est faire le portrait de la personne en face. Écouter, c’est recevoir ce que l’autre a en lui. On peut recevoir la parole d’autrui, comme un joueur des Alouettes reçoit le ballon. En le laissant tomber. Ou on peut l’attraper. Et la garder en soi. Ajouter une expérience à la nôtre. S’additionner. S’enrichir.

Savoir écouter en dit plus sur quelqu’un que tous les grands discours, que toutes les vantardises qu’il pourrait dire. Montre-moi quelqu’un qui sait écouter, je verrai quelqu’un avec qui il fait bon vivre. Avec qui une histoire peut s’accomplir.

Écouter, c’est s’intéresser. On est tellement en quête d’attention que l’on ne cesse de parler pour en recevoir. On pense que le bonheur, c’est d’avoir le plus d’attention possible. Alors que le bonheur, c’est de s’intéresser à quelqu’un, à quelque chose.

On parle pour se vider le cœur.

On écoute pour se remplir le cœur.

J’ai assez vidé le mien. Écrivez-moi, que je vous lise. Que je vous écoute. Que je me remplisse. Bonne journée !

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.